États-Unis-Afrique : cinq questions pour comprendre l’influence de la MCC
Peu connue du grand public, Millenium Challenge Corporation est l’une des plus puissantes institutions de financement du développement. Plus de 60% de ses dons reviennent à l’Afrique.
LE DÉCRYPTAGE DE JA – Une opération inédite et un « gros chèque ». À la fin de septembre, la Millenium Challenge Corporation (MCC), une institution publique américaine d’aide au développement, a approuvé son premier « Compact » [accord de don] régional.
D’un montant de 504 millions de dollars, ce don vise à « réduire les coûts du transports sur le corridor allant du Port de Cotonou, au Bénin, à Niamey, la capitale du Niger », s’est réjouie l’agence que dirige Alice Albright, ex-dirigeante de l’Alliance du vaccin (Gavi) et du Partenariat mondial pour l’éducation.
Moins célèbre que sa plus ancienne consœur, l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), créée en 1961, MCC est également nettement moins bien dotée. Son budget annuel oscille autour de 900 millions de dollars. Par contraste, l’administration Biden a requis un budget de 29,4 milliards de dollars pour l’USAID au titre de l’année fiscale 2023 (octobre 2022-septembre 2023).
Bien qu’ayant un mandat beaucoup plus restreint qu’USAID (à titre d’exemple, 22% de son budget est destiné à l’assistance humanitaire), MCC occupe une place à part dans le dispositif de la coopération américaine. Elle finance en effet des projets précis aux coûts élevés, et conditionne son aide à la mise en œuvre de réformes de fond. Explications.
1 – En quoi MCC diffère-t-elle des autres institutions américaines d’aide au développement ?
Si le bilan de la présidence de George W. Bush en matière de politique étrangère reste marqué par la seconde guerre d’Irak, deux initiatives majeures sont considérées comme une réussite.
La première est PEPFAR, un programme d’aide d’urgence contre le VIH, qui permet aux séropositifs d’accéder à des traitements. Depuis sa création, en 2003, le PEPFAR a investi plus de 100 milliards de dollars dans la lutte contre le VIH, sauvant « plus de 20 millions de vies et prévenant des millions d’infections », selon le gouvernement américain.
La seconde initiative est la Millennium Challenge Corporation. Créée en 2004, la MCC a pour mission de « réduire la pauvreté grâce à la croissance économique, sans être encombrée par une multitude d’objectifs sectoriels », note l’analyste Nick M. Brown, du Service de recherche au Congrès des États-Unis.
Si l’USAID est, pour l’essentiel, un prolongement du département d’État, la MCC dispose d’une plus grande indépendance et sélectionne ses bénéficiaires à travers un processus aussi long que complexe. Ce dernier prend en compte le respect de « normes minimales, issues d’une gouvernance honnête et compétente », mais aussi l’ouverture de l’économie au secteur privé et le « sérieux des efforts » réalisés par les gouvernements pour répondre « aux besoins en matière de santé, d’éducation et autres besoins fondamentaux des populations », résume Carol J. Lancaster, du Centre for Global Development, dans son ouvrage L’aide étrangère de George Bush : Transformation ou chaos ?.
Par ailleurs, la MCC, à l’instar de DFC, autre bras armé de la diplomatie économique américaine, peut accorder des financements aux montants très élevés. Et, à la différence de cette dernière, la « Corporation » n’accorde que des dons et non des prêts. Elle n’exige pas non plus que le récipiendaire soit une structure enregistrée aux États-Unis.
2- Comment sont sélectionnés les pays et les projets ?
Deux processus clés déterminent quels seront les États et les projets éligibles aux dons de la MCC. Premièrement, les pays à revenus faibles et à revenus moyens-inférieurs sont évalués selon vingt critères, eux-mêmes groupés en trois catégories : « bonne gouvernance » (6 indicateurs), « liberté économique » (8 indicateurs) et « investissement dans le capital humain » (6 indicateurs). Parmi les critères utilisés figurent divers indices de lutte contre la corruption et de protection des droits civiques, les taux de vaccination des enfants et d’accès à l’éducation primaire, ainsi que la promotion de l’entrepreneuriat et du commerce international.
Deuxièmement, sur la base de leurs scores dans ces catégories, les pays cibles sont invités à réaliser un « diagnostic de croissance », censé identifier les principaux obstacles à une croissance tirée par le secteur privé, puis à proposer un programme permettant de lever spécifiquement un ou plusieurs de ces obstacles. C’est à partir de ce programme qu’un accord de don (« Compact Agreement ») est signé.
Les programmes de la MCC ont en outre la particularité d’être dirigés directement sur place par une structure locale, le Millenium Challenge Account, mise sur pied par les autorités nationales. Souvent présidée par un ministre de haut rang ou par un haut cadre de l’administration publique, cette structure est dirigée par une personnalité expérimentée et indépendante, sous la supervision de la MCC, qui approuve chaque financement pour chacune des étapes du projet.
