Guinée : Mamadi Doumbouya et le difficile apprentissage du pouvoir

Le bras de fer se poursuit entre Conakry et la Cedeao, qui a décidé, le 22 septembre, d’imposer des sanctions à la Guinée. Le président de la transition évolue sur une ligne de crête, il le sait, mais reste pour l’instant campé sur ses positions. À quel prix ?

Par  - à Conakry
Mis à jour le 17 octobre 2022 à 16:37
 
 mamadi

 

 

Le colonel Mamadi Doumbouya lors du Conseil des ministres, le 15 septembre 2022. © Présidence de la Guinée

 

Pour la deuxième fois, Mamadi Doumbouya a présidé la fête d’indépendance, le 2 octobre. Si tout se passe conformément au calendrier annoncé par le Conseil national de transition (CNT), il en aura encore deux autres à célébrer en tant que chef de l’État. Il s’est toutefois senti un peu obligé de répéter qu’il n’entendait pas jouer les prolongations. « Les forces de défense et de sécurité et les membres du gouvernement n’ont aucune intention de confisquer le pouvoir », a assuré le militaire, qui a toujours dit à ses interlocuteurs qu’il n’était pas là « pour blaguer avec le pouvoir ».

À LIRECedeao : vers de nouvelles sanctions pour le Mali et la Guinée ?

Mamadi Doumbouya sait qu’à Conakry – et ailleurs – certains commencent franchement à en douter. Le « bénéfice du doute » qui lui avait été accordé à sa prise de pouvoir lui a été retiré depuis longtemps et, dans la sous-région, la patience de ses pairs semble avoir atteint ses limites. Réunie à huis clos en marge de l’assemblée des Nations unies le 22 septembre, la Cedeao a d’ailleurs décidé d’imposer à la Guinée un régime de sanctions graduelles : rappel des ambassadeurs accrédités à Conakry, suspension de « toute assistance en transaction financière » et sanctions individuelles ciblées.

Contre les « diktats »

Selon nos informations, aucune de ces sanctions n’est encore entrée en vigueur. La Guinée a jusqu’au 22 octobre pour revenir à « une durée de transition raisonnable et acceptable », c’est-à-dire inférieure aux trois ans jusque-là annoncés. Dans l’entourage présidentiel, on semble déterminé à ne pas subir les « diktats » de la communauté régionale, qualifiés de « diversion ». Mamadi Doumbouya et ses proches sont convaincus d’avoir « des affaires plus urgentes à gérer ».

Peu disposé à se laisser intimider, le colonel continue donc sa course au pas de charge pour refonder l’État guinéen. À la tête des Forces spéciales depuis 2018, le président de la transition s’agace de voir qu’un pays ne se dirige pas comme une troupe. À Mohamed Béavogui, fonctionnaire expérimenté qui a fait carrière aux Nations unies initialement choisi pour la primature, il a finalement préféré Bernard Goumou, un comptable issu du privé, choisi pour sa discipline et sa capacité à faire du chiffre.

ILS SONT PEUT ÊTRE DE BONNE FOI, MAIS ILS VONT DROIT DANS LE MUR

Ses équipes civiles ont elles aussi pris le pli. Désormais, toutes ne jurent que par l’EFR, l’« effet final recherché ». La formule, empruntée au vocabulaire de l’armée, illustre cette volonté de Mamadi Doumbouya de produire du résultat visible, le plus vite possible. Sur les ruines de l’ancien domicile de l’opposant Cellou Dalein Diallo, qu’il a fait raser sans sommation, il a déjà fait construire une école. Dans la cité ministérielle de Conakry, les constructions fleurissent sur les terrains appartenant à l’État que le colonel a récupérés. Et tant pis pour ceux que cela dérange. Si on devait trouver un équivalent civil à l’EFR, ce serait peut-être ce vieil adage qui dit que l’on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs.

À LIREGuinée : qui aide Cellou Dalein Diallo à assurer sa survie politique ?

« Ils sont peut être de bonne foi, mais ils vont droit dans le mur, tranche un ancien responsable de l’administration de l’ex-président Alpha Condé. Ils manquent de vision géostratégique. » Il en veut pour preuve les vives réactions provoquées par le communiqué virulent de Bernard Goumou contre le Bissau-Guinéen Umaro Sissoco Embaló, qui assure la présidence tournante de la Cedeao. « La France et l’Occident ont tout à perdre à s’ingérer dans les affaires guinéennes et vont forcément s’aligner derrière la Cedeao », poursuit-il.

La France embarrassée

Les relations entre la France et la Guinée ont beau s’être renforcées depuis le départ d’Alpha Condé du pouvoir, Paris observe sans nul doute d’un œil anxieux les derniers développements à Conkary. Si l’ancienne puissance colonisatrice se félicite évidemment du « rééquilibrage vers l’Ouest » du président-colonel, le virage autoritaire opéré par le Comité national de rassemblement pour le développement (CNRD) inquiète.

