Comment l’Afrique de l’Ouest peut se débarrasser des délestages

Mis à jour le 25 mars 2022 à 12:22
 

 

À Lagos (Nigeria), les coupures durent en moyenne de 6 à 8 heures par jour. Ici, dans le district de Yaba en 2020. © Youri Lenquette pour Jeune Afrique.

 

Si la Côte d’Ivoire et le Sénégal ont largement réduit les coupures de courant, la question demeure un fléau ailleurs dans la région. Et il ne suffit pas d’augmenter les capacités de production pour résoudre le problème

Mali, Burkina Faso, Ghana et même Côte d’Ivoire. Ces derniers mois, les délestages se sont multipliés en Afrique de l’Ouest francophone provoquant critiques dans la presse et fatigue au sein du secteur privé. Au Nigeria, « les coupures quotidiennes à Lagos et Abuja sont d’une durée moyenne de 6 à 8 heures », a rappelé le directeur général du Trésor français dans une note de juillet 2021, soulignant que « les délestages récurrents obligent une large partie de la population et la quasi-totalité des entreprises à se doter de moyens d’autoproduction, essentiellement des groupes électrogènes coûteux et polluants ».

Ancien et récurrent, le problème est économique autant que politique : non seulement les coupures de courant coûtent cher aux pays mais, en plus, elles entretiennent le mécontentement social. Les gouvernements comme les sociétés d’électricité – en majorité publiques dans la zone – veulent donc à tout prix les éviter. Mais est-ce possible à court terme et de manière durable ? Au regard de la situation dans la région, on peut en douter. « En Afrique de l’Ouest, le taux d’accès à l’électricité est de 52 % en moyenne, avec des coupures d’électricité pouvant atteindre 80 heures par mois », notait la Banque mondiale (BM) en 2018.

Trois catégories de pays

Même s’il est difficile de dresser un état des lieux exhaustif, on peut établir trois catégories de pays.

Une première, limitée à deux membres, à savoir la Côte d’Ivoire et le Sénégal : ayant fortement développé leurs capacités de production (qui a plus que doublé en dix ans dans le cas ivoirien), ils ont réussi ces dernières années à réduire drastiquement la fréquence et la durée des délestages. Une deuxième catégorie, également composée de deux pays, le Ghana et le Burkina Faso, dont les efforts sont en passe de payer. Une troisième et dernière catégorie, réunissant l’ensemble des autres États, du Nigeria au Mali en passant par la Guinée, où les délestages demeurent un problème structurel et donnent lieu à un partage de la pénurie via différents types de coupures, alternées, par quartier, brutales, à répétition…

SOUFFRANT DE SOUS-INVESTISSEMENT CHRONIQUE, LA PLUPART DES RÉSEAUX ENREGISTRENT UN DÉFICIT DE MAINTENANCE

Face à ce constat peu reluisant, il faut reconnaître que le problème est complexe. Pour rappel, les délestages interviennent dans deux principaux cas de figure : d’une part, en raison de panne technique au niveau de la production, du transport ou de la distribution, d’autre part, lorsque que la demande d’électricité (la consommation) est trop importante par rapport à l’offre (la production). Or, en Afrique de l’Ouest, les pays sont vulnérables sur les deux plans. Souffrant de sous-investissement chronique, la plupart des réseaux enregistrent un déficit de maintenance, ce qui accroît le risque d’incident. En mai 2021, en Côte d’Ivoire, c’est une conjonction de facteurs qui a expliqué la vague de délestages : les conditions climatiques (la sécheresse ayant réduit les volumes d’eau dans les barrages et les capacités de production d’énergie hydraulique), des retards d’investissements dans des centrales à cause du Covid-19 et une panne grave sur une machine de la centrale d’Azito – rappelant que personne n’est à l’abri d’un souci technique.

