Remède à la misère pour certains, l’or transforme en profondeur la société guinéenne
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L’orpaillage attire des Guinéens de toutes les régions, mais aussi bien au-delà des frontières du pays, avec une promesse pas toujours respectée : améliorer rapidement les conditions de vie.
De notre envoyé spécial à Dabola,
Dans la cour d’un hôtel de Dabola, dans le centre de la Guinée, trônent trois motos de la marque indienne low cost TVS. Couvertes de bâches transparentes, elles sont emballées minutieusement comme des objets fragiles lors d’un déménagement. Leurs propriétaires veulent les protéger de la poussière. Cette terre rouge qui s’infiltre partout. Sur ces 125 centimètres cubes très peu confortables pour les longues distances, les jeunes conducteurs parcourent le pays pour rejoindre les différents sites d’orpaillage qui parsèment la Guinée. Selon le ministère des Mines, le pays disposerait de réserves potentielles estimées à 700 tonnes d’or. Les sites d’extraction sont surtout concentrés dans le centre et le nord-est, mais on en trouve aussi dans la région de Kounsitel, près de la frontière avec le Sénégal, où la découverte du précieux métal a provoqué, au printemps 2021, une ruée sur la zone. Des milliers de personnes ont rapidement débarqué, pelle et batée sous le bras.
Sa paire de rangers lui donne une allure d’aventurier. L’un des garçons attache fermement un immense cabas à l’arrière de sa moto. Les gestes sont rapides, trahissent l’habitude. À côté, sa passagère laisse des traces de rouge à lèvres en tirant sur le filtre de sa cigarette. Spectateur silencieux jusqu’ici, un employé de l’hôtel profite de leur départ pour enfin desserrer la mâchoire : « C'est Dieu seulement qui sauve. Vous voyez des fillettes qui fument, abandonnent leur famille et se jettent à travers le pays dans la délinquance, qui se soûlent la gueule… »
Dans les hôtels, sur la route, les chercheurs d’or sont visibles partout à Dabola et ses alentours. Ceux que l’employé s’autorise à juger sont aussi ceux qui remplissent les chambres de l’établissement où il travaille, ceux qui lui permettent de toucher son salaire à la fin du mois. L’économie locale profite largement de l’exploitation de l’or comme à Wassaya, village à 200 kilomètres de Dabola, près de la ville de Kouroussa.
Métier dangereux
« Ici, tu ne trouves pas de petites coupures, que des billets de 5 000 [un peu plus de 50 centimes d’euro, NDLR]. Tout est cher. Le Doliprane coûte deux fois le prix normal », précise un habitant de la région. Les mines sont des puits étroits de dix mètres de profondeur, qui se prolongent ensuite en galeries où la lumière du soleil ne perce jamais l’obscurité.
Il faut s’enfoncer loin sous terre pour suivre le filon, explique Lanfia, 42 ans, un orpailleur dont les moindres recoins de la peau et des vêtements sont couverts d’une fine pellicule blanche. Les hommes passent leur journée à remplir des paniers. Attachés à des cordes, ils sont ensuite remontés à la surface par des femmes, le plus souvent. Elles portent les lourdes charges sur la tête et slaloment avec une dextérité angoissante entre les trous vertigineux jusqu’à l’endroit où la terre est lavée afin d’en extraire les paillettes d’or.
Ces derniers mois, les accidents se sont succédé dans ce type de mines en Guinée. Un éboulement a fait au moins une dizaine de morts le 1er mars à Kounsitel. « Ça fait six, sept ans qu’il n’y a pas eu d’accident mortel ici, tempère l’orpailleur. Le dernier en date a été causé par l’alcool. Un trou était devenu dangereux. Un homme est resté sur place après le travail, il était soûl. Il a vu qu’il y avait un peu d’or et il a voulu descendre. Il y est resté, celui qui l’accompagnait a perdu sa jambe. »
Avant, Lanfia était chauffeur et s’il pouvait retourner à son ancien métier, il le ferait volontiers. « Ce travail-là est dangereux, c’est très difficile. C’est mon dernier espoir de survie. » Il peut faire « deux mois, trois mois » sans rien gagner et finir par toucher le pactole. Empocher plusieurs centaines d’euros en quelques jours de travail seulement.
Des sommes qui ont attiré vers les mines des populations pauvres de toute la sous-région. Si les locaux sont largement impliqués dans l’exploitation artisanale ou semi-industrielle, sur les sites d'orpaillage, on croise facilement des Guinéens venus d’autres régions, mais également des ressortissants d’autres pays, du Burkina Faso, du Sénégal, de Côte d’Ivoire… Tous espèrent sinon faire fortune, au moins améliorer leurs conditions de vie, mettre de l’argent de côté pour un projet.
Si « partir à l’aventure », comme disent les Guinéens, favorise l’émancipation d’une frange de la jeunesse, cela peut aussi provoquer des ruptures brutales au sein des familles. Les conséquences sociales sont alors très lourdes. « Des jeunes partent du jour au lendemain, quittent leurs proches et coupent les ponts, car ces derniers ne veulent pas les voir travailler dans ce domaine », explique un jeune Conakryka originaire de la forêt. Dans un village de la Haute-Guinée, un habitant raconte l’histoire d’une mère qui a abandonné mari et enfant pour aller chercher de l’or. Le métal jaune traîne une réputation sulfureuse. Dans l’esprit de beaucoup de Guinéens, les zones aurifères seraient dangereuses. Un discours xénophobe s’exprime : les étrangers auraient fait exploser le taux de criminalité. Les femmes qui fréquentent ces régions sont systématiquement suspectées de se prostituer.
