Mariage, la tentation de la surenchère
Enquête
Les mariages sont de plus en plus rares. Mais en même temps de plus en plus festifs, personnalisés et surtout onéreux, donnant lieu à de nouveaux rituels popularisés par les réseaux sociaux : faut-il y voir une quête de sens ou le symptôme d’une société qui valorise la mise en scène de soi ?
Le plus beau jour de sa vie ! L’expression pourrait paraître désuète, tant le mariage traditionnel a perdu de sa symbolique, mais elle reste plus parlante que jamais. « Autrefois, on utilisait cette image pour évoquer le début d’une vie de couple parfaite. Aujourd’hui, les futurs mariés vivant déjà ensemble, le plus beau jour de leur vie est, au sens littéral, une très belle fête », observe la sociologue Florence Maillochon, autrice de La Passion du mariage (PUF, 2016).
Si on se marie deux fois moins qu’il y a cinquante ans, les couples qui convolent veulent une cérémonie « inoubliable » et sont prêts à y mettre les moyens. « Il y a une sorte de surenchère autour du mariage, devenu un acte distinctif, qui doit à la fois être une vitrine du couple et un moment mémorable pour tous », poursuit la spécialiste des épousailles.
La mise en scène du film à venir commence très en amont avec la demande en mariage, redevenue à la mode. Une demande qui n’a toutefois plus rien à voir avec la tradition puisqu’elle ne se fait plus auprès des parents mais directement à la future mariée. « C’est un rituel composé de toutes pièces, inspiré du modèle américain diffusé via les séries et les réseaux sociaux », précise Florence Maillochon.
De nouveaux rituels très genrés
La demande prend la forme d’une surprise mais exige, en réalité, une grande préparation et un investissement financier non négligeable. « Il y a au minimum un repas au restaurant, une activité et la plupart du temps un bijou, poursuit la sociologue. L’idée, c’est d’en faire un récit à ses proches, sur les réseaux sociaux ou au public présent. » Ainsi Jérôme a-t-il demandé Juliette en mariage lors d’une balade le long de la côte bretonne avec des amis, bague à la main et genoux à terre. Une scène filmée, qui immortalise la surprise et la joie de la future mariée, partagée sur Facebook.
L’étape suivante dans ce nouveau parcours vers le mariage, c’est l’enterrement de vie de garçon (EVG) et désormais aussi celui de jeune fille (EVJF). « Il faut aller un vendredi soir à l’aéroport d’Orly pour mesurer l’ampleur du phénomène et voir des cohortes de jeunes filles déguisées qui s’apprêtent à partir en week-end entre copines », relève Stéphane Seban, fondateur et organisateur du Salon du mariage.
Marie, la trentaine, en a déjà organisé plusieurs. « Une fois, c’était un “escape game” à Zurich, parce qu’une des copines habitait là-bas, raconte-t-elle. Une autre fois, on a offert à la future mariée une place pour le bal costumé de Versailles. » À chaque « EVJF », le groupe d’amies passe généralement un moment au spa et joue au « traditionnel » Jeu des amours, inspiré de l’émission de télévision « Les Z’amours ». « Ce qu’on fait est assez simple et soft comparé à d’autres qui partent à l’hôtel à l’étranger ou qui font, par exemple, venir un “stripteaseur cuisinier”, précise la jeune femme qui reconnaît que toutes ces festivités représentent un “vrai budget”. »
« Aujourd’hui, les filles adoptent les rituels masculins mais les activités restent très genrées et les groupes ne se mélangent pas, alors même que le couple a des amis communs, s’étonne Florence Maillochon. Comme avec la demande en mariage, qui reste majoritairement faite par les hommes, l’EVJF et l’EVG sont de nouveaux rites qui renvoient à des pratiques conservatrices et qui produisent de la tradition. » Ils séduisent d’autant plus les futurs mariés qu’ils sont soutenus par une offre commerciale forte et qu’ils sont « très instagrammables », ajoute la sociologue.
La décoration florale, le choix du lieu et les activités font exploser le budget
Après ces étapes festives, la cérémonie doit être à la hauteur. Les préparatifs du mariage commencent au minimum un an à l’avance, voire trois ou quatre, avec des budgets qui ne cessent d’augmenter : 17 000 € en moyenne en 2023, hors voyage de noces, contre 15 000 en 2020, selon le site Mariages.net.
