Musulmans et non-musulmans / rencontres et expériences inédites
Très intéressant à lire, ce livre d’une centaine de pages se doit d’être lu et consulté par tous ceux et celles qui travaillent déjà ensemble pour la construction d’un monde plus solidaire, entre membres d’une même société mais qui ne partagent pas la même culture ou la même religion. Le gros avantage de ce livre est qu’il ne parle pas « en l’air » mais tout ce qu’il dit s’élabore à partir d’expériences vécues entre musulmans et non-musulmans.
Le professeur Félice Dassetto fait une préface remarquable ; surtout à partir de la page 11, il résume la pédagogie qui a conduit les membres du Cefoc ou de « Sagesse au quotidien » à mettre en place des activités favorisant les rencontres et interactions interreligieuses entre musulmans et non musulmans.
Le 1er chapitre « Jongler entre universel et particulier » commence par quelques aperçus sur la ou les spiritualités ; ensuite il s’étend sur près de 20 pages sur la présence des rites comme moyen de communication pouvant exprimer à la fois l’universel ou le particulier (26). Pas toujours liés aux religieux, ces rites favorisent la vie sociale et assurent un certain enracinement qui n’exclue pas toute évolution (p.29 à 45)
Le 2ème chapitre nous invite à purifier nos regards sur le monde, sur l’autre et sur soi-même. C’est à la fois une ouverture à la complexité des choses et un refus d’essentialiser toute identité. Toute identité étant toujours en évolution, il nous faut refuser de « figer » toute personne dans une seule dimension de son identité (67)
Le chapitre 3 se fait l’avocat du courage de la confrontation en milieu interculturel ou interreligieux. Après une courte présentation du modèle assimilationniste et du modèle communautariste, les auteurs nous invitent à privilégier l’approche interculturelle et à « conjuguer les démarches personnelles et les démarches collectives » (91) Il s’agira donc d’une construction patiente qui vise le changement ; soit une mise en route, concrète et volontariste, d’interactions afin d’intégrer progressivement la conflictualité et la complexité de ce qui nous entoure (98). Il en résultera des tensions ou des conflits qui pourront faire naître la peur. La sagesse sera alors de ne pas refuser le conflit et de le traverser (99)
En conclusion, nos auteurs soulignent avec juste raison que la coexistence est irréversible (104). Il nous faut donc l’accepter. Dans ce melting pot interreligieux d’aujourd’hui, l’atmosphère de nos sociétés occidentales est peut-être lourde. Il nous faut donc nous mettre au travail en comprenant que la vraie rencontre interreligieuse ne va pas de soi et qu’il faut y travailler en faisant quelque chose ensemble. De plus, nous devons nous faire aucune illusion quant à ce double mythe qui pourrait nous tenter à savoir que tout serait mieux soit si nous avions le même Dieu, soit si nous éliminions tous les Dieux. (106). La vraie et profonde rencontre interreligieuse est possible mais non facile. Ce livre nous l’a montré et peut nous inciter à des actions en ce sens. Gilles Mathorel
Musulmans et non-musulmans / Rencontres et expériences inédites. Leila Amahjour – Vanessa Dellapiana – Véronique Herman. Cefoc 2015 – 117 pages
Honneur aux londoniens
À Londres, l’homme du moment est évidemment Sadiq Khan, ce Pakistanais d’origine, musulman de confession, qui vient d’être élu maire de la ville. Il y a plusieurs façons d’envisager la chose. On peut avoir en tête la série de griefs que n’a cessé de faire valoir, pendant toute la durée de la campagne, et très légitimement, son adversaire conservateur : ce meeting de septembre 2004 tenu avec des islamistes radicaux sous l’égide de la très propalestinienne association des amis d’al-Aqsa ; cette interview de 2009, sur une chaîne de télévision iranienne, où il comparaît à des « Oncles Tom » les musulmans modérés d’Angleterre ; ou les contacts qu’il a pu avoir avec des hommes aussi peu recommandables que l’Égyptien Yasser al-Sirri (auteur, entre autres perles, d’une déclaration sur la « mort honorable » de Ben Laden), que le militant projihad Sajeel Abu Ibrahim (probable instructeur dans un camp d’entraînement au Pakistan), ou que Yusuf al-Qaradawi (ce théologien qatari, prêcheur sur al-Jazira et lié à l’aile la plus radicale des Frères musulmans).
