Brian Browne, l’Américain qui murmure à l’oreille de Bola Tinubu
Depuis près de dix ans, ce diplomate américain à la retraite est le chef de cabinet de facto du futur président nigérian, qui doit être investi le 29 mai. Portrait d’un homme dont les conseils pourraient déterminer le destin de plus de 200 millions de personnes.
Bola Tinubu, au centre, accompagné de sa femme, Oluremi Tinubu, à droite, à Abuja, au Nigeria, le 1er mars 2023. © Ben Curtis/AP/SIPA
Avec son costume-cravate et ses lunettes à verres rectangulaires, Brian Browne passerait presque inaperçu. Quel que soit l’événement, il se fond particulièrement bien dans la foule réunie autour de Bola Tinubu. Les proches de celui que l’on surnomme « le parrain de Lagos » savent pourtant à quel point cet homme, chargé de l’emploi du temps et de la constitution de l’équipe du futur président, est influent auprès de leur mentor.
Connaissance approfondie
« Brian Browne occupe toutes les fonctions d’un chef de cabinet : il vérifie les discours, formule les politiques et contrôle les personnes qui travaillent en étroite collaboration avec Tinubu. Il vit dans la maison de celui-ci et dispose d’un bureau dans ses manoirs de Lagos et d’Abuja », explique un collaborateur du futur chef de l’État.
Bien qu’américain, Brian Browne a une connaissance approfondie de la politique et de l’économie nigérianes. D’abord en poste à l’ambassade des États-Unis à l’époque de la dictature militaire de la fin des années 1980, il y revient dans les années 1990. Ce diplomate de carrière a également été le responsable du Liberia au Département d’État américain.
En 2004, il est nommé consul général à l’ambassade des États-Unis à Lagos. Ce qui fait de lui le troisième plus haut fonctionnaire américain dans le pays, et lui fournit un point d’observation unique des 17 États du sud du Nigeria. Pendant ce mandat, Brian Browne a noué de nombreux contacts avec les dirigeants du gouvernement de l’État de Lagos, dont que Bola Tinubu était alors le gouverneur.
Confiance réciproque
Ce n’est qu’en septembre 2011, lorsque WikiLeaks publie quelque 251 000 câbles confidentiels américains, que le public découvre l’étendue des discussions entre Browne et Tinubu : les documents qui ont fuité dépeignent une certaine intimité entre les deux hommes, qui se vouent une confiance réciproque. Dans un câble diplomatique classifié daté du 14 septembre 2005, Tinubu fait part à Browne de son projet de devenir colistier du vice-président de l’époque, Atiku Abubakar, pour l’élection présidentielle de 2007.
« Lors d’une réunion détendue avec le consul général, le 27 août au soir, le gouverneur de l’État de Lagos, Bola Tinubu, a fait part de son analyse de la topographie électorale actuelle, en particulier au sein du parti rival, le Parti démocratique populaire. Bien qu’ils appartiennent aujourd’hui à des formations politiques différentes, le gouverneur Tinubu et le vice-président Atiku entretiennent une relation étroite qui remonte au début des années 1990. Leur amitié défie les lignes de partis et, peut-être, la logique politique… Par le passé, Tinubu nous avait parlé avec verve de cette option [un ticket commun avec Atiku]. Lors de cette dernière réunion, cependant, il s’est montré plus prudent. Tinubu était nettement moins optimiste quant aux chances d’Atiku à la présidence », indique ce document.
La naissance de l’APC
Dans ce câble, Brian Browne indique que Bola Tinubu a aussi discuté avec lui de la possibilité de se présenter comme colistier du général Muhammadu Buhari lors de l’élection présidentielle de 2007. « À la lumière de l’échec d’Atiku, Tinubu a commencé à se protéger en discutant avec Muhammadu Buhari du All Nigeria Peoples’ Party [ANPP] au sujet du poste de vice-président sur le ticket de Buhari. Buhari a terminé deuxième derrière Obasanjo lors des élections très controversées de 2003… L’inconvénient de faire équipe avec Atiku ou Buhari est que cela produirait un ticket présidentiel entièrement musulman », écrit Browne.
Tinubu unit finalement ses forces à celles de Buhari et d’Atiku pour former le Congrès des progressistes (APC), en 2013. Muhammadu Buhari en devient le candidat à la présidence, mais il refuse de choisir Bola Tinubu comme colistier, car ils sont tous deux musulmans.
