BUNKPURUGU GHANA Ma mission aujourd’hui Quelqu’un a déjà écrit : « Tu vois les choses qui existent et tu te demandes pourquoi ? Je vois les choses qui n’existent pas et je me demande pourquoi pas ? » Je vis à Bunkpurugu depuis deux ans et demi. Je veux partager ici mes expériences de la mission. Je vous dirai un mot de mon interprétation du projet missionnaire car des événements nous posent question et j’essaye de trouver des réponses tout en vous écrivant. D’une certaine manière, je crois que j’utilise la méthode du Grand Père Lavigerie : répondre sans relâche aux besoins du « continent noir bien aimé » dans l’espoir de libérer les personnes du joug de Satan et de l’esclavage organisé par les humains. A-t-il réussi quand il a fondé notre Société et lui a donné sa mission « avec et pour l’Afrique » ?
Nettoyer le Temple… En arrivant à Bunkpurugu, tout nouveau, j’ai tout d’abord été frappé par l’importance de la vie traditionnelle qui contrôle tout. Les gens ne font pas toujours la différence entre les religions. J’ai remarqué qu’il y avait peu de respect manifesté pour un lieu saint comme l’église. Quelques jours après mon arrivée, par exemple, j’ai été invité par une dame ‘inspectrice’comme modératrice d’une journée d’étude pour les directeurs des écoles publiques. J’ai été étonné de ce qu’on tenait cette rencontre à l’intérieur de l’église d’une succursale de la paroisse. L’autel servait de table et les animateurs s’y sont assis pour présider. Après les échanges, des boissons et de la nourriture y furent servies. Tout était sens dessus dessous dans l’église. Le jour suivant, un dimanche, j’ai présidé l’Eucharistie sur cette même table. Je me suis demandé pourquoi, sans demander la permission, n’importe quel groupe pouvait utiliser l’église pour une rencontre ou une fête et la laisser en désordre. La parole de l’Écriture a résonné en moi : « Ma maison sera appelée une maison de prière ! » Ce n’était plus le cas ici. Le bâtiment ‘église catholique’ a droit au même respect, comme lieu de prière, que les mosquées et les sanctuaires de la religion traditionnelle. J’ai partagé mes sentiments avec la communauté. Je n’étais pas le premier à y penser mais personne n’osait lever le petit doigt pour résoudre le problème. Le conseil paroissial a alors rappelé que l’on devait demander la permission avant d’utiliser l’église en s’adressant au conseil de la succursale et à l’équipe des prêtres. Nous avons communiqué cette décision à l’inspectrice des écoles. Nous l’avons en même temps assurée de notre disponibilité pour continuer à collaborer à la construction de la société civile de Bunkpurugu. Mais nous avons demandé de respecter notre religion. Cette dame nous a répondu en s’excusant des erreurs commises et en nous assurant de sa franche collaboration. Depuis, les abus ont cessé. Pour que les gens de l’extérieur nous respectent, nous devons nous-mêmes montrer du respect envers les choses saintes. Nous avons donc déposé le Saint Sacrement dans l’église et nous travaillons à éduquer nos chrétiens au respect car Dieu est présent dans les choses qui lui sont consacrées. Mais au moment où j’écris, il reste encore beaucoup à faire pour accomplir ce programme. Nous avons besoin de la participation active de tous et du soutien financier de ceux qui sont concernés. Comment traiter avec César Nous coopérons bien avec les fonctionnaires du District (sous-préfecture). Les confrères ont gagné leur confiance. Notre parole est respectée. Les autorités civiles nous consultent sur certaines matières concernant la société civile. Nous sommes invités à des réunions où se discute l’éducation des petites filles, la prévention contre le sida, la préparation d’un budget, l’organisation des fêtes nationales. En tout cela, nous voyons des signes d’une confiance mutuelle qui va grandissant. Au niveau du District, un confrère fait partie du comité de surveillance des écoles et de l’administration des services ambulanciers. Il a aussi reçu une lettre de nomination comme membre du conseil municipal de la ville. Il n’y a pas encore participé puisque le gouvernement