Agriculture, climat : à Abidjan, Macky Sall et Mohamed Bazoum montent au créneau

En clôture de l’Africa CEO Forum, les présidents sénégalais et nigérien ont pointé les insuffisances des réponses de la communauté internationale aux défis auxquels sont confrontés les pays du continent.

Par  - Envoyé spécial à Abidjan
Mis à jour le 14 juin 2022 à 21:36

 

Macky Sall, Mohamed Bazoum et Tiémoko Meyliet Koné au panel de clôture de l’ACF à Abidjan, le 14 juin 2022.

 

« Comme l’Europe l’a fait pour continuer à s’approvisionner en gaz russe… » Ni plus, ni moins. Devant près d’un millier de participants venus assister au panel présidentiel de clôture de l’Africa CEO Forum* organisé les 13 et 14 juin à Abidjan, le président Macky Sall a pointé le deux poids deux mesures dont souffrent les économies africaines du fait de la crise en Ukraine.

Selon le chef de l’État sénégalais, les exemptions aux sanctions financières contre Moscou appliquées par les États européens pour poursuivre le commerce énergétique avec Moscou devraient également être mises en œuvre pour permettre aux pays africains de continuer à s’approvisionner en engrais et en blé. « Nous sommes une victime collatérale de cette situation, en raison des faiblesses de nos économies », a poursuivi le leader sénégalais, lors de son intervention aux côtés de son homologue Mohamed Bazoum du Niger et de Tiémoko Meyliet Koné, vice-président de la Côte d’Ivoire depuis la fin avril.

Punition climatique

Prolongeant la critique adressée par Macky Sall aux partenaires internationaux – entendre occidentaux – du continent, dont les prêts concessionnels sont « insignifiants » au regard des besoins de financements de l’irrigation, Mohamed Bazoum a rappelé que le Niger disposait d’un programme déjà prêt pour promouvoir l’exploitation de ses ressources en eau de surface et de sous-sol. « La difficulté a été de disposer des ressources financières à investir », a plaidé le président nigérien.

IL EST INCONCEVABLE QUE CEUX QUI ONT EXPLOITÉ PENDANT PLUS D’UN SIÈCLE LE PÉTROLE, LE CHARBON ET LE FUEL EMPÊCHENT LES PAYS AFRICAINS DE VALORISER LEURS RESSOURCES

Ce dernier n’a d’ailleurs pas manqué de souligner une autre inconséquence des partenaires externes du continent : cette fois dans le domaine climatique. Reprenant une critique adressée lors de la COP26 de Glasgow, en novembre 2021, et alors fortement applaudi par les participants africains, le chef de l’État nigérien a insisté sur le rôle de la crise climatique dans la détérioration de la situation sécuritaire. Regrettant que l’engagement de 100 milliards de dollars d’aides annuelles promises lors de la COP21 à Paris pour aider les pays du Sud à faire face à la crise climatique ne soit jamais matérialisé, le président nigérien s’est ému du parti pris contre les énergies fossiles.

« Des banques étaient prêtes à consentir des crédits à certaines entreprises qui souhaitaient exploiter le charbon du Niger et lui permettre de répondre à ses besoins en énergie. Aujourd’hui, il n’y a plus aucune banque prête à le faire. Nous sommes punis. C’est une injustice », a regretté le président nigérien. Même écho chez son homologue sénégalais. Si ce dernier a rappelé que le renouvelable représente aujourd’hui 31 % du parc énergétique du Sénégal, Macky Sall a affirmé : « Il est inconcevable que ceux qui ont exploité pendant plus d’un siècle le pétrole, le charbon et le fuel empêchent les pays africains de valoriser leurs ressources ».

Risque sécuritaire

Particulièrement en verve, le chef de l’État sénégalais, également président en exercice de l’Union africaine (UA), a aussi abordé le sujet – adjacent si l’on en croit la lecture de Mohamed Bazoum – du risque sécuritaire.

« La question de fond est celle du financement de la lutte contre le terrorisme », a noté Macky Sall. « En Asie, en Libye, il y a des coalitions mondiales pour lutter contre le terrorisme. Sur les théâtres africains, peu de pays s’engagent. Le financement de cette lutte revient au Conseil de sécurité des Nations unies dont le premier rôle est d’assurer la paix et la sécurité dans le monde », a pointé le chef de l’État sénégalais.

Approche continentale

Participant également à cette rencontre, Makhtar Diop, directeur général de la Société financière internationale (IFC), est lui aussi revenu sur le lien entre crises climatiques et conflits. En réponse, il a insisté sur le besoin d’une « approche continentale et d’une intégration plus structurée et forte du secteur privé » dans une lutte contre le changement climatique « dirigée vers l’adaptation, la maîtrise de l’eau […] et la planification urbaine et l’aménagement territorial.

Sur une note plus optimiste, le vice-président ivoirien Tiémkoko Meyliet Koné a insisté sur les progrès réalisés lors de la 15e Conférence des Nations unies sur la désertification et la sècheresse (COP 15) organisée en mai à Abidjan, à laquelle ont participé directement ou à distance 196 gouvernements. Une preuve de « l’intérêt et de la considération » suscités par ces questions. « Des résultats sont attendus et seront appliqués par bon nombre de pays », a indiqué l’ancien gouverneur de la BCEAO.

« La COP15 a été précédée par un sommet des chefs d’État qui a validé et  l’accord d’Abidjan. Il s’agit d’un modèle qui peut permettre à tous les États de mettre en place un système de reforestation et de lutte contre la désertification », a-t-il rappelé.

*Le Africa CEO Forum est co-organisé par Jeune Afrique Media Group