Accusé de relation sexuelle inappropriée
Peu avant sa nomination au Nigeria en 2004, Brian Browne obtient un master en stratégie de sécurité nationale au National War College de Washington. Il conteste le fait de n’avoir reçu aucune mention, qu’il l’explique par ses origines africaines-américaines, mais aussi par ses opinions, différentes de celles de sa hiérarchie.
Le 14 juillet 2007, il accuse le département d’État de racisme systémique dans une plainte relative à l’égalité des chances en matière d’emploi (EEO). Une enquête est alors ouverte par le chef de mission adjoint de l’ambassade des États-Unis au Nigeria. Des employés de l’ambassade y accusent Browne d’avoir eu une relation sexuelle inappropriée avec une de ses subordonnées. Après s’être vu présenté les preuves de cette relation sexuelle, Browne est informé qu’il représente un environnement de travail hostile pour les officiers placés sous sa supervision.
Il nie ces accusations mais, malgré son insistance, le chef de cabinet et conseiller principal (africain-américain) du bureau des affaires africaines du ministère à Washington lui notifie qu’il est démis de ses fonctions à Lagos deux mois plus tôt que prévu. « Le plaignant a été réaffecté au poste de directeur adjoint du bureau des affaires d’Afrique centrale à Washington. Cependant, il a démissionné du Département d’État avant d’occuper ce poste », indique un rapport de la Commission pour l’égalité des chances en matière d’emploi daté du 6 mars 2009.
Brian Browne (à gauche) et Bola Tinubu (à droite). © DR
Après sa démission, Brian Browne poursuit le département d’État en justice et quitte le Nigeria. Il y revient peu après pour diriger quelques groupes de réflexion nigérians avant de devenir conseiller de Bola Tinubu. L’ancien diplomate devient également chroniqueur à The Nation, un journal appartenant à Tinubu. Il coécrit avec lui le livre Le Financiarisme : de l’eau d’un puits vide, avec Wole Soyinka, lauréat du prix Nobel de littérature, et le révérend Jesse Jackson, militant des droits civiques, qui en ont tous deux rédigé les avant-propos.
L’ouvrage est lancé en fanfare aux États-Unis et au Nigeria. Browne réussit notamment à attirer des démocrates notables comme Jesse Jackson et l’ancien ambassadeur des États-Unis au Nigeria, Howard Jeter, à l’événement. « Browne a mis Tinubu en contact avec d’éminents diplomates et responsables gouvernementaux aux États-Unis. Il reste son principal intermédiaire dans le pays », confie un membre du conseil de campagne de Tinubu.
Quelle place dans le futur dispositif présidentiel ?
Lors du lancement du livre à Lagos, les alliés de Bola Tinubu, notamment l’ancien président de la Commission des crimes économiques et financiers, Nuhu Ribadu, décrivent Brian Browne comme un « amoureux du Nigeria ». « J’ai travaillé avec [lui] lorsqu’il était à la tête de l’ambassade américaine. Je peux témoigner de ce qu’il a fait pour notre pays. C’est un Américain mais son cœur est ici, à Lagos, au Nigeria. Il travaillait pour son gouvernement à l’époque. Il y a des choses que je ne pourrais pas dire, mais il nous a sauvés à de nombreuses reprises », souligne Ribadu.
Objectif de cet ouvrage : montrer comment la pensée économique conventionnelle peut conduire à de mauvaises décisions politiques et au sous-développement, en s’appuyant sur des exemples des États-Unis et du Nigeria. Il contient également quelques idées économiques que Tinubu mettra probablement en œuvre en tant que président.
Alors que l’investiture de Bola Tinubu est prévue pour le 29 mai, Brian Browne ne bénéficiera d’aucune nomination officielle, car il n’est pas citoyen nigérian. Un membre de la police secrète nigériane, qui a souhaité garder l’anonymat, a toutefois déclaré que l’Américain conserverait officieusement sa place dans l’administration et a décrit cette évolution comme un risque possible pour la sécurité. « Browne pourrait être un agent double. Je comprends ses relations étroites avec Tinubu, mais tout cela devra cesser pour le bien de la sécurité nationale. Sa loyauté reste envers l’Amérique, à moins qu’il ne jure fidélité au Nigeria et ne prenne la nationalité nigériane », estime ce policier.