a décidé de grands changements et que notre District Chief Executive (sous-préfet) a été muté sans que son successeur soit nommé. Toutes ces fonctions sont des services non-rémunérés rendus à la communauté en dehors des partis politiques. Nous nous engageons à offrir un soutien moral et spirituel à ceux qui sont élus au service de la communauté. Ainsi, nous bâtissons la confiance et nous éveillons les consciences. Une présence positive de l’Église peut (et parfois doit) influencer les décisions du gouvernement. Nos suggestions ne sont pas toujours acceptées mais quand les autorités ne semblent pas nous entendre, elles administrent quand même le District en sachant que d’autres options sont possibles pour répondre aux problèmes. Les articles venant du Ghana/Nigeria ont été envoyés au PÉ par le Provincial, Francis Bomansaan
Ainsi quand le District Chief Executive (sous-préfet) a donné un terrain pour une station-service, la population n’était pas contente du lieu choisi. Nous en avons parlé au conseil de la communauté et plus tard j’en ai dit un mot au District Chief Executive. Cela n’a rien changé à la décision. La station-service a été construite comme prévu mais l’autorité a pris ses décisions après avoir entendu l’opinion publique. Il y a parfois des forces qui dépassent l’autorité d’un District Chief Executive.
Société traditionnelle et religion À Bunkpurugu, les règles de la société traditionnelle sont très fortes. Le clan ou l’ethnie est plus fort que la foi et que les nombreuses et diverses communautés chrétiennes. La culture chrétienne ne semble pas avoir une grande influence en dehors des rencontres dans les églises. Sitôt finie l’Eucharistie du dimanche, les chrétiens se replongent dans la société traditionnelle avec ses coutumes dictées par les anciens à la petite famille, à la grande famille ou à toute l’ethnie. Les chrétiens participent ouvertement aux funérailles et aux cérémonies commémoratives selon les rites anciens. Il y a aussi des cultes privés célébrés dans familles. Par manque de formation, la plupart des chrétiens ne connaissent pas la différence entre les rites chrétiens et ceux de la religion traditionnelle. Est-ce une manière d’appliquer l’adage : « Donner à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ? » Pourtant les gens manqueront la messe du dimanche plutôt que de manquer les funérailles. Même ceux qui sont passés par les écoles secondaires restent attachés à la religion traditionnelle. Des enseignants disent qu’ils sont catholiques mais ils n’ont jamais été baptisés et beaucoup de catholiques abandonnent notre Église pour se joindre à d’autres communautés chrétiennes. Ainsi plusieurs fidèles de la religion traditionnelle ne voient pas quels avantages il y a à devenir chrétiens. Ceci dit, je dois ajouter que depuis 25 ans, la communauté catholique de Bunkpurugu a évolué d’un « cercle de vieilles dames » à une assemblée jeune et vivante. Nous avons le défi de transformer cette jeunesse en lui donnant un esprit chrétien. Autrement, nous ferons face au danger « du vin nouveau conservé dans de vieilles outres ». Nous devons nous libérer d’un style d’Église paternaliste qui fonctionnait par des dons. La stratégie doit changer. Il nous faut passer des « cadeaux » au soutien des projets d’autosubsistance. Mais comme nous sommes encore loin de notre idéal du « Royaume » ! Ces mesures d’ajustement structurel suscitent des critiques chez les chrétiens les plus près de notre équipe. Ils croient parfois que nous allons détruire l’Église, leur Église. Nous tenons le coup car ce fut une décision prise par toute notre équipe MAfr. Nous avançons sur ce nouveau chemin sans oublier les œuvres de solidarité pour les plus démunis. Nos chrétiens sont invités à mettre en œuvre ces nouvelles orientations en prenant part aux décisions, et en contribuant financièrement ou autrement. Il y a de grands obstacles à surmonter pour arriver à l’autofinancement de la communauté et à sa participation active. La nostalgie de « l’Église des révérends pères » est ancrée dans les mentalités. On l’évoque tout comme les Hébreux