Missionnaires d'Afrique

François Richard M.Afr
Archiviste Rome

Ceux qui sèment dans les larmes…

Centenaire de la fondation de Nzérékoré (Guinée)

Les Pères Blancs avaient reçu la mission d’évangéliser le Sahara et le ‘Soudan français’. N’ayant pas pu traverser le Sahara, ils pénétrèrent en Afrique de l’Ouest en remontant le fleuve Sénégal, puis en descendant le fleuve Niger. Le territoire du Vicariat apostolique était extrêmement vaste et couvrait les pays actuels du Mali, du Burkina, du Niger, le nord du Bénin, du Togo, du Ghana et une partie de la Guinée actuelle. En 1895, ils fondèrent les postes de Ségou et de Tombouctou. Mgr Toulotte voulait également ouvrir assez rapidement une mission au sud du Vicariat, dans un lieu ou l’islam ne s’était pas encore implanté, et où la terre était fertile et permettrait une exploitation agricole susceptible d’apporter des revenus pour aider à faire vivre le Vicariat. C’est ainsi que dès décembre 1896, trois confrères ouvrirent une mission à Bouyé, près de Kankan, dans la région du Kissi. Les débuts furent prometteurs, mais très vite, en 1901, cette partie de la Guinée fut transmise aux Pères Spiritains.

Fondation de Guecké
Mgr Lemaître, successeur de Mgr Toulotte, n’abandonna pas le projet d’une fondation dans la forêt guinéenne dans “un centre bien peuplé et se prêtant à une entreprise agricole”. C’est ainsi que le 8 septembre 1914, après une longue recherche, les Pères choisissaient Guecké, en pays Gerzé, dans l’ouest de la Guinée, près du Liberia et de la Côte d’Ivoire. Le P. Bouyssou, le P. Garlantezec, et le Frère Aloys Heitz s’y installèrent le 19 janvier 1915. Ils s’investirent aussitôt dans les constructions, dans les contacts avec les voisins, et dans l’étude de la langue.

Difficultés de la mission
Frère Aloys Heitz.Mais la mission ne va pas se développer aussi facilement qu’ils l’espéraient ; En effet, les difficultés vont s’amonceler :
En juin, les Pères sont mobilisés pour la première guerre mondiale. Ce n’est qu’après l’armistice, en 1919, que les deux Pères retrouveront leur mission.

Ils étaient très loin de leurs responsables à Ségou ou Bamako. Ils étaient loin également de tout débouché sur le monde extérieur et donc de tout centre d’approvisionnement.

Le plus gros obstacle est la langue : il n’existe ni vocabulaire, ni grammaire. La langue guerzé est très différente des langues qu’ils ont apprises au Soudan (malinke, bambara). L’apprentissage est long et laborieux. Ce n’est que 15 ans plus tard qu’ils acquerront une bonne maîtrise de la langue. Ils doivent tout découvrir : aussi bien la culture, que les croyances ou la structure sociopolitique. Il faudra attendre les années cinquante pour avoir une production sérieuse d’études linguistiques et des publications de textes bibliques ou catéchétiques.

Les changements sont trop fréquents : à Guecké entre 1914 et 1934, il y a eu 12 confrères différents. Cela ne facilitait ni la connaissance des gens, ni celle de la langue ni la compréhension de la culture locale.
Leur manque de compréhension de la culture les mène à des condamnations hâtives de coutumes, comme par exemple le rite d’initiation, et à entrer en conflit avec les autorités traditionnelles. Lentement ils s’appliqueront à en comprendre la valeur, jusqu’à ce que le Père Lassort reçoive une ‘initiation d’honneur’ et négocie un modus vivendi avec les responsables de la structure initiatique.

Père  Armand Bouyssou.L’exploitation agricole, au moins pendant les premières années, leur prenait beaucoup de temps et d’énergie. Il faut savoir que l’exploitation couvrait 75 hectares. En 1931, les Pères peuvent se vanter d’avoir planté : 10 700 kolatiers, 6 200 caféiers, 1 000 cacaoyers, 250 thuyas, 75 manguiers et une centaine d’orangers auxquels il faut ajouter une pépinière : 2 700 caféiers, 2 000 cacaoyers, 500 kolatiers, 2 400 tecks et 100 thuyas.

Au début, les Pères se plaignent aussi du manque de persévérance des catéchumènes. Mais il faut admettre qu’il fallait bien du courage pour écouter des instructions données par des gens qui ne maîtrisaient pas la langue et qui parlaient de vérités bien abstraites. Mais, après des débuts difficiles, les Guerzé feront preuve de beaucoup de constance et de générosité dans leur engagement chrétien.

Des débuts laborieux
En dépit de ces obstacles, nos fondateurs se mettent courageusement au travail. Hélas, le diaire de Guecké ne nous est pas parvenu, aussi sommes-nous dans l’impossibilité de suivre nos pionniers au jour le jour. Mais nous avons le texte des rapports qu’ils envoyaient chaque année à Maison-Carrée.

