Le départ de Sabre, un pas de plus vers la rupture entre le Burkina Faso et la France
Les autorités burkinabè demandent le départ des soldats français de leur pays. Depuis l’arrivée au pouvoir d’Ibrahim Traoré, les relations entre Ouagadougou et Paris n’ont cessé de se détériorer.
Manifestation contre la présence française au Burkina Faso, à Ouagadougou, le 20 janvier 2023. © OLYMPIA DE MAISMONT/AFP
Les relations franco-burkinabè n’en finissent plus de se tendre depuis l’arrivée au pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré. Après les attaques contre l’ambassade de France et l’Institut français pendant son coup d’État, fin septembre, les manifestations antifrançaises à répétition à Ouagadougou, ou encore la demande de départ de l’ambassadeur de France, Luc Hallade, début janvier, c’est aux forces spéciales françaises du dispositif Sabre d’être poussées vers la sortie.
Samedi 21 janvier, l’Agence d’information du Burkina (AIB) a indiqué que le gouvernement burkinabè demandait le départ des troupes françaises de son sol dans un délai d’un mois. Très vite, un document non authentifié censé émaner du ministère burkinabè des Affaires étrangères circule sur les réseaux sociaux et est repris par des médias locaux. Celui-ci « dénonce et met fin dans son entièreté à l’accord » passé entre la France et le Burkina Faso, le 17 décembre 2018, « relatif au statut des forces armées françaises » sur le territoire burkinabè.
« Il ne s’agit pas de la fin de nos relations diplomatiques »
Il faut encore attendre près de 48 heures pour que, ce lundi 23 janvier, le porte-parole du gouvernement confirme officiellement le souhait des autorités de transition burkinabè de voir les troupes françaises quitter leur pays. « Ce que nous dénonçons c’est l’accord qui permet aux forces françaises d’être présentes au Burkina Faso. Il ne s’agit pas de la fin des relations diplomatiques entre le Burkina Faso et la France », a précisé Jean-Emmanuel Ouedraogo, dans une interview sur la Radio-télévision du Burkina (RTB).
Jusqu’à cette déclaration, plusieurs sources militaires et diplomatiques françaises affirmaient n’avoir reçu aucune notification officielle de la part des autorités burkinabè. « Nous avons appris leur décision dans la presse. C’est tout de même une drôle de manière de faire pour revenir sur un traité international… », souffle une source au ministère des Armées. Dimanche 22 janvier, Emmanuel Macron avait même évoqué une « grande confusion » dans cette affaire et déclaré attendre des « clarifications » d’Ibrahim Traoré.
Nouveau revers
Pourtant, à Paris, personne n’a vraiment été surpris par cette décision. Voilà même plusieurs semaines que les autorités politiques et militaires françaises se préparent à un tel scénario. Depuis l’arrivée au pouvoir de Traoré par un coup d’État, le 2 octobre, plusieurs mouvements de la société civile le soutenant réclament le départ des quelque 300 membres des forces spéciales françaises qui composent le dispositif Sabre, basé à Kamboinsin, à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Ouagadougou. « Nous allons continuer à discuter avec nos partenaires burkinabè pour voir comment mettre en œuvre ce retrait, indique une source élyséenne. Mais comme nous l’avons toujours dit, nos troupes ne resteront jamais contre la volonté des autorités locales. »
Selon nos informations, le départ du dispositif Sabre du Burkina Faso est acté pour le 22 février. Depuis le retrait de ses soldats du Mali, en août 2022, la France a mis fin à l’opération Barkhane et est engagée dans une vaste réorganisation de son dispositif militaire en Afrique de l’Ouest. Des discussions sont actuellement en cours entre Paris et plusieurs capitales, à commencer par Niamey, intéressées par la perspective d’accueillir un nouveau détachement de forces spéciales françaises sur leur sol.
