France - Belgique : « Inscrire la laïcité dans la Constitution risque de dénaturer le principe »
Rédigé par Hanan Ben Rhouma | Vendredi 9 Décembre 2016
De la France à la Belgique, le concept de laïcité ne renvoie pas aux mêmes compréhensions et expériences. La France plus laïque que son voisin, dites-vous ? C'est à cette question que répond l'ouvrage « La laïcité dans l’ordre constitutionnel belge », dont est l'auteur Mehmet Alparslan Saygin, spécialiste belge du droit public, du droit du travail et de la laïcité. Ce conseiller juridique alerte sur le risque d'une constitutionnalisation du principe dans les deux pays et adresse ses préconisations. Interview.
Saphirnews : Vous partez du postulat que la Belgique est un Etat plus laïque que la France. En quoi est-ce le cas ?
Mehmet Alparslan Saygin : La France affirme ne pas reconnaitre ni ne subventionner les cultes. En réalité, elle fait les deux, non seulement en Alsace-Moselle mais aussi dans les départements d’outre-mer. Elle le fait également sur l’ensemble du territoire métropolitain à travers toute une série de dispositifs qui contredisent l’esprit de la laïcité telle qu’elle veut bien la définir comme la loi (Debré) de 1959 permettant à l’enseignement privé sous contrat – confessionnel compris – d’obtenir des subsides de l’Etat.
De son côté, la Belgique assume son système de reconnaissance et de subventionnement mais, de surcroit, elle reconnait une plus grande pluralité de cultes puisque six (+ un) cultes sont reconnus et financés : les cultes catholique, israélite, protestant, anglican, orthodoxe, islamique et une « conviction philosophique non confessionnelle », qui s’apparente à l’athéisme mais qui est souvent abusivement appelée « laïcité organisée ». Ajoutons que la reconnaissance du bouddhisme est en route. L’Etat belge s’inscrit ainsi dans un plus grand esprit de transparence que la France : les règles du jeu sont plus claires s’agissant de la définition de la laïcité.
La Belgique s’inscrit dans un plus grand esprit de pluralisme et donc de plus grande égalité de traitement que la France. Par ailleurs, de façon générale, la Belgique est plus respectueuse de la liberté religieuse, notamment de son exercice public. Par exemple, on y trouve moins d'entraves à la liberté de porter un signe convictionnel, même s'il y en a aussi.
De son côté, la Belgique assume son système de reconnaissance et de subventionnement mais, de surcroit, elle reconnait une plus grande pluralité de cultes puisque six (+ un) cultes sont reconnus et financés : les cultes catholique, israélite, protestant, anglican, orthodoxe, islamique et une « conviction philosophique non confessionnelle », qui s’apparente à l’athéisme mais qui est souvent abusivement appelée « laïcité organisée ». Ajoutons que la reconnaissance du bouddhisme est en route. L’Etat belge s’inscrit ainsi dans un plus grand esprit de transparence que la France : les règles du jeu sont plus claires s’agissant de la définition de la laïcité.
La Belgique s’inscrit dans un plus grand esprit de pluralisme et donc de plus grande égalité de traitement que la France. Par ailleurs, de façon générale, la Belgique est plus respectueuse de la liberté religieuse, notamment de son exercice public. Par exemple, on y trouve moins d'entraves à la liberté de porter un signe convictionnel, même s'il y en a aussi.
Mehmet Alparslan Saygin
La Belgique finance l’organisation des cultes reconnus. Sur quels principes se fonde cette spécificité ? En quoi le caractère laïque de l’Etat est-il préservé ?
Mehmet Alparslan Saygin : Comme on le voit, l’affirmation de départ concernant la France est discutable, voire tout simplement fausse. Cela étant, la spécificité belge se fonde sur le contexte dans lequel l’Etat belge est né, à savoir une union entre catholiques et libéraux face à la domination néerlandaise (tandis que la laïcité à la française est née d’une rupture douloureuse avec l’Eglise catholique, ndlr).