au désert se souvenaient des oignons d’Égypte. Ces souvenirs empêchent la marche en avant vers la terre promise. Tout en prenant nos distances avec la société traditionnelle avec qui nous collaborons positivement, nous nous éloignons aussi d’un style paternaliste d’Église. C’est un combat quotidien, un choix à faire chaque jour entre la tranquillité du « père qui lui est bon » ou le combat du « prophète qui dénonce l’actualité ». Le choix entre ces deux missions est difficile et douloureux. Non seulement la foi chrétienne semble avoir peu d’impact sur la vie traditionnelle, mais la religion traditionnelle s’infiltre dans les coutumes chrétiennes. Peu importent les actions que les MAfr entreprennent, nous restons un groupe d’étrangers. Les chrétiens originaires de Bunkpurugu sont sous l’influence des anciens, gardiens des traditions. Des fidèles de la religion traditionnelle manifestent parfois leur impatience devant nos Eucharisties pour les chrétiens défunts. Les pompes funèbres sont une chasse gardée ! Comment inculturer ? Il faudrait que les chrétiens réalisent que c’est aussi un devoir chrétien que d’enterrer les morts. Nous étudions une adaptation des rites funéraires bimoba déjà utilisé au Togo voisin dans le diocèse de Dapaong. Il nous faut intensifier la formation de nos collaborateurs qui deviendront formateurs à leur tour. Mais la plupart sont des analphabètes. Comment faire ? Être missionnaire c’est être un «bon confrère» À Tamale en compagnie du frère Rudi Keith, 76 ans Les cérémonies funéraires Comme vous le voyez, la célébration des funérailles fait partie des événements sociaux importants de la vie à Bunkpurugu. Elles touchent tout le monde, quelle que soit la classe sociale, la religion où l’âge. Par peur d’être accusé d’avoir causé la mort, chacun doit y participer. On y vient aussi par désir d’appartenance à la communauté et en vue de recevoir les mêmes honneurs après sa mort. Les funérailles sont un terrain où se joue l’avenir de la rencontre entre christianisme et religion traditionnelle. L’Église peut y montrer sa force ou sa faiblesse. Nous avons besoin de « rencontre » et de « dialogue », mais comment ? Puisque la religion traditionnelle n’est pas structurée à la manière d’une Église, il est difficile d’entrer en « dialogue » avec elle. Au départ, on peut se contenter de rencontres avec des personnes, des amis ou des familles. De plus la société moderne pousse à cacher les pratiques traditionnelles. Les funérailles restent l’occasion principale d’approcher la religion traditionnelle. On s’y rencontre parfois avec des regards soupçonneux, se demandant qui va « gagner la cérémonie » lors du décès d’un chrétien. Selon toute probabilité, c’est l’Église qui va perdre un membre aux « traditionalistes » sans jamais en gagner un des leurs. Il n’y a pas de place pour un dialogue significatif. Nous devons encore trouver le plan des chemins du dialogue. Suite à quelques entretiens sur le sujet, j’attends de rencontrer sur mon chemin un événement qui amorcera le dialogue. Chrétienne de son vivant ! Mais après sa mort ? Je veux vous raconter un fait de vie pour illustrer mes questions. À ces lignes, les lecteurs verront combien nous sommes faibles et combien nous devons prier « pour recevoir le courage de changer les choses qui peuvent l’être et la sérénité pour accepter celles qui ne peuvent changer. » Marie, une dame d’une de nos succursales, était la présidente du Cercle des femmes chrétiennes. D’après sa carte de baptême, elle recevait régulièrement la communion et payait la dîme. Une chrétienne « en ordre » ! J’étais le seul prêtre à la paroisse quand un catéchiste apporta la nouvelle de son décès. Avec le catéchiste nous avons préparé les funérailles. Le catéchiste est parti à l’avance pour avertir la communauté catholique et moi j’allais suivre après avoir mis en ordre ma valise-chapelle. Au moment de partir, le catéchiste revint pour me dire qu’il était impossible d’organiser les funérailles. Les chrétiens devaient s’éloigner du corps de la défunte qui avait été confié aux membres de la religion traditionnelle. Le