Pour le pape, « le monde est en guerre », mais ce n’est pas une « guerre de religions »
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Par Cécile Chambraud (Cracovie, envoyée spéciale)
Un prêtre est mort égorgé dans son église, à Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), et ce tragique événement n’a fait queconforter le pape François dans le diagnostic qu’il a posé dès les débuts de son pontificat. « N’ayons pas peur de dire cette vérité : le monde est en guerre », a-t-il affirmé, mercredi 27 juillet, dans l’avion qui le conduisait de Rome à Cracovie, où se tiennent jusqu’à dimanche les Journées mondiales de la jeunesse (JMJ). Mais, a-t-il aussitôt précisé, il ne s’agit « pas d’une guerre de religions », car « toutes les religions veulent la paix ».
Instituées par Jean Paul II dans les années 1980, les JMJ sont d’abord un immense rassemblement (ils pourraient être jusqu’à deux millions, dimanche, dans la seconde ville polonaise) de jeunes catholiques venus du monde entier pour deux semaines de prières, de rencontres et d’échanges sur leur foi. Comme ses prédécesseurs, François les rejoindra vendredi soir pour les cérémonies religieuses du dernier week-end de leur séjour et aussi pour y puiser un bain de « jeunesse et d’espérance », selon les mots qu’il a employés mercredi.
Mais au lendemain de l’assassinat du prêtre Jacques Hamel, après la série d’attentats djihadistes qui, ces dernières semaines, ont ensanglanté la Belgique, la France et l’Allemagne et ont nourri des tensions politiques et des mouvements populistes dans de nombreux pays européens, la priorité était décidément tout autre. Aussi, le chef de l’Eglise catholique a employé les premières heures de ce déplacement à tenter d’éviter que la situation ne débouche sur des antagonismes religieux.
Cette guerre, telle que la définit le pontife argentin, ne ressemble sans doute pas à celles qui l’ont précédée, mais elle n’en est pas moins bien réelle à ses yeux.
« Il y a eu celle de 1914, puis celle de 1939-1945, et maintenant celle-là. Elle n’est peut-être pas aussi organique. Organisée, oui, mais pas aussi organique. Mais c’est une guerre. »
Elle trouve ses racines non pas dans les religions, donc, mais dans des questions « d’intérêt, d’argent, d’accès aux ressources naturelles, de domination des peuples » dont il dénonce avec constance les effets dramatiques et déstabilisants sur de nombreux Etats.
« Le président de la France m’a parlé comme un frère »
L’assassinat du Père Jacques Hamel, « ce saint prêtre, mort au moment même ou il offrait des prières pour toute l’Eglise », qui a trouvé un écho immense en Italie, est donc le dernier fait en date d’un conflit qui embrase une bonne partie du monde.« Il est l’une [des victimes de cette guerre], a-t-il déclaré. Mais combien de chrétiens, combien d’innocents, d’enfants ! Pensons au Nigeria, par exemple. »
Depuis des mois, le pape s’insurge contre le sort fait aux chrétiens du Proche-Orient et dans certains pays d’Afrique, mais aussi à des populations musulmanes de nombreux pays. Il a remercié au passage tous ceux qui ont manifesté à l’Eglise catholique des témoignages de soutien « et, de façon spéciale, le président de la France, qui a voulu [lui] parler au téléphone comme un frère ». La veille, après l’assassinat du Père Jacques Hamel, François Hollande avait appelé Jorge Bergoglio pour lui transmettre ses condoléances.
L’une des conséquences les plus dramatiques de ce conflit dépeint par le pape est la crise des réfugiés, qui, depuis des mois, a divisé les Européens et les a bien souvent placés en contradiction avec leurs propres principes. En se rendant dans l’île italienne de Lampedusa dès juillet 2013, puis dans l’île grecque de Lesbos, en avril 2016, en accueillant au Vatican quelques réfugiés, en demandant à toutes les paroisses de se charger d’une famille, François n’a cessé d’exhorter les Européens à assumer leurs responsabilités envers les migrants.
Le gouvernement conservateur polonais est l’un des plus hostiles à l’idée d’ouvrir largement les portes de l’Union à ceux qui parviennent à gagner l’Europe, ce qui met les autorités de ce pays en porte à faux. Proche de l’Eglise catholique, le pouvoir polonais est bien éloigné des objurgations du pape François en faveur du secours aux migrants.
« Accueillir tous ceux qui fuient la guerre et la faim »
Le chef de l’Eglise catholique s’est exprimé sur ce sujet à son arrivée à Cracovie, où il a été accueilli à l’aéroport par le président Andrzej Duda. A l’occasion de sa traditionnelle rencontre avec les autorités politiques et sociales, au château royal de Wawel, où il s’est rendu en papamobile, François a appelé le gouvernement à « accueillir tous ceux qui fuient la guerre et la faim » et à faire preuve de « solidarité envers ceux qui sont privés de leurs droits fondamentaux, parmi lesquels celui de professer en liberté et sécurité leur propre foi ».
Le pape a reconnu que les migrations sont un « phénomène complexe » qui« demande un supplément de sagesse et de miséricorde, pour dépasser les peurs et réaliser le plus grand bien ». Mais il a pressé les gouvernants de « faire le possible pour alléger les souffrances [des réfugiés], sans se lasser d’agir avec intelligence et continuité pour la justice et la paix, en témoignant dans les faits des valeurs humaines et chrétiennes ».
Deux jours avant d’aller se recueillir au camp d’extermination nazi d’Auschwitz-Birkenau, vendredi, François a aussi engagé une réflexion sur la mémoire et l’histoire.« Il y a deux types de mémoire, a-t-il affirmé : la bonne et la mauvaise, la positive et la négative. (…) La mémoire négative est celle qui tient le regard de l’esprit et du cœur fixé avec obsession sur le mal, surtout sur celui commis par les autres. » La Pologne, a-t-il affirmé, a su « faire prévaloir la mémoire bonne », par exemple à travers le« pardon réciproquement offert et reçu entre les épiscopats polonais et allemand après la seconde guerre mondiale ».
Cécile Chambraud (Cracovie, envoyée spéciale)