Au Sénégal, Macky Sall promet de clarifier ses intentions après la Tabaski
Lors de la remise des conclusions du dialogue national, qui rendent de nouveau Khalifa Sall et Karim Wade éligibles, le chef de l’État a annoncé qu’il s’exprimerait après le 29 juin.
Le président sénégalais Macky Sall au palais de Belem à Lisbonne, le 20 juillet 2022. © CARLOS COSTA/AFP
Macky Sall va-t-il contribuer à apaiser les tensions politiques ? Le 24 juin, le chef de l’État sénégalais a reçu des mains de l’ancien président de l’Assemblée nationale, Moustapha Niasse, les 270 recommandations formulées à l’issue du dialogue national entamé le 31 mai, quelques heures avant la condamnation d’Ousmane Sonko à deux ans de prison pour « corruption de la jeunesse » et l’éclatement des violences meurtrières qui s’en sont suivies.
Macky Sall a évoqué « de graves dérives et [des] événements inédits assimilables à des actes terroristes qui ne resteront pas impunis ». Or cette séquence aura contraint la majorité présidentielle à faire des concessions, y compris sur de vieilles revendications de l’opposition.
« Lâcher du lest »
« Après les troubles de mars de 2021 et ceux de début juin, BBY [Benno Bokk Yakaar, la coalition au pouvoir] et le gouvernement ont compris qu’il fallait lâcher du lest. Ils ont reculé sur les parrainages, sur les cas Karim Wade et Khalifa Sall, et sur bien des choses », se réjouit Saliou Sarr, membre de Taxawu Sénégal, qui représentait l’opposition lors des discussions.
Un premier consensus a été trouvé sur l’abaissement du taux du parrainage citoyen – un minimum de 0,6 % minimum du corps électoral sera désormais exigé alors que jusqu’ici, le nombre de signatures requis pour faire valider un dossier de candidature était compris entre 0,8 et 1 % des inscrits. Ce n’est pas tout : l’opposition a obtenu l’instauration de deux autres types de parrainages. Désormais, un candidat pourra être dispensé de recueillir les signatures de ses concitoyens s’il réussit à obtenir celles de treize députés (l’Assemblée en compte 165) ou de 120 maires et présidents de conseil départemental. « Cela permettra de réduire les risques de doublons qui sont des motifs de rejet de candidatures », explique Déthié Faye, coordonnateur du pôle des non-alignés (ni sur l’opposition ni sur la mouvance présidentielle).
Depuis son instauration en 2018, le dispositif du parrainage a été régulièrement critiqué par les acteurs politiques, voire dénoncé par plusieurs missions d’observation. Reprenant une décision de la Cour de justice de la Cedeao rendue en 2021, la mission de suivi électoral de l’Union européenne sur le Sénégal avait ainsi jugé, en avril 2022, que la procédure de vérification des signatures privilégiait « les premiers dossiers déposés et [portait] gravement atteinte aux derniers ».
Autre point d’accord essentiel : la modification des articles L28 et L29 du code électoral qui permettra de rétablir dans ses droits civiques et politiques toute personne frappée d’incapacité électorale après avoir été condamnée à une peine d’emprisonnement ou d’amende, et qui a fait l’objet d’une mesure d’amnistie ou de grâce.
L’ajout de ce dernier terme – absent jusqu’ici de la loi électorale – concerne particulièrement le leader de Taxawu Sénégal et ancien maire de Dakar, Khalifa Sall, ainsi que Karim Wade, fils de l’ancien président Abdoulaye Wade, graciés respectivement en 2019 et 2016. Les deux hommes peuvent désormais, s’ils le souhaitent, briguer la magistrature suprême lors du scrutin du 25 février 2024.
Révision du procès Karim Wade
En exil depuis 2016 au Qatar et pressenti pour prendre la tête du Parti démocratique sénégalais (PDS), la formation politique fondée par son père, Karim Wade a en outre obtenu la révision de l’arrêt prononcé par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) le 23 mars 2015, et donc de son procès. « Cette question était une priorité pour lui. Un citoyen devrait pouvoir être entendu et prouver son innocence sur la base des nouveaux éléments qu’il a en sa possession », affirme Déthié Faye. « Les cas de Khalifa Sall et de Karim Wade sont certes les plus emblématiques, mais ces avancées vont bénéficier à des milliers de citoyens sénégalais », se réjouit-il.
Ces concessions n’auraient sans doute pas été obtenues « sans un rapport de force devenu favorable à l’opposition » grâce notamment au bras de fer entamé dans la rue par Ousmane Sonko, reprend Saliou Sarr. Le leader des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) a pourtant refusé de participer à ce dialogue, soupçonné d’avoir pour but inavoué « de valider le troisième mandat de Macky Sall ».
Sur cette question justement, aucun consensus n’a été trouvé. Pendant plusieurs heures de discussion, la majorité présidentielle, représentée par Benoît Sambou, ministre d’État et président de la Commission nationale du dialogue des territoires, a argué que le chef de l’État avait le droit de briguer un deuxième quinquennat du fait de la révision constitutionnelle de 2016 qui remet les compteurs à zéro. Ce que, sans surprise, les différents membres de l’opposition et de la société civile ont contesté, estimant qu’une troisième candidature de Macky Sall était « illégale ».
« J’apporterai ma réponse dans un discours à la nation [après la fête de la Tabaski du 29 juin]. Mais elle ne peut pas dépendre du contexte dans lequel nous évoluons. Il faut que cela soit clair », a prévenu le chef de l’État en refermant le dialogue national. « Quel qu’il soit, ce sera un choix libre, souverain et assumé », a-t-il conclu.