 

Centrale thermique d’Azito, en Côte d’Ivoire, dont General Electric est exploitant depuis 2017. © Olivier pour JA


Centrale thermique d’Azito, en Côte d’Ivoire, dont General Electric est exploitant depuis 2017. © Olivier pour JA

Motifs d’espoir

Les États sont tout autant en difficulté sur la gestion de l’offre et de la demande, pris dans une course en avant. Face à des besoins énergétiques qui explosent, en raison de la croissance démographique, de l’essor économique et de l’urbanisation, ils ont du mal à tenir le rythme d’investissement adéquat.

« La demande d’électricité augmente de façon linéaire quand la production d’électricité croît, elle, par paliers (au fur et à mesure de la mise en service de centrales). Si vous ajoutez à cela le fait que, malgré l’existence de modèles de prévisions, les projections restent assez aléatoires, c’est presque mission impossible, pointe Hugo Le Picard, chercheur au Centre énergie & climat de l’Institut français des relations internationales (Ifri). Il y a fort à parier que, quoi qu’il arrive, les délestages perdurent ces prochaines décennies. » Car, quand bien même certains mettent le paquet sur l’offre – le Burkina Faso doit gagner près de 200 MW d’énergie solaire à court terme, un bond significatif au regard de sa puissance installée de 357 MW –, encore faut-il s’assurer d’avoir en temps et en heure les lignes de transport et les postes de distribution permettant d’acheminer l’électricité jusqu’au consommateur final.

CET EFFORT GÉNÉRALISÉ SE CONJUGUE AVEC ET EST FACILITÉ PAR L’ESSOR DES ÉNERGIES RENOUVELABLES, AU DÉPLOIEMENT RAPIDE ET AU TARIF COMPÉTITIF.

Pour autant, certains sont optimistes sur la capacité de la région à faire rapidement des délestages un phénomène résiduel. Plusieurs évolutions vont en effet dans le bon sens. Tout d’abord, force est de constater que tous les pays, même les plus instables ou les moins bien dotés financièrement, mettent l’accent sur l’augmentation des capacités de production – on dénombre près d’une dizaine de projets au Mali, par exemple. Cet effort généralisé se conjugue avec et est facilité par l’essor des énergies renouvelables, au déploiement rapide et au tarif compétitif. Sénégal, Burkina Faso, mais aussi Togo, Mali, Guinée et Tchad, entre autres, ont franchi le pas et promettent d’accélérer.

Enfin, l’essor des interconnexions, dans le cadre du système d’échange ouest-africain, joue aussi un rôle crucial en facilitant les achats régionaux d’électricité, moyen de répondre rapidement et à moindre coût à une période de pointe. « Entre 2011 et 2018, l’interconnexion Ghana-Burkina Faso a permis de réduire de 130 à 8 heures la durée annuelle des coupures de courant au Burkina Faso tout en augmentant la capacité d’exportation d’électricité du Ghana de 200 MW », soulignait la BM dans une note de début 2021.

 

Stratégie, management et volonté politique

« Les solutions aux délestages existent. Tout l’enjeu est de savoir si les États sont en mesure de mobiliser les investissements nécessaires pour les mettre en œuvre. Et si le secteur privé est prêt à suivre », avance le ministre burkinabè de la Transition énergétique et des Mines, Bachir Ismaël Ouédraogo. « C’est une question de stratégie, de management et de volonté politique », insiste le consultant en énergie Ahmadou Saïd Bâ, ingénieur formé à l’École nationale supérieure de l’électronique et de ses applications (Ensea) et à Paris-Dauphine PSL, qui appelle aussi à en finir avec « le pilotage à l’aveugle » en investissant « dans des outils de réseau intelligent pour gérer au mieux la production existante et son transport ».

« Une des manières de lutter efficacement contre les délestages, c’est tout simplement de commencer par limiter les pertes, qui sont considérables aujourd’hui », explique Amadou Ly, le fondateur d’Akilee, société sénégalaise spécialisée dans la gestion intelligente de l’énergie (dont la Senelec est actionnaire à 34 %). De fait, si la plupart des sociétés publiques de la zone ont progressé sur l’évaluation de la qualité de service, en intégrant dans leurs rapports annuels les indicateurs d’énergie non fournie, elles tardent encore à prendre le sujet des pertes – pourtant estimées à au moins 20 % de la production – à bras-le-corps.