Au Burkina Faso, la vie sous blocus jihadiste

Djibo, Pama, Nouna, Arbinda, Sebba, Diapaga… Ces derniers mois, le nombre de villes dont l’approvisionnement est rendu quasiment impossible à cause des groupes jihadistes ne cesse de croître.

Mis à jour le 16 mars 2023 à 16:59

 

Djibo

  

Vue aérienne de la ville de Djibo, dans le nor du Burkina Faso, le 18 février 2021. © Sam Mednick/AP/SIPA

 

Tougouri est tombée. Le 15 mars, vers 4 heures du matin, les femmes, hommes et enfants de cette ville du Centre-Nord du Burkina Faso ont vu des jihadistes envahir leur ville, les obligeant à fuir dans la précipitation. La prise de cette localité stratégique, sur l’axe reliant Kaya à Dori, rendra les approvisionnements entre Ouagadougou et le Nord-Est quasiment impossibles, durcissant encore, comme dans de nombreuses autres régions du Burkina Faso, un blocus qui dure depuis des mois.

Déjà, en juin 2022, le pont de Naré avait été dynamité par des hommes armés, fermant l’axe à la circulation pendant deux mois avant sa réouverture. Même sort infligé au pont de Woussé sur l’axe Koungoussi-Djibo, obligeant les convois de ravitaillement à faire demi-tour alors que la population de Djibo, sous blocus jihadiste, sombrait dans la famine. La liste des villes asphyxiées par l’étau jihadiste est longue – Pama, Nouna, Arbinda, Sebba, Diapaga … – et ne cesse de s’allonger malgré les efforts du régime de transition mené par Ibrahim Traoré.

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Au pouvoir depuis six mois, le jeune capitaine de 34 ans qui reprochait à son prédécesseur, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, de n’avoir rien réglé à la crise sécuritaire, s’est donné pour objectif « la reconquête du territoire occupé par ces hordes de terroristes ». Offensif, le président de transition consacre tous les moyens possibles à l’effort de guerre, notamment en recrutant entre 50 000 et 90 000 Volontaires de défense pour la patrie (VDP), des supplétifs civils venus renforcer les rangs de l’armée. Malgré tout, les régions du Nord, du Sahel, de l’Est et du Centre-Nord restent sous le contrôle des groupes jihadistes.

Restriction des biens et des personnes

D’après Mahamadou Issoufou, médiateur de la Cedeao pour le Burkina Faso, 40 % du territoire national est contrôlé par des groupes liés à Al-Qaïda et à l’État islamique. « On dénombre aujourd’hui entre 24 et 26 villes burkinabè sous blocus, estime une chercheuse, spécialiste en gouvernance et sécurité dans le Sahel. Mais il y en aurait plus, notamment dans les zones rurales où ils sont difficiles à quantifier. Au-delà de ces villes de moyenne importance, des villages ou groupes de villages sont aussi placés sous blocus par les groupes jihadistes. »

« Leur but est d’isoler les populations, en imposant des restrictions de mouvement des biens et des personnes, poursuit-elle. À terme, cela aboutit à des situations de pénuries alimentaires et de détresse extrême. » Privées de denrées alimentaires et de produits de première nécessité, dotées d’un réseau téléphonique souvent inaccessible et sans accès à l’eau, ces villes manquent de tout.

« Feuilles bouillies »

« La population souffre de malnutrition », confie un habitant d’Arbinda, dans le nord du Burkina Faso, sous blocus depuis des mois. « Les habitants se nourrissent de feuilles et de baies sauvages qu’ils font bouillir », raconte-t-il. Autorisée uniquement pour les femmes et tolérée par les jihadistes, la cueillette est limitée à un périmètre de 5 kilomètres autour de la ville. En janvier, une cinquantaine d’entre elles ont été enlevées alors qu’elles avaient franchi la ligne invisible.

Dans toutes les villes sous blocus, la situation est similaire. Certaines, comme Bourzanga (Centre-Nord) profitent de la proximité d’un lac pour faire un peu d’agriculture. Pour d’autres, la seule chance de ne pas mourir de faim réside dans les approvisionnements par convoi. « Mais à quel prix ? » demande Daouda Diallo, secrétaire général du Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC), en référence au 37 morts du convoi à destination de Djibo, tombé dans une embuscade à Gaskindé en septembre 2022.

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D’après lui, le coût logistique et humanitaire est trop élevé pour des victoires seulement ponctuelles. « Il faut une forte implication de l’armée pour déminer les routes. Cela prend du temps. Pour faire 200 kilomètres, il faut compter au moins un mois », estime Diallo. La route nationale 22, qui relie Ouagadougou à Djibo sur 280 kilomètres, est devenue impraticable. Bourrée d’engins explosifs, elle est surnommée « l’axe de la mort » par les Burkinabè.

Djibo, chef-lieu de la province du Soum, est la première ville à avoir subi un tel blocus. « Puis le phénomène s’est intensifié en 2022 avec l’arrivée des militaires au pouvoir », analyse Daouda Diallo. Selon le défenseur des droits humains, la stratégie du tout-militaire adoptée par Ibrahim Traoré et son prédécesseur Damiba a saboté les initiatives de dialogue et intensifié les blocus. En armant les civils – les Volontaires de défense pour la patrie (VDP), corps créé en janvier 2020 pour épauler les forces de défense et de sécurité -, la violence s’est amplifiée à travers le territoire.

Escalade de la violence

« Les groupes jihadistes cherchent à punir les communautés qui collaborent avec les forces nationales et qui refusent de prêter allégeance », reprend la chercheuse spécialiste du Sahel. Pour Daouda Diallo, le cycle de la violence va plus loin. « C’est devenu une guerre civile entre communautés », explique-t-il. Créé en 2019 pour condamner les violences subies par les civils, en particulier les membres de la communauté peule, le CISC dénonce régulièrement des massacres de civils commis par les militaires burkinabè et les VDP.

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« Toutes les villes où les forces armées nationales ont commis des crimes sur les populations locales sont maintenant sous blocus », précise Daouda Diallo. Il dénonce une « course à l’armement dangereuse » qui « pousse les populations à rejoindre les groupes armés ». Plaidant pour plus de dialogue et d’actions judiciaires, le défenseur des droits humains prévient : la menace avance vers Ouagadougou. La capitale et ses 2,5 millions d’habitants subissent déjà des problèmes d’approvisionnement des produits venant de l’Est, comme le poisson.