Pour la France, le coup n’en reste pas moins dur à encaisser. Après avoir été chassés du Mali par le colonel Assimi Goïta, les militaires français le sont désormais du Burkina Faso par le capitaine Ibrahim Traoré. Une nouvelle claque symbolique au Sahel, où le sentiment anti-français ne cesse de prospérer. Après Bamako, beaucoup, à Paris, redoutent que Ouagadougou bascule dans l’escarcelle russe. Et pour cause : depuis le mois de novembre, le régime de Traoré a entamé un rapprochement avec Moscou, avec l’appui des autorités maliennes. Des discussions ont même eu lieu entre des responsables burkinabè et la société militaire privée russe Wagner – lesquelles n’ont, pour l’instant, pas abouti.
Mission française
Le 10 janvier, Chrysoula Zacharopoulou, la secrétaire d’État française chargée du Développement, de la Francophonie et des Partenariats internationaux avait été dépêchée par Emmanuel Macron à Ouagadougou pour tenter d’arrondir les angles avec les autorités de transition burkinabè. Elle s’était longuement entretenue avec Ibrahim Traoré sur l’avenir des militaires français dans son pays ainsi que sur le rappel de l’ambassadeur Luc Hallade. D’après des sources burkinabè, le président de transition lui avait alors présenté une nouvelle mouture de l’accord de coopération et de défense qui prévoyait la fin de l’opération Sabre.
« La demande de départ de Sabre est une révision totale de l’action militaire burkinabè, basée sur le constat que ce qui a été fait n’a pas marché, analyse Rinaldo Depagne, directeur du projet Afrique de l’Ouest chez International Crisis Group (ICG). Les autorités de transition, qui sont confrontées à une situation dramatique, doivent apporter une réponse et ont choisi de réarticuler leur appareil sécuritaire pour combattre les groupes terroristes. Ils demandent donc aux Français de partir pour forger de nouveaux partenariats, notamment avec la Russie ou l’Iran. »
Manque de transparence
Au sein de l’état-major burkinabè, plusieurs officiers ne cachaient pas leur mécontentement à l’égard de Sabre. Leur principal grief concernait des vols non déclarés et le non-respect des plans de vols quand ils étaient fournis. Ils n’appréciaient pas le survol de zones d’opération par des aéronefs inconnus sur leur propre territoire, soupçonnant même leurs homologues français de jouer un double jeu. « Nous avons observé un manque de transparence lors de certaines opérations ou l’indisponibilité de Sabre pendant certaines phases tactiques cruciales », dénonce un gradé burkinabè. Ces problèmes ont conduit le capitaine Traoré et ses hommes à clouer au sol les aéronefs des forces spéciales françaises juste après leur arrivée au pouvoir, début octobre. En cause, notamment : des rumeurs persistantes sur l’existence d’une piste d’atterrissage secrète qui avait suscité un tollé et amené le gouvernement à annoncer l’ouverture d’une enquête.
Depuis plusieurs années, les responsables sécuritaires burkinabè s’insurgent régulièrement contre le survol de leur territoire par des aéronefs non identifiés. En 2019, à la suite de nouveaux survols de positions de l’armée, le général Moïse Minoungou, alors chef d’état-major général des armées, s’était vu obliger de mettre en garde les partenaires du Burkina Faso susceptibles de survoler les troupes déployées sur le front contre les groupes jihadistes. « Des aéronefs non identifiés survolent nos bases et zones d’opération (…) Des instructions ont été données aux unités déployées pour qu’ils soient considérés comme des ennemis et traités comme tels », avait écrit l’officier général dans une correspondance adressée à l’attaché de défense de l’ambassade de France.
Autre sujet de crispation entre les responsables des deux pays : le sort réservé aux prisonniers faits par Sabre dans le cadre de la lutte contre les groupes jihadistes. « Sabre interpellait des citoyens burkinabè et les auditionnaient avant même de les remettre à nos autorités », conclut une source militaire à Ouagadougou.