fils aîné de la défunte, pratiquant des rites traditionnels, manifestait son opposition à la présence de la communauté catholique. Il ne voulait tolérer aucun chant ou prière des chrétiens aux funérailles de sa mère. Se sentant menacés, les catholiques présents à la maison de la défunte durent quitter les lieux. Le corps de Marie fut enterré selon les rites traditionnels. Personnellement, j’ai eu cette réaction : les catholiques ont abandonné Marie au moment où elle avait le plus besoin d’eux. Marie, de son vivant, comme toutes les ‘vieilles mamans chrétiennes’, avait espéré des funérailles chrétiennes. (J’ai moi-même été élevé par une ‘vieille maman’chrétienne !) Je savais que Marie voulait qu’une messe d’enterrement soit célébrée. C’était une œuvre de justice que de la célébrer. Pourquoi les chrétiens avaient-ils démissionné devant la mauvaise humeur du fils ? Pourquoi ne m’avaient-ils pas consulté, moi leur prêtre, avant de s’enfuir ? La nuit suivante, j’ai mal dormi en me posant ces questions. Quelques jours après, avec le catéchiste et des responsables de la communauté catholique, je suis allé au village de Marie. Nous avons visité la famille en deuil et lui avons présenté nos condoléances. J’ai demandé à voir la tombe de Marie. Avec la communauté chrétienne, nous sommes partis en procession vers la brousse à quelque distance du village. Sous l’arbre où Maie est enterrée, j’ai présidé à une liturgie de la parole. Dans mon commentaire de l’évangile, j’ai demandé pardon à Marie de l’avoir abandonnée par peur, sans défendre ses droits. J’ai aussi demandé pardon aux enfants plus jeunes de Marie qui sont aussi chrétiens… mais qui portaient les amulettes des cérémonies traditionnelles. Dans cette homélie, j’ai dénoncé autant l’attitude des membres de la religion traditionnelle que celle des chrétiens. Après ces prières, j’ai demandé à la communauté catholique de déposer une plainte officielle auprès du chef du village. Je voulais qu’il fasse part de notre indignation aux « traditionalistes » et qu’il leur dise notre désir d’être respectés en tout ce qui touche au sort réservé à nos membres après leur mort. J’ai entrepris une campagne de prédication sur le sujet dans les lieux de culte de la paroisse en espérant réveiller l’opinion publique. Mais sachant que les sermons ne suffisent pas, j’ai porté l’affaire dans les prières de la paroisse et au conseil pastoral paroissial. Cette affaire n’a pas eu de suite. Depuis, nous n’avons pas fait grand-chose pour « le dialogue » mais il fait toujours partie de notre projet pastoral. Rencontre avec l’islam ? Notre rencontre avec les religions, la traditionnelle ou les autres, n’est pas toujours occasion de tensions. Nos chrétiens seront respectés dans le domaine religieux quand ils s’afficheront clairement comme chrétiens. Voici un exemple qui vient du milieu musulman. M. Alhassan (les noms sont fictifs) est un membre important de notre Église catholique. Il vient d’une famille musulmane. On préparait le mariage traditionnel de sa fille Mady, née de son premier mariage avec une femme musulmane. Mady et son fiancé Léo sont catholiques, éduqués et occupant des emplois bien payés en ville. M. Alhassan, aussi très à l’aise financièrement, m’a invité pour la célébration du mariage. Je me suis présenté à la fête avec ma gandoura et mon rosaire. D’autres catholiques étaient aussi présents. Après l’échange des cadeaux, comme demandé par la tradition, on m’a demandé de bénir les alliances. Le jeune couple avait décidé d’introduire cet élément moderne dans les rites traditionnels du mariage. J’ai lu un passage de l’Évangile, dit une prière et fait le signe de la croix sur les anneaux avec de l’eau bénite. J’ai aussi béni les participants avec l’eau, chrétiens, musulmans et fidèles de la religion traditionnelle. Ma prière demandait que les bénédictions du ciel, comme la pluie, tombent sur toute l’assemblée. Dans les jours qui suivirent, toute la ville parla de ce mariage. M. Alhassan en fut très heureux. Il me confia avoir senti un respect accru envers lui et sa fille de la part de sa famille