Contrairement à une idée fort répandue, la reconnaissance et le financement de cultes ne sont pas, en soi, contraires au principe de laïcité. C’est se méprendre sur la signification du concept de « séparation ». La séparation n’implique pas nécessairement que l’Etat ne puisse reconnaitre et financer des cultes. Elle implique que, sous prétexte de reconnaissance et de financement, l’Etat ne s’ingère pas dans le fonctionnement des institutions religieuses. L’inverse est vrai aussi : les institutions religieuses ne doivent pas s’ingérer dans le fonctionnement des institutions publiques. En ce sens, il faudrait plutôt parler de « non-ingérence réciproque » entre l’Etat et les Eglises. Tant que ce principe est observé, la laïcité est garantie.
Contrairement à une idée fort répandue, la reconnaissance et le financement de cultes ne sont pas, en soi, contraires au principe de laïcité. C’est se méprendre sur la signification du concept de « séparation ». La séparation n’implique pas nécessairement que l’Etat ne puisse reconnaitre et financer des cultes. Elle implique que, sous prétexte de reconnaissance et de financement, l’Etat ne s’ingère pas dans le fonctionnement des institutions religieuses. L’inverse est vrai aussi : les institutions religieuses ne doivent pas s’ingérer dans le fonctionnement des institutions publiques. En ce sens, il faudrait plutôt parler de « non-ingérence réciproque » entre l’Etat et les Eglises. Tant que ce principe est observé, la laïcité est garantie.
Considérez-vous que l’égalité de traitement entre les religions dites anciennes et nouvelles est assurée en Belgique ?
Mehmet Alparslan Saygin : Non. Il s’agit d’ailleurs d’une des améliorations possibles et souhaitables de la « laïcité belge ». En effet, actuellement, et malgré une véritable crise des vocations (ainsi qu'une désaffection continue avec des églises de plus en plus vides mais toujours très bien entretenues), 85 % du financement public est alloué à l’Eglise catholique. La répartition est donc à tout le moins inéquitable, ce qui pose problème au regard du principe d’égalité de traitement des cultes et philosophies reconnus. Il faut que la répartition des moyens corresponde à la réalité sociologique du pays. Elle sera ainsi plus juste d’autant que c’est le contribuable qui finance ces moyens et qu’il serait donc normal que leur redistribution soit plus fidèle à la diversité convictionnelle inhérente à la société, en prenant en compte la part des incroyants.
Vous formulez le vœu de créer une institution publique compétente pour recevoir des plaintes pour « violation du principe de laïcité ». Pouvez-vous en donnez les contours ?
Mehmet Alparslan Saygin : Il s’agirait de s’inspirer de l’expérience de l’Observatoire français de la laïcité, mais d’aller au-delà, en octroyant à une institution publique de protection de la laïcité un pouvoir de contrôle et de sanction.
Pourquoi son existence serait-elle nécessaire, à vos yeux ?
Mehmet Alparslan Saygin : Dans un contexte où l’importance du principe de laïcité est systématiquement et massivement soulignée, il est quand même interpellant qu’il n’y ait aucune instance qui puisse rappeler les règles du jeu en la matière, aussi bien d’ailleurs aux particuliers qu’aux institutions.
« Quand la France éternue, la Belgique s’enrhume. » Quelles influences ont les débats publics français autour de la laïcité - et de ses dérives – en Belgique ? Diriez-vous que cette influence est forcément négative ?
Mehmet Alparslan Saygin : J’observe en France une - inexorable ? - régression des libertés fondamentales, rythmée par des débats publics populistes. L’influence négative sur la Belgique, en tout cas la Belgique francophone (en Flandre, cela se ressent moins), n’est pas négligeable. De la question du port de signes convictionnels à l’école publique aux ingérences dans le fonctionnement du culte islamique, en passant par le port du voile intégral dans l’espace public, le cas absurde du port du « burkini » à la plage ou encore, récemment, l’introduction en catimini d’une disposition dans la loi El Khomri ouvrant la voie à l’interdiction du port de signes convictionnels dans les entreprises privées, ces débats rejaillissent quasi automatiquement sur le plat pays.
Comment percevez-vous les tentatives d’interdiction des signes religieux dans l’enseignement public ? L’idée d’une loi comme celle de 2004 en France creuse-t- elle son sillon dans les partis traditionnels belges ou existe-t-il des résistances fortes ? Et par qui ?
