Mali : à Ménaka, la vie sous la pression de l’État islamique
La grande ville du nord-est du Mali est cernée par les jihadistes de l’EIGS qui contrôlent la région. Sur place, les réfugiés affluent et ni les Fama, ni Wagner, ni la Minusma ne parviennent à rétablir un semblant de stabilité.
Une vue aérienne de la ville de Ménaka, au Mali, en octobre 2020. © SOULEYMANE AG ANARA/AFP
Dans les rues sablonneuses de Ménaka, les enfants déscolarisés se mêlent aux nombreux réfugiés qui fuient l’avancée de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) dans toute la région. Ces dernières semaines, la grande ville du nord-est du Mali, située à une centaine de kilomètres du Niger, fait face à une crise humanitaire sans précédent. Présents pour assurer un semblant de sécurité, environ 200 membres des Forces armées maliennes (Fama) et quelques dizaines de leurs supplétifs russes du groupe Wagner côtoient un petit contingent de casques bleus de la Minusma (la mission de l’ONU dans le pays). Mais tous restent, la plupart du temps, cantonnés dans leurs camps.
Sans arrêt en alerte, « la population est prise en otage », confie Moussa*, un habitant de Ménaka. À l’extérieur de la ville, l’EIGS resserre son étau. Selon des sources locales, après avoir conquis Tidermène le 10 avril, les jihadistes de la filiale sahélienne de l’État islamique se trouvaient le 13 avril à Intadeyné, un village situé à une trentaine de kilomètres de Ménaka.
Collaborer pour survivre
Eau, nourriture, soins… À Ménaka, la population – dont le nombre est passé de 11 000 à 31 000 habitants l’année dernière selon l’ONU, auxquels se sont ajoutés quelques milliers de réfugiés ces deux derniers mois – manque de tout. Les habitants de la ville, déjà en souffrance, prennent en charge comme ils peuvent les réfugiés. En majorité éleveurs, ces déplacés des communautés voisines laissent aux abords de la ville leurs troupeaux et leurs biens pour venir s’échouer en milieu urbain. Plus démunis que jamais, ils sont pris en charge par les ONG présentes sur place et les autorités. D’après un représentant de la société civile, on compterait aujourd’hui plus de 30 000 réfugiés à Ménaka.
Pour survivre, « tout le monde est forcé de collaborer d’une manière ou d’une autre avec l’EIGS », poursuit Moussa. Des « collaborateurs » de l’État islamique sont présents dans la ville et collectent un « impôt » aux commerçants, assurant dans le même temps leur approvisionnement. « Même si l’EI n’est pas officiellement dans la ville, et même si tu ne le sais pas, tu vends certainement à un membre de l’EI. C’est la seule source de revenu de la population », confie-t-il.
Famas « d’aucune utilité »
Déjà peu nombreux, les camions qui viennent approvisionner la ville depuis le Niger et l’Algérie sont régulièrement attaqués par des hommes armés non identifiés. « Ce sont parfois des civils de Ménaka qui braquent les camions », assure Moussa. Confrontés à l’enclavement de la ville et révoltés face à l’inefficacité des autorités maliennes, certains habitants en manque d’espoir ont rejoint, ou cherchent à rejoindre, les groupes armés.
« Ceux qui ont grossi les rangs de l’EI préfèrent revenir massacrer leurs frères plutôt que de les voir soutenir le Mali », poursuit notre interlocuteur. Haoussas attaqués par d’autres Haoussas, Touaregs attaqués par d’autres Touaregs… Le niveau de violences ne cesse de croître. L’État malien, à travers ses forces armées et le gouverneur de la région, reste lui bien silencieux. Les Famas, qui ne quittent guère leur base de Ménaka, « ne sont d’aucune utilité », soupire-t-il.
Patrouilles russes
Présent au côté de l’armée malienne, un petit détachement de mercenaires de la société militaire privée russe Wagner. Basés dans le camp des Fama, ils seraient moins d’une centaine, relevés régulièrement par des contingents venus de Gao. Discrets, ils sortent peu, si ce n’est pour faire des achats avant de retourner dans leur enceinte.
« Si les Fama ont des informations concernant la présence de terroristes proches de la ville, ils disent à Wagner d’aller voir », explique Moussa. D’après lui, les militaires maliens n’osent pas faire de patrouilles avec leurs partenaires russes, mais ils restent en contact avec eux pendant les opérations – durant lesquelles les mercenaires commettent régulièrement « des exactions et volent les bijoux des femmes ».
Minusma limitée
Présents eux aussi, les casques bleus de la Mission de la paix de l’ONU ne se montrent guère plus utiles. Peu nombreux, ils font des patrouilles à l’intérieur de la ville et ne se déplacent que dans un rayon de 5 kilomètres autour. Selon le représentant de la société civile, ils tentent toutefois de répondre aux besoins humanitaires des habitants et ont aidé récemment à la construction d’un forage.
Limitée dans ses actions par la junte au pouvoir, la Minusma se heurte à la zone d’exclusion aérienne imposée par Bamako. Une situation plusieurs fois dénoncée par la mission de l’ONU, dont la question du renouvellement se posera au mois de juin.
*Son prénom a été modifié.