musulmane. Il me dit qu’on parlait favorablement des catholiques. En remerciement, il m’a offert deux pintades bien grasses. Ce mariage eut des suites… à 120 km de Bunkpurugu. Je suis allé là-bas célébrer un autre mariage. L’église était pleine de musulmans car l’époux venait de cette religion. Mais j’ai compris qu’ayant entendu parler du mariage de Mady, les musulmans s’étaient présentés en nombre pour voir la cérémonie de leurs propres yeux. Les autres chrétiens J’ai rencontré des pasteurs et des responsables de quelques groupes chrétiens noncatholiques. Quelques-uns sont des amis rencontrés dans des réunions et des comités. Quelque peu défiants les uns des autres au début, à cause des préjugés ou de l’ignorance, nous nous sommes par la suite bien entendus. Un jour, je me suis arrêté à la maison de l’un d’entre eux. Il m’a reçu et a commencé à me parler d’un problème familial. Il est pasteur baptiste. Sa femme venait de l’abandonner, le laissant avec leurs enfants. Il a suivi le conseil que je lui ai donné et quelque temps après il est revenu me dire que sa femme était revenue à la maison. Un autre pasteur, un pentecôtiste, semblait nous mépriser. Nous étions en train de célébrer le dimanche des rameaux sur un pont. Il n’a pas manqué de nous rappeler que les ponts étaient d’abord faits pour les voitures. Il a bien raison. Mais ce jour-là, nous avons cru voir un diable enragé. Peut-être a-t-il pensé la même chose de nous ? Je n’ai pas poursuivi cette affaire. Sûrement qu’une visite aurait aidé. Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire. J’attends juste l’occasion favorable. Éducation scolaire Un jour, je marchais en ville à Bolgatanga. J’ai lu ce slogan peint sur le mur extérieur d’un jardin d’enfants : « Mieux vaut préparer les enfants que de réparer les adultes. » Je suis d’accord avec cette sagesse populaire ! Souvent l’Église ne s’implique plus dans l’école publique parce qu’elle n’en a plus la responsabilité. Certains prêtres attendent une nomination officielle d’aumônier avant d’aller vers l’école. Comment répondre à ce ministère à Bunkpurugu ? Comment participer à l’éducation même sans avoir le titre officiel d’aumônier des écoles ? J’ai choisi d’aller donner un coup de main à la direction (au niveau de la sous-préfecture). On m’a confié l’animation d’ateliers et j’ai développé de bonnes relations avec les fonctionnaires de ce service. Quand aux élèves, j’ai constaté qu’ils savent à peine lire parce que leurs maîtres préfèrent se reposer à l’ombre d’un manguier pendant les heures de cours. Comme à la maison nous avions des piles de vieux journaux et magazines, j’ai décidé de les distribuer dans les écoles. C’est ainsi que la présence de l’Église s’est manifestée dans le monde scolaire. Puis, petit à petit, j’ai organisé des messes, j’ai appris des cantiques aux élèves. Le directeur d’une école secondaire voisine est un chef musulman avec qui je collabore dans un comité de santé publique. Il m’a invité et a promis d’assister à une de mes prières. Mais il n’est pas venu… D’autres directeurs me connaissent aussi par les ateliers ou des rencontres personnelles. En fin de compte, j’ai été le bienvenu partout. Les enseignants aussi voulaient de la lecture pour passer le temps. Ils m’ont remercié et m’ont demandé de les aider également avec du matériel sportif. Un enseignant m’a stoppé sur la route pour m’inviter : « Père, je suis musulman mais tous mes élèves sont chrétiens. Venez leur parler. ! » Il pensait qu’en renforçant le sentiment religieux chez ses élèves, ils se comporteraient et réussiraient mieux en classe. J’ai accepté. ‘Laissez les petits enfants venir à moi’ Un jour j’ai visité une dame, directrice d’une autre école, près de la mission. Quand j’ai vu les classes, je n’en croyais pas mes yeux ! J’ai vu une centaine d’élèves par classe, en trois locaux, où on enseignait deux cours différents. En plus, il y avait un jardin d’enfants où tout menaçait de s’écrouler. J’en ai parlé à mes confrères et ils ont été d’accord pour inviter cette école à s’installer temporairement dans des salles de la