« Doumbouya cherche à endiguer la puissance des Turcs, des Chinois et des Russes, qui ont largement bénéficié des années Condé, observe une source occidentale à Conakry. Il ne supporte pas que le pays soit un casino à ciel ouvert et ne rate pas une occasion de les remettre à leur place. » Pour preuve, le bras de fer qui a opposé le président et les exploitants de la mine de fer de Simandou – finalement remporté par Doumbouya.

À LIREGuinée : l’État prend 15 % des infrastructures du Simandou

Depuis sa prise de pouvoir, l’ancien légionnaire, que certains appellent « le Français », a fait de son deuxième pays une puissance pivot. Côté sécuritaire, il compte sur Paris pour renforcer sa défense et sécuriser ses frontières, dans un contexte de menace terroriste croissante. Une « coopération militaire perlée » a d’ailleurs rapidement repris après le coup d’État, même si certaines des formations dispensées par les Français auraient été mises sur pause depuis le 22 septembre dernier. « Doumbouya surjoue son lien avec les forces armées françaises, son lien de cœur, mais ne maîtrise peut-être pas le cynisme de la diplomatie française. Il a peut-être l’intime conviction que ses amis ‘milis’ français vont le soutenir, mais en France, ce ne sont pas les militaires qui décident », ajoute l’interlocuteur cité plus haut.

« Pour nous, c’est difficile de travailler sans cadre, cela pose forcément des questions sur [les] intentions [de Mamadi Doumbouya], précise une source diplomatique européenne. L’absence de chronogramme, la répression des manifestations, la convocation de certains journalistes… Tout cela suscite la défiance. Il faut maintenant que l’on passe à la vitesse supérieure. Il y a de l’argent qui rentre dans les caisses, c’est vrai, et une redéfinition des contrats au bénéfice de la Guinée. Mais à part cela, on a beaucoup de promesses, et peu d’actions concrètes. »

La « vérité » du président

Mamadi Doumbouya a-t-il l’intention de sortir de ce « clair-obscur » dans lequel il a plongé la Guinée ? Le colonel sait qu’il peut compter sur le soutien de son homologue malien, Assimi Goïta, à qui il a réservé sa première sortie officielle en septembre. Lors des cérémonies du 2 octobre à Conakry, c’était au tour du Premier ministre malien, Abdoulaye Maïga, accompagné d’une importante délégation, d’être l’invité d’honneur. Entre le soutien malien, les revenus assurés par les mines, l’accès direct à la mer et le fait que la Guinée n’appartienne pas à la zone UEMOA, le président veut se croire à l’abri des retombées négatives d’éventuelles sanctions de la Cedeao.

C’EST UN TYPE BIEN, QUI N’AVAIT PAS FORCÉMENT MESURÉ LA DIFFICULTÉ DE LA TÂCHE

« Sa fierté militaire met la Guinée dans un corner, glisse une source à Conakry qui échange fréquemment avec le président. C’est un type bien, qui n’avait pas forcément mesuré la difficulté de la tâche. Il faut avoir un peu pitié de lui. » Qu’il l’ait prévu ou pas, cet homme que tous décrivent comme « entier », qui se réclame du Ghanéen Jerry Rawlings ou du Burkinabè Thomas Sankara, semble persuadé du bien-fondé de sa mission. « Il a beau être terre-à-terre, il a aussi une dimension mystique, une foi dans ce qu’il appelle la vérité. »

À LIREAfrique de l’Ouest : Goïta, Doumbouya, Damiba… Le temps des colonels  

La classe politique, elle, se plaint de n’être que peu associée à cette « vérité » présidentielle – en témoigne le boycott, par les principaux partis, du dialogue national dirigé par le Premier ministre. « Il aurait adopté une position plus démocratique et inclusive, il n’aurait pas rencontré une opposition si frontale. Il est désormais confronté à un problème de construction technique de ce qu’il veut réaliser. Mais il passe tellement de temps à se protéger qu’il n’a plus le temps pour gouverner », lâche un responsable du Rassemblement pour la Guinée (RPG, le parti d’Alpha Condé).

« Les choses dont on doit discuter, ce sont les étapes nécessaires à la conduite des élections : nouvelle Constitution, réforme du code électoral, choix des organes chargés de la gestion des élections, assainissement du fichier électoral… Tout cela devrait permettre d’établir un chronogramme et peut se faire en quinze mois, pas en trente-six », ajoute Fodé Oussou Fofana, le vice-président de l’Union des forces démocratique de Guinée (UFDG).

À LIREGuinée : négociations secrètes entre Mamadi Doumbouya et l’opposant Sidya Touré

Le parti de Cellou Dalein Diallo et ses alliés demandent également des « garanties » pour le retour des leaders politiques qui ont quitté le pays. « Si Cellou rentre et que Mamadi Doumbouya s’amuse à l’arrêter, ce sera la guerre civile », prévient le responsable du RPG. Une remarque qui fait écho à l’analyse d’un chercheur guinéen qui a requis l’anonymat : « Pour l’instant, les choses restent sous contrôle. Le pays est calme. Mais en période d’élections, il devient intenable. C’est pour cela que Doumbouya les repousse au maximum. »