Au Nigeria, le malaise économique au menu de la présidentielle
Lors du scrutin du 25 février, qui de Bola Tinubu, d’Atiku Abubakar ou du challenger de gauche Peter Obi convaincra une population très jeune, souvent pauvre et presque toujours exaspérée par la corruption endémique ?
Le candidat du PDP Atiku Abubakar (G) et le candidat du Parti travailliste Peter Obi (2e G) à une cérémonie au cours de laquelle 18 candidats ont signé un engagement à assurer des élections pacifiques à Abuja, le 29 septembre 2022. © ADAM ABU-BASHAL/ Anadolu Agency via AFP
Il y a huit ans, l’élection présidentielle au Nigeria avait été marquée par l’enlèvement de 250 jeunes filles d’une école de Chibok par les jihadistes de Boko Haram. Cette catastrophe avait ému le monde entier, de Michelle Obama à Puff Daddy en passant par le tapis rouge du Festival de Cannes 2014 où Mel Gibson, Wesley Snipes ou Sylvester Stallone brandissaient le mot d’ordre de la campagne #BringBackOurGirls.
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L’émotion fut proportionnelle à l’incompétence du président Goodluck Jonathan en matière de sécurité dont l’évidence finit par lui coûter sa réélection. Le général Muhammadu Buhari entra alors dans l’histoire de son pays en devenant le premier homme à battre un président en exercice.
Buhari, qui s’était déjà présenté trois fois sans succès, a été vu comme le messie qui sortirait le Nigeria du marasme. Il promit de sauver les jeunes filles et de vaincre les militants islamistes de Boko Haram. Il affirma également qu’il s’attaquerait à la corruption qui avait caractérisé l’administration précédente, notamment à travers la mise en place d’un système de subventions de l’essence, et qu’il relancerait l’économie essorée par la chute des prix du pétrole.
Sa victoire s’explique aussi par le facteur ethno-religieux, central quand on parle de politique au Nigeria, et représenté par le gentlemen’s agreement connu sous le nom de « zonage », qui définit l’alternance du pouvoir entre le Nord et le Sud.
Le Nord avait été écarté du pouvoir pendant trop longtemps et ses dirigeants ont estimé qu’il était grand temps qu’un nordiste devienne président. Puis il y a eu une révolte des gouverneurs, au cours de laquelle Goodluck Jonathan a perdu le soutien de la plupart des États du Nord. Le Sud-Ouest, dirigé par Bola Tinubu, a également apporté ses voix pour que Buhari l’emporte.
Pauvreté, chômage des jeunes, naira faible…
Qu’en sera-t-il pour le prochain scrutin ? Le candidat du Parti travailliste Peter Obi soutient que le facteur ethno-religieux ne sera plus le sujet : « Je pense que cette élection sera davantage une question de caractère, de compétence, de capacité et d’engagement. Il n’est plus question de parti, d’ethnie, de religion ou de quoi que ce soit d’autre que la nécessité de sauver ce pays. »
Obi a raison dans le sens où aucune élection ne se ressemble. De manière inhabituelle, celle-ci est une course à trois chevaux. Obi est opposé aux candidats des deux principaux partis – Bola Tinubu pour l’All People’s Congress (APC) au pouvoir, et Atiku Abubakar du People’s Democratic Party (PDP). Tous ont leurs chances.
En dehors des problèmes de sécurité permanents, l’économie nigériane est en lambeaux. Ce problème est au premier plan de chaque discours de campagne des principaux prétendants.
Bien que l’administration Buhari ait consacré plus de 7 milliards de dollars à des programmes d’investissement social, au moins 133 millions de Nigérians vivent aujourd’hui dans une pauvreté extrême. Le taux de chômage est de 33 % et atteint près de 50 % chez les jeunes. Le naira stagne à un niveau historiquement bas, tandis que la subvention à l’essence n’a jamais été aussi élevée, avec plus de 40 millions de dollars dépensés quotidiennement de manière opaque.
L’énergie devrait être le moteur de l’économie d’un producteur de pétrole et de gaz comme le Nigeria. En réalité, on en est loin. Selon la Banque mondiale, les dysfonctionnements de l’alimentation électrique coûtent aux entreprises nigérianes près de 30 milliards de dollars par an. Seul 1 % de l’installation électrique totale de l’Afrique se trouve au Nigeria, et à peine 4 à 5 GW atteignent la population.
La plaie du pétrole
Les raffineries de pétrole de l’État restent comateuses, alors même que le pays souffre de pénuries d’essence périodiques ; la construction de la raffinerie promise depuis longtemps par le milliardaire Aliko Dangote n’a toujours pas démarré, les derniers rapports donnant la date de démarrage comme début 2023. Le gouvernement a présenté l’initiative de Dangote comme un signe de progrès tangible, mais dans la pratique, il a été beaucoup plus enclin à utiliser le pouvoir de l’État pour façonner la trajectoire économique du pays qu’à faire confiance au secteur privé.
Un cadre de Dangote a déclaré à Jeune Afrique/The Africa Report, sous couvert d’anonymat, que l’administration Buhari n’avait jamais été hostile, mais qu’elle s’était parfois montrée peu utile, notamment en semblant soutenir une série de raffineries publiques concurrentes au lieu d’aider Dangote à terminer la sienne.
