En mal d’espoir, le Nigeria retient son souffle avant la présidentielle

Les Nigérians élisent leur futur président ce samedi 25 février. Ce scrutin, qui s’annonce serré entre les trois favoris Atiku Abubakar, Bola Tinubu et Peter Obi, sera crucial pour l’unité nationale et l’avenir de la démocratie.

Mis à jour le 24 février 2023 à 17:02
 
 
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Chargement des boîtes de bulletins de vote à Kano, au Nigeria, avant l’élection présidentielle du 25 février 2023. © Kola Sulaimon / AFP

 

 

Samedi 25 février, plus de 87 millions de Nigérians sont attendus aux urnes. Pour succéder au président sortant Muhammadu Buhari, deux principaux candidats sur les dix-huit en lice : Atiku Abubakar, le représentant du principal parti d’opposition (People Democratic Party, PDP) et Bola Tinubu, celui du parti présidentiel (All Progressive Congress, APC). Entre ces deux partis traditionnels, un outsider fait office de trouble-fête : Peter Obi, qui pourrait bien créer la surprise et qui incarne déjà le symbole d’une insurrection politique.

La démocratie à la croisée des chemins

Depuis 1999, c’est la première fois que le Nigeria connaît une élection présidentielle avec trois favoris. Face au PDP et à l’APC, Peter Obi et son parti travailliste se sont frayé un chemin. Derrière eux : toute une tranche de la société nigériane lassée d’un vieux système partisan au service des élites et désireuse de changements profonds.

Pour certains, attachés au système démocratique nigérian, cette élection présidentielle pourrait bien être celle de la dernière chance. « La démocratie elle-même est en jeu sur ces élections », explique Idayat Hassan, directrice du Centre pour la démocratie et le développement, à Abuja. Désabusés par des années de gouvernance entachées de corruption, qui laissent un pays dans une situation économique et sécuritaire sans précédent, les Nigérians peinent à garder confiance en leurs dirigeants. « Si certains ne voient pas les résultats qu’ils attendent, ils pourront tourner le dos à la démocratie et migrer en dehors du pays », poursuit la chercheuse.

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Dans un sondage Afrobarometer Nigeria mené en 2022, 41 % des Nigérians affirmaient ne pas être satisfaits de la démocratie. Ce sentiment a eu une incidence directe sur le taux de participation aux dernières élections de 2019 : seulement 35 % des Nigérians concernés ont voté, malgré la mise en place de technologies censées faciliter le scrutin et le rendre plus transparent.

Insécurité et crise économique

Un désenchantement qui s’explique par l’incapacité de Muhammadu Buhari à redresser le pays. Premier candidat à battre un président en exercice, le chef de l’État sortant, 80 ans, avait pourtant soulevé une vague d’espoir lors de son arrivée au pouvoir en 2015. Au niveau sécuritaire d’abord, Buhari s’est révélé impuissant face à la montée de la violence et du crime organisé sur l’ensemble du territoire. Au terrorisme islamiste de Boko Haram, dans le Nord-Est, s’ajoutent des actes de banditisme qui se multiplient dans le Nord et des mouvements indépendantistes qui agitent le Sud.

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En parallèle de ces conflits ouverts, la conjoncture économique défavorable est au cœur des préoccupations des Nigérians. Malgré les investissements de Buhari, au moins 133 millions de ses compatriotes vivent dans une pauvreté extrême, avec un taux de chômage atteignant près de 50 % chez les jeunes. Une situation empirée par la réforme monétaire menée depuis la fin de l’année dernière, qui a entraîné une pénurie de billets, s’ajoutant à la pénurie d’essence qui paralyse le pays depuis plus d’un an.

L’UNITÉ NATIONALE DÉPEND DES RÉSULTATS DE CETTE ÉLECTION

Autant de problématiques traitées en priorité dans les programmes des principaux candidats. Tinubu, qui joue aux équilibristes avec l’héritage de son prédécesseur, promet notamment un recrutement massif dans les forces de sécurité et plus de partenariats avec le secteur privé. Une proposition également portée par son rival Atiku Abubacar, qui met aussi l’accent sur la hausse des investissements internationaux. Face à eux, Peter Obi tente de se présenter comme un meilleur gestionnaire et promet de « passer d’une économie de consommation à une économie de production ».

Fragmentations ethniques et religieuses

Au-delà de leurs programmes économiques, c’est bien l’appartenance ethnique et religieuse des candidats qui semble guider le choix des électeurs. « Le pays n’a jamais été aussi fragmenté », indique Hassan. Cette polarisation de la population, intensifiée par la rhétorique politique identitaire déployée par les candidats, est marquée par la rupture du consensus autour du principe de « zonage ».

Le zonage, accord tacite au Nigeria selon lequel la présidence doit alterner tous les deux mandats entre un candidat du Nord, majoritairement musulman, et un du Sud, majoritairement chrétien, n’a pas été respecté lors de ce scrutin. Atiku Abubakar est un musulman du Nord, comme Muhammadu Buhari. Quant à Bola Tinubu, il est lui aussi musulman.

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Dans un pays qui compte plus de 250 ethnies et où les tensions intercommunautaires sont fréquentes, l’équilibre se voit donc rompu. Les origines de Peter Obi, un chrétien du Sud-Est (Igbo), lui assurent une partie des votes chrétiens. Mais sans les voix du Nord où il reste inconnu, il a peu de chance de gagner l’élection. « L’unité nationale dépend des résultats de cette élection », estime Hassan.

Vote générationnel

Autre clivage de la société nigériane mise en lumière par la candidature d’Obi : la rupture générationnelle. Les 65 millions de jeunes nigérians n’ont pas vu, avec l’augmentation de leur population, leur représentativité politique accroître ou le nombre d’emplois augmenter. Frustrés par des institutions d’État perçues comme dominées par une élite vieillissante, ils avaient porté, en 2018, le projet de loi Not too young to run (Pas trop jeune pour se présenter) qui a réduit les limites d’âge pour se présenter à différentes élections.

Permettant un vote générationnel distinct, Peter Obi est vu comme une opportunité pour les jeunes nés sous l’ère démocratique, qui avaient violemment été réprimés lors du mouvement #EndSARS, en 2020. Regroupés sous le drapeau du parti travailliste dans un mouvement appelé les OBIdients, ils pensent avoir l’opportunité de casser l’hégémonie de l’APC et du PDP.

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Ce regain d’intérêt des jeunes pour la politique, sur lequel a surfé Peter Obi en soutenant notamment l’entrepreneuriat durant sa campagne, illustre une dynamique contraire au malaise démocratique. Les 18-34 ans, qui représentent près de 40 % des électeurs enregistrés, pourront-ils faire basculer le vote ?

L’hypothèse d’un second tour

Selon certains spécialistes, c’est un autre scénario, inédit, qui pourrait bien se concrétiser. Pour la première fois dans l’histoire du pays, il pourrait y avoir un second tour, dans l’hypothèse où aucun des candidats ne réussirait à obtenir la majorité des voix et plus de 25 % des voix dans au moins 24 des 36 États. Quel qu’il soit, le nouveau président du Nigéria devra prendre acte du changement de mentalité politique observé pendant la campagne et probablement faire face à des violences post-électorales.

En tout, un million de personnes sont mobilisées pour tenir les 170 000 bureaux de vote répartis à travers tout le territoire. Dans un contexte sécuritaire et économique tendu, les déplacements des Nigérians s’annoncent compliqués. Une fois encore, le taux d’abstention, subi plus que choisi, promet d’être élevé.