mission. Au bout de six mois, voyant que les autorités ne faisaient rien pour cette école, et bâtissaient d’autres écoles ailleurs, j’ai écrit une lettre à l’Assemblée du District. J’ai menacé d’expulser les enfants en dehors des salles de la mission. Plus tard la District Chief Executive (sous-préfet), une dame, m’a convoqué pour m’expliquer la complexité d’une politique qui touche les fonctionnaires, les entrepreneurs, les membres du gouvernement. Elle a promis de s’occuper de l’école et m’a demandé d’être patient. Depuis, on a refait le toit de l’école, mais rien de plus. Cette école primaire est toujours installée dans une ancienne maison de la mission. Est-ce un succès ? Est-ce un échec ? Dieu seul le sait. Une école catholique ? Il n’y a pas d’école catholique à Bunkpurugu. Il y a deux ans, l’évêque en a promis une. Nous attendons toujours. Nous avons donc décidé d’adopter l’école qui logeait chez nous. Nous voulions y offrir un soutien intellectuel, religieux et moral afin de « préparer les enfants pour le futur plutôt que d’avoir à réparer des adultes ». Mais nous attendons toujours une école catholique ‘officielle’. Pour qu’une école soit ‘catholique’, il ne suffit pas simplement que l’administration soit catholique. Il faut que l’Église y enseigne, y fasse la catéchèse et soutienne les enseignants. J’ai donc invité les enseignants et les élèves à venir à la messe. J’aime entendre les écoliers faire le signe de la croix pour commencer et terminer la journée. Les enseignants, les parents et les enfants sont heureux de cet état d’esprit mais… si nous n’aidons pas matériellement, nous perdrons notre crédibilité. Dans une rencontre récente avec un enseignant d’une école secondaire (niveau collège), nous avons vu la nécessité d’encourager les élèves en organisant des cours de rattrapage. Le directeur a décidé de taxer chaque parent afin de pouvoir ériger des locaux temporaires où les jeunes viendront étudier… pensant que cela attirerait les bienfaiteurs et l’attention des autorités sur les besoins des jeunes. Des bienfaiteurs pourront nous aider à condition que les parents aient d’abord fait leur part. Quand à moi, j’ai d’abord pensé donner des cours d’anglais, de religion et de morale… mais j’ai été trop occupé ailleurs. Santé publique et ambulance Des travailleurs de l’ethnie des Bimoba vivent à l’étranger. Ils ont envoyé des fonds pour acheter une ambulance afin d’aider leurs concitoyens. J’étais l’un des cinq membres du comité organisateur. Le directeur régional de la santé publique est venu remettre les clés de l’ambulance lors d’une cérémonie qui rassemblait les anciens, les personnalités importantes et le personnel de la santé. Quelques jours après, j’ai vu l’ambulance sur la route… Un fonctionnaire de la santé en avait sans doute besoin pour un voyage personnel ? Conflits interethniques En septembre 2007, un conflit civil a dégénéré et a causé la mort de quelques personnes tout en obligeant des centaines d’autres à se déplacer. Les troubles auraient, dit-on, commencé autour d’un billet de banque. Le marché a été incendié. La querelle s’est développée jusqu’à devenir une bataille entre ethnies qui a touché onze villages. Coïncidence, il y avait aussi des meetings politiques organisés dans le même temps. Pourtant les deux ethnies concernées, les Bimoba et les Konkomba vivent ensemble depuis des centaines d’années. Ils sont proches quant à la langue et aux coutumes. Les familles se connaissent. Ils fréquentent les mêmes marchés, les mêmes écoles, les mêmes églises. On dit qu’ils ont les mêmes ancêtres. Malheureusement, les conflits sanglants causent de telles blessures aux nouvelles générations qu’elles se sentent partie prenante d’une histoire violente. Démocratie ou ‘Demon-crazy’ (folie diabolique) ? La majorité de la population de Bunkpurugu est composée de gens pauvres. La région a été négligée par le gouvernement. Ici, rien à voir avec le succès obtenu par le Ghana, ‘champion de l’excellence africaine’, dans le domaine de la démocratie et de la bonne gouvernance. C’est ce qu’on dit officiellement. Pourtant si on