Le 7e train de liquéfaction de gaz est en construction – géré par des actionnaires occidentaux – et devrait être aidé par la demande de gaz européenne, mais la signature par Buhari de la loi sur l’industrie pétrolière en 2021 arrive 20 ans trop tard, compte tenu des tendances actuelles en matière d’énergie verte. Le projet Bonga South West Aparo de Shell, par exemple, pourrait ne jamais voir le jour, tandis que TotalEnergies minimise les nouveaux investissements dans la prospection.
Le pays ne gagne pas d’argent avec le pétrole, selon la Banque centrale. On a récemment découvert de mystérieux pipelines qui siphonnent 400 000 barils de pétrole par jour. Par ailleurs, la dette n’a jamais été aussi élevée : le Nigeria paie désormais plus pour son service que pour ses revenus et emprunte plus mais uniquement pour la rembourser. Conséquence logique : les investissements directs étrangers ont fortement chuté tandis que la corruption s’est aggravée, malgré une augmentation des condamnations. À son crédit, Muhammadu Buhari a investi massivement dans les infrastructures, en construisant de nouvelles routes, des terminaux d’aéroport et des chemins de fer.
Il a également augmenté les recettes fiscales, ce qui a permis d’amortir l’effet des faibles recettes pétrolières. La production de riz a augmenté, mais le coût de cette denrée alimentaire de base aussi. L’inflation dépasse désormais 21 %.
Le parrain de Lagos
Comment les candidats se positionnent-ils sur l’économie ? Conscient des défis à relever, mais désireux de ne pas critiquer le bilan d’un président issu de son propre parti, Bola Tinubu mène une campagne de « regain d’espoir ». Il promet d’augmenter les recettes en utilisant le modèle qu’il a créé à Lagos, qui a permis de multiplier par 10 les recettes de l’État sous sa direction.
Il ne promet pas d’emprisonner les personnes corrompues. Au contraire, il affirme qu’il mettra en place un système de crédit qui améliorera l’accès au financement et réduira la tendance à la corruption. Il prévoit également de supprimer la subvention de l’essence et d’augmenter le recrutement dans l’armée pour résoudre le problème de la sécurité. De nombreux Nigérians restent toutefois méfiants à l’idée de réélire le candidat d’un parti qui n’a pas répondu aux attentes.
Le candidat des jeunes
Peter Obi se présente comme un candidat anti-establishment. L’ancien gouverneur de l’État d’Anambra est connu pour sa prudence dans l’exercice de ses fonctions et espère reproduire cela au niveau fédéral. Son mantra est « de la consommation à la production », ce qui signifie qu’il espère réduire les importations en stimulant la fabrication locale. Selon lui, cela permettra de créer davantage d’emplois et de réduire la pression sur les réserves de change du Nigeria, ce qui stabilisera la monnaie locale.
Il prévoit également d’investir massivement dans la sécurité afin que les agriculteurs puissent retourner sur leurs terres et augmenter la production et l’exportation de denrées alimentaires.
Jouissant d’une grande popularité auprès des jeunes urbains, membre de l’ethnie Igbo et seul chrétien à briguer la magistrature suprême, sa stratégie d’Obi vise à recueillir les suffrages dans les 11 États du sud-est et du delta du Niger dominés par les chrétiens. Il vise également les jeunes urbains et libéraux de Lagos, ainsi que la région chrétienne de la Middle Belt dans le nord et la capitale fédérale, Abuja. Cette démarche est très similaire au chemin parcouru par Jonathan vers la victoire lors du scrutin de 2011.
« Si vous allez dans tous les villages chrétiens du Nigeria, ils vous diront qu’ils soutiennent Peter Obi. On en parle dans toutes les églises », affirme Babachir Lawal, un ancien allié de Tinubu qui a été secrétaire de Buhari. Cependant, il aura du mal à s’imposer dans le noyau musulman du nord et dans les zones rurales du sud-ouest. Il ne dispose pas non plus d’une base populaire dans plusieurs États, et son parti n’est pas bien connu au niveau national.
Le vétéran
À 76 ans, l’ancien vice-président Atiku Abubakar est le plus âgé des candidats, et se présente pour la sixième fois, un record. Il dit avoir l’intention d’unifier le pays, qui a été le théâtre d’agitations sécessionnistes dans le Sud. Atiku prévoit également de vendre les installations gouvernementales délabrées, comme les raffineries de pétrole, et de privatiser purement et simplement la compagnie pétrolière nationale.
Pour lui, les régions devraient avoir davantage de contrôle sur leurs ressources, tandis que le secteur privé gèrerait l’économie laissant le gouvernement se charger de la régulation. Il pense que cela permettra de plus que doubler le PIB du Nigeria en quatre ans.
Du côté des pronostics, la popularité croissante de Peter Obi dans le sud chrétien, ainsi que la force de l’APC dans le nord musulman, restent des défis importants pour Atiku. Cette situation est aggravée par un sentiment largement répandu selon lequel le pouvoir devrait revenir au sud dans un esprit d’équité. « La politique est un jeu de chiffres. Chaque fois qu’il y a deux candidats principaux du Sud contre un candidat du Nord, le candidat du Nord gagne toujours. Et 2023 ne sera pas différent », affirme le journaliste Dele Momodu également porte-parole de la campagne d’Atiku.