En Mauritanie, le film de l’évasion des terroristes
Une véritable chasse à l’homme a été lancée en Mauritanie pour retrouver les quatre jihadistes qui se sont échappés d’une prison de Nouakchott, le 5 mars, tuant deux gardiens. Qui sont-ils ? Comment ont-ils procédé ? Voici le récit d’une fuite minutieusement préparée.
Des militaires mauritaniens sécurisant le sommet de l’Union africaine, à Nouakchott, en juillet 2018. © Ludovic MARIN / POOL / AFP
Ce 5 mars, les détenus de la prison de Dar Naïm, dans le nord-est de Nouakchott, achèvent la prière du crépuscule. Chacun se met en rang, dans le calme, afin de regagner sa cellule. Mais, en bout de file, quatre hommes commencent à se battre. Alertés, quatre gardiens accourent aussitôt pour les séparer, mais l’un des prisonniers dégaine un pistolet automatique. Il tue l’un d’eux et blesse les trois autres, avant de les désarmer. Puis le petit groupe gagne la porte de la maison d’arrêt et tente de sortir, mais un autre gardien s’interpose. Il est lui aussi abattu.
Voiture volée
Après avoir réussi à quitter les lieux, les quatre prisonniers braquent un automobiliste et lui dérobent son véhicule – celui-ci, selon les enquêteurs, n’est pas un complice. Après avoir roulé quelques kilomètres, ils abandonnent la voiture volée et montent dans un autre véhicule qui les attendait à proximité. Et on perd leur trace.
À Dar Naïm, en moins de vingt minutes, un important dispositif sécuritaire est déployé. Les bâtiments administratifs situés à proximité sont bouclés. Le Bataillon de la sécurité présidentielle (Basep) encercle la présidence et délimite des périmètres de sécurité. À ce moment-là, le chef de l’État, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, se trouve à Doha, où il a pris part à la Conférence des Nations unies sur les pays les moins avancés. Mais la traque des fugitifs commence.
L’armée est déployée sur le territoire, et les postes-frontières sont aussitôt mis en état d’alerte. Dans la soirée, le ministère de l’Intérieur publie un communiqué indiquant que « quatre terroristes ont réussi à s’évader », avant d’ajouter que la Garde nationale « a immédiatement commencé à traquer les fugitifs afin de les arrêter au plus vite ».
La police s’appuie beaucoup sur la coopération de la population pour recueillir des informations. Des lignes téléphoniques spéciales ont été mises en service. En outre, dès le 6 mars, le réseau internet des téléphones portables a été coupé (et l’est toujours à l’heure où nous écrivons ces lignes).
Jihadistes d’Aqmi
Si le ministère de l’Intérieur n’a pas officiellement communiqué les noms des jihadistes, leur identité sera révélée quelques heures plus tard. Le premier s’appelle Cheikh Ould Saleck. Ce membre d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), originaire d’Atar, a fait partie en février 2011 d’un commando chargé de conduire trois camions remplis d’explosifs du nord malien vers Nouakchott, avant que le plan ne soit déjoué.
Comme l’avait ensuite indiqué l’organisation terroriste dans un communiqué, leur but était « d’assassiner le président Mohamed Ould Abdelaziz« . Condamné à mort en 2011, le terroriste avait déjà réussi à s’échapper, cette fois de la prison centrale, avant d’être capturé quinze jours plus tard en Guinée-Bissau.
Le deuxième est Mohamed Ould Chebih, lui aussi membre d’Aqmi (ex-Groupe salafiste pour la prédication et le combat). Il est l’un des responsables de l’attaque de Lemgheity, en 2005, qui avait coûté la vie à 17 militaires mauritaniens. Il a lui aussi été condamné à mort. À noter qu’en Mauritanie, si cette peine existe, elle n’est plus appliquée et donc commuée de fait en emprisonnement à perpétuité. La dernière exécution en date remonte en effet à 1987 : il s’agissait de trois officiers accusés de tentative de coup d’État contre le président Maaouiya Ould Taya.
Polémique
Quant aux deux autres fugitifs, ils ont eux aussi été condamnés, mais plus récemment et à une peine d’emprisonnement, pour des actes de terrorisme. Pour l’heure, l’enquête suit son cours. Des perquisitions ont actuellement lieu, notamment dans le quartier de Dar Naïm. Toujours selon nos sources, une femme, qui aurait introduit le pistolet dans la prison, a été arrêtée. Après avoir poursuivi son voyage aux Émirats arabes unis, puis en Arabie saoudite (à Médine), le président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani est rentré ce 7 mars à Nouakchott.
Cette évasion meurtrière n’a pas manqué de provoquer une polémique. Pourquoi des prisonniers aussi dangereux ne faisaient-ils pas l’objet de mesures spéciales de surveillance ? Comment se fait-il qu’ils soient incarcérés au cœur même de la capitale, alors qu’il y a d’autres centres de détention dans le pays ? Pour le moment, aucun remaniement sécuritaire n’a eu lieu.