Vous êtes invité, M. le Commissaire !

Lettre ouverte au Commissaire européen chargé du développement et de l'aide humanitaire, M. Louis Michel.

Quand j'ai appris, M. le Commissaire, que vous étiez attendu à Ouagadougou, début mars, pour le lancement de la programmation de l’aide au développement du 10ème FED (Fonds Européen au Développement) lors du séminaire régional  avec les pays d’Afrique de l'Ouest, j'ai essayé d'en savoir plus. J'ai voulu me rendre sur votre site web personnel. J'ai été renvoyé sur le site officiel de la commission européenne. Vous y signez un joli texte, où nous pouvons lire :

" Ce n'est pas l'impossible qui désespère,
mais le possible non atteint "

 Cette assertion, je la fais mienne. Le monde dans lequel nous vivons est loin d' être parfait. Trop d'êtres humains souffrent. Trop peu se voient proposer une vision pour leur futur. Mais ce qui est vraiment insupportable, c'est que les besoins de base ne soient pas assouvis pour un grand nombre de personnes. C'est que nous manquions parfois à notre élémentaire devoir d'humanité. C'est que nous évitions de faire ce qu'il nous est possible de faire. La question du développement est plus criante aujourd'hui que jamais. En Afrique sub-saharienne et en Asie du sud, plus de 40% de la population vit toujours sous le seuil de pauvreté. .../...  Face à ce constat, la priorité est et reste la lutte contre la pauvreté et le développement durable. La politique de développement de l'UE est basée sur le principe d'un développement soutenable, équitable, qui implique aussi un volet social et humain.  (Fin de citation)

Je suis pleinement d'accord avec vous. Un développement durable, soutenable et équitable est tout à fait possible en Afrique de l'Ouest, et spécialement au Burkina Faso. Un partenariat entre partenaires qui se respectent, entre l'Europe et l'Afrique de l'Ouest, pourquoi pas ?

J'ai appris aussi, qu'à Brazzaville, lors du lancement du premier séminaire de ce type vous avez dit : « Aujourd’hui, l’Europe met plus que jamais le partenariat au centre de son action. Nous lançons un dialogue politique entre partenaires qui se respectent, pays par pays, région par région.  »

Mais comment se fait-il, qu'ici, nous ne percevons pas la réalité de cette façon ?

Vous venez nous parler de développement, mais nous n'entendons parler que d'accord de libre-échange. Vous nous parlez de partenariat, mais qui, à la commission européenne est à l'écoute des demandes de l'Afrique ? Qui est à l'écoute de la société civile ?

Vous dites : « Nous serons à l’écoute des priorités qui nous serons communiquées en termes d’actions pour le développement. »

Voici quelques propositions qui devraient vous permettre d'être à l'écoute de la société civile, et donc de respecter une des nouveautés des accords de Cotonou.

1) Avant le début de l'atelier, allez visiter un commerce d'alimentation générale. Vous allez y découvrir des montagnes de produits importés. Vous aurez du mal à trouver des produits burkinabè. Peut-être en cherchant bien, allez-vous trouver des yaourts marqués "Produits du Burkina". Ne vous y trompez pas, ils ont bien été fabriqués au Burkina, mais à partir de lait en poudre importé.

Et maintenant, au milieu de tous ces produits importés, posez-vous cette simple question : le Burkina (et l'Afrique de l'Ouest), pour assurer son développement, a-t-il besoin de se protéger davantage (par exemple par des taxes à l'importation plus élevées) ou de libéraliser davantage son commerce (par exemple en signant des accords de libre-échange avec l'Europe). Ne doit-il pas, en priorité, récupérer son marché ?

2) Vous venez à Ouagadougou, pour lancer la programmation de l'aide au développement du 10ème FED. Ce 10ème FED couvre la période allant de 2008-2013.  Comme par hasard, cette programmation commence en 2008, donc juste à la date prévue par l'Europe pour la mise en application des Accords de Partenariat Economiques (APE; accords de libre-échange entre les pays ACP et l'Union Européenne). C'est pourquoi l'Europe espère bien signer ces accords avant la fin de l'année 2007.

Pourtant, tout indique que cette date ne convient pas à l'Afrique de l'Ouest. L'intégration régionale (à l'intérieur de l'espace de la CEDEAO + la Mauritanie) est loin d'être achevée. La Côte d'Ivoire, un des moteurs du développement de cette région, est en panne, car coupée en deux. Mais rien n'y fait. L'Europe veut imposer son calendrier, sans souci des intérêts de son "partenaire" !

Vous êtes reconnu comme un expert en développement. Vous saurez donc vous faire notre avocat auprès de vos collègues de la commission chargés du commerce pour leur rappeler que chacun reste l'acteur de son propre développement. Et donc, que celui qui veut aider un partenaire à avancer doit respecter le rythme de ce partenaire.

3) Nous aurions encore beaucoup de choses à partager avec vous. Mais pour ne pas alourdir cette lettre, je m'en tiendrai à une dernière proposition. Puisque nous savons que vous êtes attaché à la notion de transparence, sans laquelle il n'y a pas de bonne gouvernance, nous vous proposons de participer à un débat public avec des représentants de la société civile. Ce débat, nous allons l'organiser. Nous allons tout faire pour qu'il ait lieu dans de bonnes conditions. Vous êtes dès maintenant invité à y participer.

Persuadés que nous sommes que vous répondrez positivement à notre invitation, nous vous transmettons nos salutations les meilleures et nous vous disons à bientôt.

Maurice Oudet
Le 17 février 2006

 

P. S. du 15 mars 2006. Le débat n'a pas eu lieu. La télévision nationale - qui a toujours le statut de service public - n'a pas trouvé l'espace horaire nécessaire, tout en nous proposant - contre la modique somme de un million de FCFA ! - de faire quelque chose après le départ du commissaire européen... Le grand public n'est toujours pas informé sur ces Accords de Partenariat Economique qui se trament dans son dos...