Lisons en quelques extraits : Voici ce qu’ils écrivent en 1921 (soit trois ans après leur nouvelle installation) “La mission de Guecké en est toujours à la période de préparation et d’attente. On n’y a pas encore commencé l’évangélisation directe. Cette année a donc encore été employée à l’étude de la langue et de la population qui nous entoure. Nous nous rapprochons des Guerzé et les amenons à prendre contact avec nous. Tel a été le but poursuivi. Les portes et les cœurs sont lents à s’ouvrir”. Suivent deux pages sur les travaux entrepris, ce qui montre bien comment les engagements matériels ont retardé l’évangélisation. D’ailleurs, dans le rapport de l’année suivante (1922) ils disent : “La station de Guecké n’existe qu’à titre d’exploitation agricole”.

Père J.-Marie Garlantezec.En 1923, on sent que l’apostolat commence à prendre son essor : “Les travaux matériels ont retardé l’œuvre principale de l’évangélisation. Mais dès que cela a été possible, nous nous sommes d’abord mis à traduire en guerzé les principales prières et des textes du catéchisme… Nous avons ensuite organisé quelques sorties et quelques catéchismes à la mission. Six villages sont ainsi visités régulièrement depuis quelques mois. Nos Guerzé nous entendent volontiers leur parler de Dieu, de l’éternité, du salut, des grandes lois de la morale naturelle. Peu à peu ils se laissent approcher.

L’année suivante, on commence timidement à récolter les premiers fruits : Les 11 villages que nous catéchisons ont continué à recevoir chaque semaine la visite du Père. Les Guerzé, sauf quelques rares exceptions, sont encore loin de comprendre la nécessité, ou même l’utilité de s’instruire de notre sainte religion. Dix-sept postulants ont été admis à la médaille des catéchumènes le jour de Pâques”. Et on inaugurait aussitôt pour eux la messe paroissiale du dimanche suivie du catéchisme. Bref, on sent que l’œuvre missionnaire a vraiment commencé !

Premiers fruits
Dès 1926, on perçoit qu’on a atteint un point de non-retour : le chroniqueur se vante d’avoir plus de cinquante catéchumènes réguliers et de même une bonne cinquantaine d’assistants réguliers à la messe dominicale “pendant laquelle on dit le chapelet et chante quelques cantiques”. Et surtout, enfin, à Noël 1927, ont lieu les trois premiers baptêmes suivis de trois autres à Pâques 1928.

Un autre signe d’espoir vient de la mission de Samoé qui a été ouverte en 1930 et dont les premiers pas semblent prometteurs.

Father Paul Lassort.Cinq ans plus tard, en 1933, la mission est enfin sur ses rails : “Notre petite chrétienté s’est encore augmentée de 10 nouveaux membres à Noël. Puis des naissances vinrent encore les accroître, ainsi que des baptêmes qu’on croyait être ‘in articulo mortis’. Nous nous trouvons avoir actuellement 70 chrétiens indigènes…. Ils nous donnent satisfaction… En un an, la mission a fait un grand pas. Sans avoir encore un mouvement de la masse totale, nous pouvons l’envisager pour un temps prochain. En tout cas, nous avons dès maintenant un mouvement de masse parmi les jeunes gens…

Nos 1548 catéchumènes viennent de cinq cantons différents et sont répartis dans 56 villages…”

La Préfecture apostolique, puis le diocèse de Nzérékoré
Le 9 mars 1937, soit un peu plus de 20 ans après l’ouverture de Guecké, la communauté chrétienne s’est suffisamment affermie pour se détacher de Bamako et devenir une entité autonome, une Préfecture apostolique, sous la responsabilité de Mgr Augustin Guérin. Il y a alors trois paroisses : Siguiri avec 520 baptisés, Guecké avec 346, et Samoé avec 156.
En 1951, la Préfecture est confiée à Mgr Maillat. Le territoire est modifié : trois paroisses (Siguiri, Kenieran et Dabadougou) sont intégrées à la Préfecture de Kankan (Spiritains) alors que la paroisse de Balouma quitte Kankan pour rejoindre Nzérékoré.

Huit ans plus tard, en 1959, la Préfecture, qui compte environ 445 000 habitants dont 175 000 musulmans, deviendra le diocèse de Nzérékoré. Il y a alors 8 paroisses, avec 36 succursales. On compte 3 767 baptisés, 1 133 catéchumènes et 2 939 postulants. À leur service se dévouent : 53 prêtres, 26 Religieuses, 5 Frères, 121 catéchistes et 35 enseignants.

L’expulsion des missionnaires étrangers
Le 1er mai 1967, le Président Sekou Touré décrétait que les étrangers devaient quitter le territoire national avant le 1er juin. Nos 40 confrères durent quitter le pays. Mais l’Église ne succomba pas. Les catéchistes relevèrent le gant, aidés par des prêtres et religieuses togolais, dahoméens, sénégalais et voltaïques venus à la rescousse pour continuer l’œuvre des 76 membres de notre Société missionnaire qui ont travaillé ici entre 1914 et 1967, et dont huit sont encore vivants. Leur engagement missionnaire permet aux chrétiens du diocèse de Conakry de célébrer aujourd’hui leur centenaire dans la joie et l’action de grâces.

François Richard