Soixante ans après l’indépendance, Oran s’ouvre tandis que l’Algérie reste fermée
La deuxième ville d’Algérie, qui accueille actuellement les Jeux méditerranéens, veut se tourner vers l’avenir. Mais soixante ans après l’indépendance du pays, les Oranais sont de plus en plus nombreux à partir, lassés d’attendre un changement démocratique.
Azeddine Habz, le champion de France du 1 500 m, a titillé le public du stade olympique d’Oran en remportant, samedi 2 juillet, cette épreuve phare de l’athlétisme aux Jeux méditerranéens. La bronca qui a suivi l’a contraint à vite rejoindre les coursives. Il avait sans doute tenté de venger Nathan Ismar et Sébastien Micheau, ses deux compatriotes du saut en hauteur, abondamment sifflés la veille à chaque saut.
« Deux Algériens étaient en course pour le podium de la hauteur, certes, mais leurs autres rivaux n’ont pas été traités de la sorte. C’est désolant », a déploré Seddik Touaoula, ancien champion junior de la discipline. Soixante ans après l’indépendance, célébrée mardi 5 juillet, la relation entre l’Algérie et la France demeure « compliquée ».
Des atouts pour briller
La deuxième ville du pays est toute fière d’accueillir les 19e Jeux méditerranéens, ses 3 500 participants venus de 26 pays du bassin méditerranéen. Oran, à l’inverse d’Alger où est attendu un grand défilé militaire ce 5 juillet, veut se tourner vers l’avenir. Elle a des atouts pour briller. La ville a largement profité des meilleures années Bouteflika et du pétrole à plus de 100 dollars le baril : nouveaux quartiers, pôle d’affaires, hôtels et tours luxueuses, tramway et rocades autoroutières ont donné un nouvel éclat à une cité aux ambitions de mégapole. « Les athlètes étrangers auxquels on a fait visiter les magnifiques sites de la ville étaient étonnés de découvrir un tel patrimoine », se félicite un membre du comité d’organisation.
Les Oranais ont eu beau, aidés par une forte migration interne, envahir les sites des compétitions et faire de Jeux « mal engagés sur le plan de la préparation » un succès populaire, ils seront finalement restés entre nationaux. À la tombée de la nuit, sur le front de mer pris d’assaut, pas le moindre touriste étranger. L’Algérie demeure l’un des pays les plus enclavés du continent. À la proche frontière marocaine fermée depuis 1994, s’est ajoutée celle fermée avec la Tunisie. Pour les revenus en devises, « l’espoir est ailleurs », soupire Karim Chérif, le président du groupe hôtelier Eden, qui espère que l’été sera « sauvé par notre diaspora qui n’a pas pu venir depuis plus de deux ans ». Le prix prohibitif du billet d’avion entre l’Europe et l’Algérie a déjà tempéré bien des ardeurs. Les Oranais redoutent déjà la dépression d’après les Jeux et les festivités de l’anniversaire de l’indépendance.
La « harga » plus que jamais
Rafik a la trentaine. La barbe taillée et le visage brûlé par le soleil, il raconte, attablé à une terrasse, son calvaire de leader local du Hirak (le « mouvement ») qui a fait tomber le régime de Bouteflika en 2019 et continue de contester l’intronisation d’Abdelmadjid Tebboune : « À chaque fois que je suis ici avec des amis, la police nous interpelle. Ils nous ont pourri la vie. » Comme ailleurs dans le pays, la désillusion, après les espoirs d’un changement démocratique, déconstruit les projets de vie : « Je me suis surpris à penser à partir moi aussi. J’ai pourtant encore mon emploi. Autour de moi, beaucoup d’amis du Hirak ont fui la répression. Ils sont de l’autre côté. »
L’« autre côté », ce sont les côtes espagnoles, à moins de six heures en hors-bord puissant. « La harga (migration clandestine) a repris beaucoup plus fort qu’avant le Hirak. Il y a toutes les nuits ou presque une demi-douzaine de bateaux semi-rigides qui partent avec dix personnes à bord. Faites vos comptes. » Les passeurs prennent l’équivalent de 4 000 €. Tout le monde n’arrive pas en Espagne, les drames en mer sont fréquents. « À Oran, tout le monde sait que les jours qui viennent seront plus durs. Mais on aime cette ville et ce pays, et ce n’est pas nous qui devons partir, ce sont ceux qui ont vidé l’Algérie de ses enfants », se ravise Rafik.