La deuxième manière d’appréhender l’événement est d’écouter ce que l’intéressé, chaque fois, a répondu : ici, qu’on ne sait pas toujours, d’avance, avec qui on va partager la tribune d’un meeting ; là, que cette interview à la télévision iranienne était une erreur et qu’il présente ses plus plates excuses à ceux de ses coreligionnaires qu’a pu blesser son mot sur le bon esclave noir du roman de Beecher-Stowe ; et, à propos du prêcheur d’al-Jazira, que le dernier des hommes a droit, lui aussi, aux services d’un avocat et que leurs relations ont toujours été celles d’un avocat et de son client. Vrai ? Faux ? Devenir le premier maire musulman d’une capitale européenne valait-il, non une messe, mais un arrangement avec les faits? Difficile à savoir ; mais qu’il tienne à le dire, qu’il y mette tant d’insistance et d’énergie, qu’il se désolidarise avec pareille vigueur de cette mouvance islamiste qu’il a pu lui arriver de côtoyer est, au pis, un hommage du vice à la vertu et, au mieux, un désaveu de l’homme qu’il fut par l’homme qu’il est devenu et qui n’a plus l’ombre d’une complaisance pour ce passé ambigu… (Source: 13.05.16/Bernard-Henri Lévy | OLJ)
Olivier Roy : « l’idée que l’islam est en train de remplacer le christianisme n’est pas vraie »
Le chercheur français Olivier Roy revient pour « L’Orient-Le Jour » sur la question religieuse au XXIe siècle.« Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas. » André Malraux avait-il des dons de prémonitions ? Était-il si évident qu’au nihilisme du XXe siècle allait succéder une période de renouveau religieux ? Le XXIe siècle est entré dans l’histoire par la porte du 11-Septembre et, depuis, dans toutes les régions du monde, les mouvements fondamentalistes, radicaux, identitaires, apocalyptiques semblent en pleine progression. Le phénomène État islamique (EI), le poids des mouvements évangélistes aux États-Unis, la propagation des discours identitaires qui mêlent le religieux au politique en Europe, en Inde, en Russie semblent être autant d’exemples du retour de Dieu. Mais un retour dans des habits nouveaux qui s’inscrit dans le contexte de la postmodernité. Le chercheur français Olivier Roy, directeur du programme Religio West et enseignant à l’Institut européen universitaire (EUI), à Florence, auteur de La Sainte ignorance (Paris, Le Seuil, 2008), est notamment connu pour ses réflexions sur la place de la religion au XXIe siècle. En marge de la conférence sur l’état de l’Union, qui s’est tenue dans la ville toscane les 5 et 6 mai, il a livré son analyse à L’Orient-Le Jour sur la question religieuse au XXIe siècle.
À l’aube du XXIe siècle, assiste-t-on à un retour du religieux ? Ce n’est pas un retour du religieux parce qu’on ne revient pas du tout à une situation qui existait antérieurement. Il s’agit d’une mutation du religieux qui, aujourd’hui, se déculturalise et se globalise. Donc il est soudainement beaucoup plus visible. Surtout, sa déculturalisation entraîne la prévalence de formes fondamentalistes du religieux. De nos jours, les gens ne vont pas vers des religions disons socialement bien intégrées, culturellement enracinées. Ils veulent des religions dures, c’est-à-dire du religieux qui se positionne explicitement en face d’une société sécularisée, qu’ils ne rejettent pas nécessairement, mais qu’ils veulent convertir. Je crois que c’est ça la caractéristique de cette illusion du retour du religieux.(Source : L´OrientLeJour/10/05/2016/Propos recueillis par Caroline HAYEK, à Florence | OLJ)