« La moitié du budget est consacrée à la restauration et, même si le nombre d’invités reste stable, les prix ont augmenté à cause de l’inflation, explique Stéphane Seban. Ce qui fait exploser les dépenses, c’est surtout la décoration florale, le lieu, les activités. » Tout l’emballage, en quelque sorte, du mariage, qui va contribuer à « donner une image de la cérémonie parfaite et du bonheur idyllique », résume-t-il.
Les budgets peuvent même doubler lorsque les mariés font appel à un « wedding planner » qui leur livre un mariage clés en main. « Pour 100 invités, il faut compter 30 000 € minimum, indique Pauline Maguin, de l’agence À La Bon’Heur. Mais le prix dépend aussi de la demande. » La tendance, aujourd’hui, c’est le mariage sur la plage ou dans un domaine pour prolonger la fête tout le week-end. « Les futurs mariés veulent des prestations originales et personnalisées. Il faut que la fête leur ressemble et qu’elle soit unique », note cette professionnelle qui reçoit aussi de plus en plus de demandes pour des cérémonies laïques. « Depuis trois ans, c’est devenu notre principale activité. »
Organisée sous une arche fleurie, installée au bout d’une allée centrale, celle-ci est animée par un « officiant de cérémonie » qui peut être un professionnel du mariage ou un acteur. C’est lui qui fait le discours, préparé avec les futurs mariés, et qui gère les interventions des invités. Cette cérémonie vient « combler un besoin de solennité » pour ceux qui n’en trouvent pas dans le mariage civil et qui ne veulent pas se marier à l’église. « Elle est un mélange de différentes religions et de rites païens censés apporter une dimension spirituelle à ces unions, analyse Florence Maillochon. Elle s’inspire, là aussi, de ce qui se fait aux États-Unis, sauf que, là-bas, ces cérémonies ne sont pas forcément laïques puisqu’un représentant religieux peut les célébrer dans un lieu privé. »
Une quête de sens et un besoin de démonstration
Le mariage moderne cherche ainsi à se réinventer, entre une pratique religieuse réservée aux croyants et une cérémonie civile expéditive. « La multiplication des rituels exprime une quête de sens, même si le mariage, en lui-même, en a déjà, souligne la sociologue. Ceux qui se marient ne le font plus par tradition ou pour faire plaisir aux parents, mais par conviction. Le problème, c’est qu’il y a un hiatus entre ce que les gens attendent et la panoplie de l’offre liée au mariage. »
Si la forme varie, le mariage reste un symbole fort de l’engagement des couples qui « sortent renforcés de la démonstration de leur lien », observe encore Florence Maillochon. Une démonstration qui passe aujourd’hui par une mise en scène de soi sur les réseaux sociaux, et plus seulement par le récit oral, et des dépenses substantielles pour « montrer l’importance de cet engagement ».
C’est d’ailleurs le couple qui, désormais, organise les festivités et choisit les invités. « Cette génération invite les amis et ne se sent plus obligée de convier toute la famille, comme autrefois, lorsque les parents organisaient la cérémonie, relève de son côté le sociologue François de Singly. Le mariage est ainsi devenu le seul lieu où famille et amis sont réunis,ce qui lui donne un caractère collectif inédit. »
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Des mariés toujours plus vieux
► En 2022, 244 000 mariages ont été célébrés, dont 237 000 entre personnes de sexe différent et 7 000 entre personnes de même sexe, selon l’Insee. Ce nombre est le plus élevé depuis 2012, alors que la tendance était plutôt à la baisse, et s’explique par les reports dus à la pandémie de Covid en 2020 et 2021.
► En 2023, les professionnels tablent sur 300 000 mariages, un record dû, là aussi, aux annulations et reports provoqués par la crise sanitaire.
► L’âge moyen des mariés de sexe différent augmente régulièrement depuis vingt ans. En 2022, il était de 37,2 ans pour les femmes (+ 0,4 an par rapport à 2021) et de 39,6 ans pour les hommes (+ 0,3 an). Pour les couples de même sexe, l’âge au mariage est encore plus élevé. En 2022, il était de 38,5 ans pour les femmes (+ 0,9 an) et de 44,0 ans pour les hommes (stable).