Afrique de l’Ouest : Goïta, Doumbouya, Damiba… Le temps des colonels  

Au Burkina comme en Guinée, et comme cela avait auparavant été le cas au Mali, les ultimatums fixés par la Cedeao ont expiré sans que les militaires au pouvoir n’infléchissent leurs positions. Assimi Goïta, Mamadi Doumbouya et Paul-Henri Sandaogo Damiba… Portraits croisés de putschistes décomplexés.

 

Mis à jour le 26 avril 2022 à 10:44
 
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De g. à d. : le Malien Assimi Goïta, le Burkinabè Paul-Henri Sandaogo Damiba et le Guinéen Mamadi Doumbouya. © MONTAGE JA : Francis Kokoroko/REUTERS ; ANNE MIMAULT/REUTERS ; JOHN WESSELS/AFP

Beaucoup s’accordaient pour le dire. Plus d’un demi-siècle après les indépendances, l’Afrique de l’Ouest semblait bien engagée sur la voie de la démocratie. Alternances dans plusieurs pays, reconnaissance de leur défaite par les perdants, participation importante des citoyens… Certes, tout n’était pas parfait – loin de là -, mais les élections étaient devenues la routine. Le temps des coups d’État, à son apogée entre les années 1960 et le début des années 1990, semblait révolu. Et les images de militaires déboulant en armes dans les palais, puis annonçant à la télévision nationale la mise en place d’un comité à l’acronyme à rallonge, appartenir au passé.

En septembre 2015, le général Gilbert Diendéré ratait son coup contre les autorités de transition au Burkina Faso et rendait le pouvoir, en s’excusant, une semaine seulement après l’avoir pris par la force. Après ce « coup d’État le plus bête du monde », plusieurs observateurs faisaient la même analyse : les putschs militaires ne passent plus en Afrique de l’Ouest.

Et pourtant. Cinq ans plus tard, une série de coups d’État dans des capitales francophones ébranle ce constat.

 

Sueurs froides

Premier épisode au Mali, le 18 août 2020. Ce jour-là, le régime d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), de plus en plus contesté malgré sa réélection deux ans plus tôt, est renversé en quelques heures par l’armée sous les vivats des Bamakois. Dans leurs palais, plusieurs présidents commencent à avoir des sueurs froides et craignent que ce coup réussi et populaire fasse des émules dans leurs propres états-majors. Il en fera.

Le 5 septembre 2021, en Guinée, c’est au tour d’Alpha Condé, vivement critiqué pour son troisième mandat, d’être arrêté par des militaires. Là encore, tout Conakry applaudit. Cette fois, la question devient brûlante : qui sera le prochain sur la liste ? Réponse : Roch Marc Christian Kaboré qui, tout juste réélu mais contesté pour son incapacité à endiguer l’insécurité au Burkina Faso, démissionne sous la pression de l’armée le 24 janvier 2022. Là encore, nombre de Ouagalais saluent sa destitution par les militaires.

 

Anciens enfants de troupes

Tous ces putschs ont pour point commun d’avoir été menés par de “jeunes” quadragénaires, colonels ou lieutenants-colonels, aux profils relativement similaires : le Malien Assimi Goïta, le Guinéen Mamadi Doumbouya et le Burkinabè Paul-Henri Sandaogo Damiba. Tous ont été formés à l’étranger et ont dirigé des forces spéciales ou d’élite.

Goïta et Damiba, longtemps à la tête de troupes sur le terrain face aux groupes jihadistes, ont aussi pour caractéristique commune d’être des anciens enfants de troupes, passés respectivement par le prytanée militaire de Kati et le prytanée militaire de Kadiogo, avant de poursuivre des formations d’officier.

Tous partagent également une forme de patriotisme et de souverainisme, ce qui fait oser à certains la comparaison avec d’illustres aînés qui ont marqué l’histoire du continent : les capitaines Thomas Sankara et Jerry John Rawlings.

« Dans ces trois pays, les chefs étaient devenus totalement illégitimes. En les déposant, les colonels ont en quelque sorte restauré la légitimité de l’État », analyse un diplomate ouest-africain. IBK, au Mali, et Roch Marc Christian Kaboré, au Burkina Faso, étaient perçus, malgré leurs réélections, comme incapables de contrer l’offensive des groupes jihadistes qui gangrenaient leurs pays. Et, en Guinée, Alpha Condé n’était plus respecté depuis le tripatouillage constitutionnel qui lui a permis de briguer un troisième mandat en octobre 2020.

DANS CES TROIS PAYS, LES CHEFS ÉTAIENT DEVENUS TOTALEMENT ILLÉGITIMES

« Si IBK, Kaboré et Condé étaient aussi critiqués par leurs compatriotes, c’est aussi parce qu’ils ont été incapables de tenir leurs promesses respectives, poursuit notre interlocuteur. Les deux premiers sur le retour de la sécurité et de l’autorité de l’État, le troisième sur l’instauration de la démocratie, qu’il a honteusement bafouée après s’en être fait le héraut pendant des années. »

 