Champs désertés
À 200 kilomètres plus au nord, on entre à Siguiri dans un nuage de poussière, signe d’une intense activité minière. Ville carrefour, dernier centre urbain avant la frontière malienne, son économie repose en partie sur le commerce. Son autre source de revenus, c’est l’or, réputé pour sa qualité et exploité depuis le Moyen Âge, au moins. « L’or qui a rendu l’empire du Mali si riche, c'est l’or du Bouré de Siguiri », rappelle à RFI le professeur d’histoire Mamadou Dindé, vice-recteur chargé de la recherche à l’université Julius Nyerere de Kankan.
Le paysage n’a pas toujours été aussi sec et désertique. Il fut un temps où des forêts, des rizières s’étendaient à perte de vue. Tout a changé au début des années 2010 quand les gens ont commencé à se lancer dans l’extraction. Siguiri se trouve alors au cœur d’une ruée vers l’or, se remémore un jeune de la ville, diplômé en géologie, mais qui n’a jamais trouvé d’emploi en rapport avec sa formation. « Jusqu’à présent, l’État n’arrive pas à les maîtriser. » La population a abandonné l’agriculture au profit de l’orpaillage, plus lucratif. « Elle a délaissé ses champs. Je me rappelle, durant mon enfance, on allait tous cultiver le riz. » Le développement chaotique du secteur, qui s’accompagne d’un usage déraisonnable de l’eau notamment, implique une destruction rapide de l’environnement. « Les chercheurs d’or utilisent du mercure, les mines industrielles ont recours au cyanure et beaucoup d’autres produits qui sont très néfastes pour l’organisme et polluent la nature. Il y a le problème également de la déforestation. » L’éducation souffre aussi. Le travail des enfants, très courant dans les mines, a éloigné les petits Guinéens de l’école.
Le vendredi est le jour de la vente de l’or au marché de Siguiri. Kadiatou*, 22 ans, est venue échanger deux grammes, le fruit d’un jour de travail à la mine. Elle récupère une liasse de billets qu’elle s’empresse de recompter. Elle a obtenu un peu plus de 950 000 francs guinéens, l’équivalent de 100 euros environ, qu’elle va partager avec son père et sa mère. Ce qui reste va lui permettre de payer sa scolarité. Elle ne veut pas travailler dans l’orpaillage toute sa vie. Elle veut devenir agent technique de santé (ATS).
Avec elle, nous partons visiter les mines de Bouré Doubaya, village à une vingtaine de kilomètres au nord de Siguiri. Ici, l’extraction est moins risquée, pas de galeries, la terre est dégagée au bulldozer avant d’être nettoyée. Cette tâche n’en est pas moins pénible. De l’eau jusqu’aux genoux, en plein soleil, la maman de Kadiatou agite sa batée, suivant des mouvements circulaires, au-dessus d’un petit bassin. Avant de se retrouver ici, elle vendait des vêtements en ville, mais beaucoup de clients demandaient des crédits et il était souvent difficile de se faire payer. « Il n’y a rien d’autre à faire à Siguiri. Enfants, femmes, hommes, c’est ça que tout le monde fait », souffle cette patronne d’une petite entreprise d’orpaillage informelle et semi-industrielle qui possède des machines et fait travailler quatre employés.
Croisé quelques mètres plus loin, un Burkinabè de 24 ans, en Guinée pour payer sa faculté de médecine au Maroc. « C’est le manque de moyens qui amène les étudiants dans les mines d’or », assure-t-il. Les conditions de vie sont spartiates. Il dort sur place, à la belle étoile, avec son ami. Le « campement » se résume à une bâche et les traces noires du feu de la nuit précédente. « La fraîcheur est un peu intense », confie-t-il dans un sourire. « Avant toute chose, le plus important, c'est le courage. » Pour pouvoir travailler ici, il doit verser chaque semaine 200 000 francs guinéens, un peu plus de 20 euros, à « des gens du village ». Mais ce ne sont pas les seuls à profiter de cette rente, les forces de sécurité prélèvent aussi leur part, au moment de quitter le pays notamment, affirme le jeune homme. « À la frontière [entre la Guinée et le Mali], si tu es Burkinabè, on t’attrape et on te demande de payer. Quand tu montres tous les papiers, on te dit : "Pas besoin de papiers, c’est l’argent qu’on veut". » Il aurait déjà été contraint de donner 2 millions de francs guinéens, l’équivalent de 200 euros, pour traverser.
Mais il n’est pas non plus à l’abri à Bouré Doubaya. Il vit dans la crainte de se faire saisir son matériel ou d’être arrêté par les militaires, même si une certaine solidarité s’exprime. Il arrive que les habitants préviennent les étrangers quand ils savent qu’une descente des autorités va avoir lieu. Le jeune homme se donne quelques mois avant de rentrer au Burkina Faso avec un peu d’argent, juste assez pour continuer ses études, espère-t-il.