Simandou : « La seule véritable victoire, c’est la construction du Transguinéen »
À la tête de la compagnie SMB, le Franco-Guinéen Fadi Wazni revient sur l’accord tout juste signé entre Conakry, le consortium dont il fait partie et le géant minier Rio Tinto pour l’exploitation du mégagisement de fer du Simandou.
Il était espéré de longue date, et a été obtenu de haute lutte. Conclu dans la nuit du 25 au 26 mars et annoncé dans la foulée par la télévision publique guinéenne RTG, l’accord a été signé entre le gouvernement guinéen et les compagnies minières WCS (Winning Consortium Simandou) et Rio Tinto pour établir les conditions d’investissement et de réalisation des infrastructures du projet minier Simandou.
Les autorités militaires de la transition, menées par Mamadi Doumbouya, suivent de tout aussi près que l’exécutif déchu d’Alpha Condé l’évolution du projet de développement du plus grand gisement de fer du continent. Mécontent de la trop lente avancée des négociations, Mamadi Doumbouya avait décrété le 10 mars « la cessation de toute activité sur le terrain ». Un coup de pression qui s’est soldé par la conclusion de l’accord moins de deux semaines plus tard.
Comme l’ex-régime, la junte tient à ce que les acteurs privés engagés, le consortium WCS, signataire en 2020 d’une convention d’exploitation des blocs 1 et 2, et le géant anglo-saxon Rio Tinto, associé au chinois Chinalco, détenteurs des blocs 3 et 4, partagent l’utilisation du futur chemin de fer, le Transguinéen, qui reliera le site minier au futur port minéralier en eau profonde de Moribayah (jusqu’ici mentionné sous le nom de Matakong), au sud de Conakry (soit près de 680 km, voir carte au bas de l’article).
Fondateur du groupe de logistique terrestre United Mining Supply (UMS), établi à Conakry depuis 2002, le Franco-Guinéen Fadi Wazni fait partie du consortium WCS qui réunit UMS, le singapourien Winning Shipping International et l’aluminier chinois Shandong Weiqiao, tous trois déjà coactionnaires de la Société minière de Boké (SMB), dans le nord de la Guinée. Pour Jeune Afrique, le patron, également président du conseil d’administration de SMB, explique la portée de l’accord signé pour l’exploitation des mines du Simandou.
Jeune Afrique : Quelle est votre lecture de l’accord cadre que vous venez de conclure avec Rio Tinto et l’État guinéen ?
Fadi Wazni : Il n’y a pas à proprement parler de nouveauté. Il s’agit de la même mine, et l’évacuation se fera au moyen de la même infrastructure. La mutualisation était prévue dans les conventions respectives. Maintenant, c’est un accord qui va plus loin avec la création d’une société ad hoc entre nous, Rio Tinto et l’État. On peut considérer que c’est l’union de deux forces. Nous sommes une très grande force logistique ; Rio Tinto, une très grande force minière. Et l’État, qui est là comme régulateur, est aussi le propriétaire final du chemin de fer. Nous avons donc bon espoir que cet accord va constituer une avancée.
L’État a obtenu de prendre 15 % de participation dans les futures infrastructures. Qu’en pensez-vous ?
L’État a toujours le loisir d’entrer dans les sociétés lorsqu’il est question de grandes infrastructures. En outre, alors que chacun des deux acteurs privés engagés a ses propres contraintes et ses propres modalités de fonctionnement, cela va certainement permettre un meilleur ajustement parce que le dialogue sera permanent.
NOUS DEVONS NOUS CONCENTRER SUR LA CONSTRUCTION ET VEILLER À CE QUE CE SOIT FAIT DANS LES RÈGLES DE L’ART.
In fine, êtes-vous satisfait ?
Nous sommes satisfaits du moment que le Transguinéen, la ligne de chemin de fer qui va évacuer le minerai, se construit. Nous ne cherchons pas à prendre la plus grande part dans le projet. Pour nous et pour moi personnellement, la seule véritable victoire, c’est la construction du Transguinéen.
La conclusion de cet accord est-elle synonyme de levée de la suspension de l’exécution des travaux ? Les aviez-vous d’ailleurs arrêtés, étant donné que tout s’est passé rapidement ?
Dès l’instant où une décision est prise en Conseil des ministres, nous la respectons, et nous avons donc suspendu les travaux. Maintenant que nous avons trouvé un terrain d’entente, la situation est débloquée. On ne peut que s’en féliciter.