Grandes déceptions

De ces promesses non tenues sont nées de grandes déceptions parmi les populations. Alimentant au passage la défiance grandissante à l’égard des dirigeants, déjà considérés comme corrompus et coupés des dures réalités quotidiennes dans leurs tours d’ivoire. « En Afrique de l’Ouest, il y a un discrédit total de la classe politique et, in fine, de la démocratie, estime une source française qui suit la région. Les opinions publiques, bien souvent jeunes, n’y croient plus. Dans ce contexte, l’armée incarne la seule forme d’alternance à peu près solide et structurée. Et nous nous retrouvons alors avec des colonels au pouvoir, sans qu’ils y soient vraiment préparés. »

Une fois installés dans le fauteuil des chefs qu’ils ont démis, Goïta, Doumbouya et Damiba ont repris les vieilles antiennes que des cohortes de putschistes avaient répétées avant eux : concertations des “forces vives” de la nation, mise en place de nouvelles institutions, refondation de l’État… À ceci près que, là où il y a encore quelques années les transitions duraient douze mois ou à peine plus, les jeunes colonels réclament désormais des baux bien plus longs. Cinq ans pour Goïta (soit l’équivalent d’un mandat présidentiel au Mali), trois pour Damiba… Quant à Doumbouya, plus de six mois après son arrivée au pouvoir, il n’a toujours pas donné d’indications sur la durée de sa présence au palais de Sékhoutouréya. « Quand on les entend demander ça, il est difficile de ne pas penser qu’ils ont un appétit pour le pouvoir, souffle notre diplomate ouest-africain. L’agenda des transitions n’est rassurant dans aucun de ces pays. »

LA CEDEAO FAIT DU MALI UN CAS D’ÉCOLE CAR, S’IL EST MAL GÉRÉ, CE SERA ENCORE PLUS COMPLIQUÉ AVEC LA GUINÉE ET LE BURKINA FASO

Face à cette nouvelle génération de putschistes décomplexés, la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), souvent accusée d’être un syndicat de chefs d’État défendant leurs privilèges, semble impuissante. Par principe, elle a condamné ces trois putschs et a immédiatement suspendu le Mali, la Guinée et le Burkina Faso de ses instances. Puis des missions de médiation sont intervenues et des « chronogrammes » ont été réclamés, demandant l’organisation d’élections dans un « délai raisonnable ». Le tout sans grand effet.

 

Dérives autoritaires

Mais si Doumbouya et Damiba ont jusqu’à présent bénéficié d’une certaine clémence, ce n’est pas le cas pour Goïta. Depuis son second coup d’État, le 24 mai 2021, qui lui a permis d’avoir les pleins pouvoirs à Bamako, la junte malienne réclame une transition de cinq ans. Une position inacceptable pour les présidents des pays membres de la Cedeao. Le 9 janvier, ils ont adopté des sanctions économiques et financières très dures contre le Mali, qui vit depuis sous un sévère embargo. « La Cedeao fait du Mali un cas d’école car, s’il est mal géré, ce sera encore plus compliqué avec la Guinée et le Burkina Faso. Nous avons affaire à de jeunes officiers, tous colonels, qui ont une vision pour leur pays. Il faut les aider à ce que cette vision soit celle qui réponde au désir réel des peuples », estime Robert Dussey, le ministre des Affaires étrangères du Togo, qui plaide pour des compromis “au cas par cas”.

En Guinée, beaucoup commencent à s’interroger sur la lenteur de Doumbouya, qui a mis près de six mois à instaurer le Conseil national de transition (CNT), et son mode de gouvernance opaque. Au Mali et au Burkina Faso, l’arrivée des militaires au pouvoir n’a, sans surprise, pas mis un terme aux attaques meurtrières des groupes jihadistes, alors que l’une de leurs principales promesses était justement de rétablir un semblant de sécurité dans leurs pays. La junte malienne a aussi suscité une vague de réprobation, aussi bien en Afrique qu’en dehors du continent, en faisant le choix de recourir aux mercenaires de la nébuleuse russe Wagner.

LE PROBLÈME EST QUE CES GENS SONT CULTURELLEMENT PLUS RÉPRESSIFS QUE DES CIVILS

« Les nombreux problèmes auxquels ils sont confrontés ne peuvent évidemment pas se régler d’un coup de baguette magique, estime un responsable ouest-africain. Mais le temps passe et un certain scepticisme commence à émerger. Après avoir soulevé un espoir de changement, les colonels risquent de susciter, eux aussi, d’importantes déceptions. Le problème est que ces gens n’apprécient guère d’être contestés et qu’ils sont culturellement plus répressifs que des civils. »

De fait, la junte malienne est souvent pointée du doigt pour ses dérives autoritaires. Des opposants politiques ont été intimidés, d’autres arrêtés. Les journalistes, eux, sont quasiment réduits au silence. Le 17 mars, les autorités maliennes ont suspendu la diffusion de France 24 et RFI, accusés d’avoir diffusé de « fausses allégations » d’exactions commises par l’armée malienne.

En Guinée, les arrestations de proches d’Alpha Condé et les saisies des maisons de Sidya Touré et de Cellou Dalein Diallo, sous prétexte de récupération de ses domaines par l’État, ont aussi fait couler beaucoup d’encre.

Au Burkina Faso, le lieutenant-colonel Damiba, lui, ne s’est pas encore illustré dans ce domaine. Mais nul doute que, s’il venait à durcir son pouvoir, il serait confronté à la société civile et à la presse burkinabè qui figurent parmi les plus actives de la sous-région.