En laissant aux pays bénéficiaires le choix de proposer leurs programmes, l’institution parie sur une plus grande implication (« buy-in ») de ces derniers. Les « Compacts » ont une durée de cinq ans maximum et ciblent un taux de rentabilité d’au moins 10%, généralement atteint, estime Nick M. Brown.
3 – Pourquoi parle-t-on d’un « effet MCC » ?
En raison des montants importants des dons (350 millions de dollars en moyenne), les futurs bénéficiaires sont prêts à engager des réformes majeures pour être éligibles. La plupart du temps, ces réformes portent sur la lutte anticorruption, la traçabilité des dépenses publiques, la transparence des procédures de passation de contrats et l’accès des enfants à la santé.
Les effets vertueux de cette course à l’excellence vont parfois au-delà du programme et sont qualifiés « d’effet MCC ». « Ces subventions de très grande qualité, planifiées et qui n’alourdissent pas le fardeau de la dette des pays, sont un outil puissant pour les États-Unis », explique Alice Albright.
« La Côte d’Ivoire a réussi à améliorer de manière significative ses performances sur les indicateurs de la MCC, passant de 5 à 14 (sur 20) entre 2011 et 2016, résultat couronné par l’approbation de son premier programme Compact. Il s’agit de l’une des améliorations les plus rapides et les plus marquantes réalisées par la MCC, qui désigne désormais la Côte d’Ivoire comme un “pays à effet MCC” « , s’était félicité le président Alassane Ouattara, en novembre 2017.
Ce premier « Compact » avec Abidjan porte sur un don de 524 millions de dollars, destiné à financer la création d’établissements d’enseignement secondaire et professionnel, ainsi que la réhabilitation d’infrastructures routières dans la capitale économique.
4 – Quels pays africains bénéficient des dons de la « Corporation » ?
Depuis 2004, la MCC a approuvé 15 milliards de dollars de dons par le biais de ses « Compacts » (14 milliards environ) et de ses « programmes de seuil ». Ces derniers, d’une durée de un à deux ans, accompagnent les pays dans l’amélioration de leur gouvernance et de leur score d’éligibilité aux « Compacts ».
À la fin de septembre 2021 (derniers chiffres consolidés), les « Compacts » signés et achevés représentaient un montant de 9,3 milliards de dollars, le reliquat portant sur des programmes en cours. Environ 25% des financements sont allés aux infrastructures de transport, 19% à l’énergie, 15% à l’agriculture, 13% à l’éducation et la santé, et 10% à l’eau et à l’assainissement. L’Afrique subsaharienne reçoit plus de 60% des dons.
Plusieurs pays africains figurent en effet parmi les « bons élèves » de la MCC. Au premier rang d’entre eux, le Maroc, qui a reçu, à date, les plus fortes subventions : 650 millions de dollars pour le premier programme (signé en août 2007) et 460,5 millions pour le deuxième (en vigueur depuis 2019, prorogé jusqu’en mars 2023 en raison de la pandémie de Covid-19).
Le Bénin est aussi l’un des pays favoris de l’institution, qui lui a accordé trois financements : 302 millions de dollars (2006), 391 millions (2015) et 202 millions dans le cadre du Compact régional avec le Niger.
Le Sénégal a obtenu deux financements de la MCC pour 540 millions de dollars (2010-2015) et 550 millions (2021-2026).
5 – Pourquoi certains États africains ont-ils été sanctionnés ?
De par ses statuts, la MCC est relativement indépendante des revirements de la politique étrangère des États-Unis et des interférences du département d’État et du Secrétariat au Trésor. Son Conseil d’administration est, certes, présidé par le ministre des Affaires étrangères et coprésidé par le ministre des Finances, mais quatre de ses neuf membres sont des représentants du secteur privé.
L’institution américaine peut néanmoins sanctionner les pays admis à ses programmes lorsque ceux-ci « violent les critères de performance », rappelle Nick M. Brown. Cela peut aller d’un relâchement dans la lutte contre la corruption à des coups d’État. Ainsi, la MCC a mis un terme à ses Compacts à Madagascar (2009) et au Mali (2012) après les putschs survenus chez eux. Les « programmes de seuil » avec le Niger (2009) et la Mauritanie ont subi le même sort.
Le Burkina Faso est l’un des États les plus pénalisés. Après avoir bénéficié d’un « programme de seuil » (12,9 millions de dollars, entre 2005 et 2008), puis d’un « Compact » de 481 millions, signé en 2008, le pays avait obtenu un deuxième programme quinquennal de 450 millions de dollars en août 2020. Ce dernier a été suspendu en mars 2022 puis éliminé en septembre en raison des coups d’État. Un « Compact » régional envisagé entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire pour le développement d’une ligne à haute tension entre les deux pays en pâtit également.
Enfin, en juin 2021, la MCC avait approuvé un « Compact » d’environ 500 millions de dollars en faveur de la Tunisie. Ce dernier n’a toujours pas été signé, en raison du coup de force institutionnel du président Kaïs Saïed, en juillet de la même année. La signature de l’accord reste en suspens « jusqu’à ce que la Tunisie retrouve le chemin de la démocratie », a indiqué l’agence américaine.