Même si elle a été brève, la suspension aura-t-elle un impact sur le calendrier de finalisation des travaux ?
Une suspension de quinze jours aura un impact d’au moins quinze jours. C’est le minimum. Nous n’avons pas encore évalué en détail ses conséquences.
Quel était l’état d’avancement du projet avant la suspension ?
Il suit un échéancier très précis. Avant la suspension, nous espérions faire les premiers essais d’expédition de minerai de fer au quatrième trimestre de 2024, et commencer la commercialisation au premier trimestre de 2025. Douze sociétés s’occupent de la construction du chemin de fer, qui ont chacune un calendrier également très précis et dont les équipes techniques suivent l’exécution. Nous recevons des rapports hebdomadaires qui sont toujours en conformité avec le chronogramme.
NOUS AVONS UN AVANTAGE COMPÉTITIF : LE MINERAI DE FER GUINÉEN EST DE TRÈS BONNE QUALITÉ.
Certains redoutent une baisse du prix du minerai de fer au cours des dix prochaines années. D’autres, plus optimistes, misent sur les besoins qu’a la Chine de diversifier ses sources d’approvisionnement. Qu’en pensez-vous ?
Il est difficile de faire des prévisions. Il y a toujours des évènements inattendus : les épidémies, la guerre en Europe… Ce que nous devons faire, c’est nous concentrer sur la construction de l’infrastructure, veiller à ce que ce soit fait dans les règles de l’art, dans les meilleures conditions techniques et financières.
Ensuite, sachant que le fer est un minerai stratégique pour les industries mondiales, on pourra toujours le commercialiser. Mieux, nous avons un avantage compétitif : en Guinée, le minerai est de très bonne qualité. Tout cela nous incite à être relativement confiants. Cependant, aucun analyste ne peut dire de manière certaine comment les cours du fer évolueront.
LE RESPECT DES CONVENTIONS EST UNE CONDITION NÉCESSAIRE POUR LA POURSUITE DES INVESTISSEMENTS.
Au lendemain de son installation au pouvoir, le colonel Doumbouya a assuré qu’il respecterait les conventions minières. Quelles sont vos relations avec les nouvelles autorités ?
On s’en tient aux faits et, pour le moment, nous restons confiants. Le respect des conventions est une condition nécessaire à la poursuite des investissements. De même que la stabilité. Tous les acteurs doivent respecter leurs obligations et veiller à ce que leurs droits soient préservés : l’État, les communautés, les investisseurs… Cet équilibre permet l’exécution des projets.
Dans un entretien avec Jeune Afrique début mars, le Premier ministre Mohamed Béavogui a déclaré : « Au regard de ce que prévoit le code minier, les conventions existantes nous font perdre des milliards et des milliards… Il est temps que nos partenaires paient ce qu’ils nous doivent. » Que lui répondez-vous ?
Nos conventions ont été négociées longuement, durant des mois. Celle sur Simandou représente un an de négociations. Sans compter que, dans l’appel d’offres international que nous avons remporté étaient déjà posées nombre de règles très strictes et de conditions préalables. D’ailleurs, nos concurrents internationaux ont élégamment salué notre victoire.
Ensuite, nous avons commencé à travailler avec une équipe assez pléthorique de négociateurs de la partie guinéenne, où étaient représentés un grand nombre de départements impliqués : mines, budget, transports, douanes, impôts… À l’issue des négociations, les conventions ont été ratifiées par l’Assemblée nationale. Et nous sommes en train de les exécuter.
LES NÉGOCIATIONS ONT ABOUTI À DES CONVENTIONS FAVORABLES À L’ÉTAT ET ACCEPTABLES POUR NOUS.
Nos conventions – qui sont d’ailleurs disponibles en ligne, à la portée de tout le monde – sont les dernières à avoir été signées et ratifiées. Elles sont donc un peu plus avantageuses pour l’État : les premiers présents étant les mieux servis. Comme nous sommes arrivés après les autres sur ce projet Simandou, les négociations ont abouti à des conventions favorables à l’État, et acceptables pour nous.
Respectez-vous toutes vos obligations conventionnelles ?
Absolument ! Et il y en a un grand nombre. De toute façon, il y a un suivi très important de la part de l’administration. Et nous avons nos conseils, experts et consultants internationaux en matière administrative, juridique, d’étude d’impact environnemental, etc., pour y veiller.