applique à la région Nord du Ghana les critères de l’indice de développement humain, on ne peut sûrement pas y vérifier le slogan actuel qui proclame : « En ces années-ci, il est bon d’être Ghanéen ». Car dit un vieil adage : « A hungry man is an angry man. Un homme qui a faim est un homme en colère ! » L’opinion publique se lève actuellement contre les manipulations politiques qui profitent de pauvres gens. . . L’équipe MAfr de Bunkpurugu : Oleru Malachy, 47 ans Piet de Bekker, 63 Kevin Rand, 59, curé La réponse de l’Église Dans notre paroisse, les personnes déplacées par le conflit ont ajouté à la pauvreté des familles d’accueil, tant à Bunkpurugu que dans les villages des environs. Les familles catholiques ont été sollicitées quand on a lancé un appel pour trouver des vivres et des logements. Nos homélies, nous les pasteurs de l’Église, ont répercuté ces appels à la solidarité et à la vigilance face aux tensions et aux rumeurs. ‘Certains démons ne peuvent être chassés que par la prière’ a dit Jésus. Nous avons prié tant pour les envahisseurs venant en ville que pour les fugitifs partis se réfugier en brousse. Le conflit a commencé à Jimbale, à 16 km de la mission. Nous y avons fait nos premiers « exorcismes ». En temps de crise, un pasteur doit s’occuper de tous mais spécialement des membres du Corps du Christ. Quelle a été la part des chrétiens dans les troubles, comme victimes ou comme responsables ? Si nous n’évaluons pas ces responsabilités, nous n’annonçons pas la Bonne Nouvelle. Cette première visite nous a apportés beaucoup. Les démons de la peur allaient-ils, comme à Gérasa, prendre peur et se précipiter dans la mer ? Des gens qui avaient eu peur de se présenter à la police et à l’armée vinrent rencontrer leur curé et raconter leur histoire. Un prêtre pouvait les écouter. Comme, après un conflit il faut multiplier les gestes de confiance, nous avons décidé de célébrer la messe à Jimbale le dimanche suivant. Nous ne savions pas trop comment aider les personnes qui avaient tout perdu. La paroisse n’a pas de fonds d’urgence. Un organisme du diocèse est venu à notre aide. Nous avons reçu la visite de l’abbé Ayaga Augustine, directeur du bureau diocésain de développement, et des sœurs Mary Okeke et Bernadine Piimi, Filles de la Charité de saint Vincent de Paul. Ils ont été les premiers à apporter aux nécessiteux des vêtements et des vivres. Un chef de communauté a tenu à leur exprimer sa gratitude et celle des personnes secourues. Le District Chief Executive (sous-préfet) Mme Elizabeth Poyar Pigit, présente à la cérémonie de remise des dons, a aussi eu des paroles très élogieuses pour notre évêque. Depuis, le diocèse a continué à encourager les personnes en conflit à se rencontrer et à se parler. Les Filles de la Charité sont très engagées dans ce sens. Projets d’avenir ? Puisque la paroisse de Bunkpurugu n’a pas de fonds d’urgence, nous devons chercher sur place des solutions à nos besoins. Nous avons proposé aux réunions de prière de commencer à récolter des fonds et des vivres. On demande à chaque chrétien d’offrir un bol de sorgho ou de mil. En plus, on fera une deuxième quête à la messe pour acheter des médicaments et des matériaux de construction, tout en attendant que le gouvernement intervienne. Nous avons aussi demandé de l’aide à la Société des MAfr, aux ONG et aux organismes de l’Église. Mission impossible ? Il est impossible de s’impliquer dans une telle situation sans ressentir à un moment ou l’autre son impuissance. Il est arrivé que des individus m’en veuillent car l’Église menace leurs intérêts. Et j’ai aussi besoin moi-même d’être évangélisé. On n’accomplit pas une mission sans prendre des risques. Cependant, le Seigneur de la Mission ne nous a-t-il pas promis sa protection (Actes 26) ? On ne le sent pas toujours là, mais il faut continuer en nous posant toujours les mêmes questions. Qu’est-ce que la mission ? Qu’est-ce que l’évangélisation ? Qu’est ce que la rencontre et le dialogue ? Qu’est-ce que justice et paix ? Et, pour finir, je me demande quel bien nous accomplissons à Bunkpurugu ? Malachy Oleru |