Mehmet Alparslan Saygin : Dans l’enseignement public, il faut distinguer élèves et enseignants. Les élèves sont des usagers du service public et, à ce titre, ils ne sont tout simplement pas concernés par le principe de laïcité. Les enseignants, eux, sont concernés et sont tenus de respecter ce principe. En revanche, la laïcité, à savoir la neutralité, ne porte pas sur l’apparence (car il n’existe aucune apparence objectivement neutre), mais sur le service rendu. Par conséquent, s’il est légitime d’exiger des enseignants qu’ils soient neutres, il est excessif d’élargir cette exigence à leur tenue vestimentaire.
Cela étant, la loi de 2004 est une réalité dont s’inspire régulièrement une série de politiques en Belgique, à défaut de pouvoir la transposer. L’enseignement étant communautarisé depuis 1988, chacune des trois communautés (française, flamande et germanophone) a son propre système éducatif et aucune n'a adopté une norme similaire à la loi française de 2004. Une norme d’interdiction serait largement contestable auprès de la Cour constitutionnelle. Mais, sur le terrain, il y a déjà presque une interdiction générale, sans qu’il faille l’officialiser. Par exemple, actuellement, entre 95 et 100 % des écoles publiques à Bruxelles interdisent le port de signes convictionnels. Une interdiction de fait non contestable auprès de la Cour constitutionnelle mais contestable, en revanche, notamment auprès du Conseil d'Etat.
Cela étant, la loi de 2004 est une réalité dont s’inspire régulièrement une série de politiques en Belgique, à défaut de pouvoir la transposer. L’enseignement étant communautarisé depuis 1988, chacune des trois communautés (française, flamande et germanophone) a son propre système éducatif et aucune n'a adopté une norme similaire à la loi française de 2004. Une norme d’interdiction serait largement contestable auprès de la Cour constitutionnelle. Mais, sur le terrain, il y a déjà presque une interdiction générale, sans qu’il faille l’officialiser. Par exemple, actuellement, entre 95 et 100 % des écoles publiques à Bruxelles interdisent le port de signes convictionnels. Une interdiction de fait non contestable auprès de la Cour constitutionnelle mais contestable, en revanche, notamment auprès du Conseil d'Etat.
Depuis plusieurs mois, on observe une remise en cause de l’enseignement des religions dans les écoles publiques. Que dites-vous de ce débat ?
Mehmet Alparslan Saygin : C’est un faux débat, et ce pour deux raisons. La première, c’est qu’on prétend qu’une série de problèmes sociétaux (radicalisation, repli identitaire, discrimination, racisme, etc.) sont dus à l’existence de cours philosophiques (qui comprennent les cours de religion et de morale non confessionnelle, ndlr) dans l’enseignement public. Or, en France, où pareils cours ne sont pas dispensés dans l’enseignement public, on voit bien que tous ces problèmes sociétaux sont aussi manifestes que prégnants.
La seconde, c’est qu’on présente l’existence de ces cours comme contraire au principe de laïcité. Ce faisant, on se méprend à nouveau sur ce qu’implique ce principe. La question pertinente n’est pas de savoir s’il y a ou non des cours philosophiques dans l’enseignement public, mais, dans l’hypothèse où il y en a, de savoir si les pouvoirs publics s’ingèrent ou non, sur une base théologique, dans le contenu des cours ou dans le choix des personnes en charge de ces cours.
La seconde, c’est qu’on présente l’existence de ces cours comme contraire au principe de laïcité. Ce faisant, on se méprend à nouveau sur ce qu’implique ce principe. La question pertinente n’est pas de savoir s’il y a ou non des cours philosophiques dans l’enseignement public, mais, dans l’hypothèse où il y en a, de savoir si les pouvoirs publics s’ingèrent ou non, sur une base théologique, dans le contenu des cours ou dans le choix des personnes en charge de ces cours.
La laïcité n’est pas inscrite - expressis verbis selon vos mots - dans la Constitution belge. Quels risques voyez-vous à la constitutionnalisation de ce principe, aussi bien en France qu’en Belgique ?
Mehmet Alparslan Saygin : La laïcité est un plat composé d’une série d’ingrédients : l’égalité, la non-discrimination, la liberté (notamment religieuse) et la non-ingérence réciproque entre l’Etat et les Eglises. À partir du moment où un Etat consacre dans sa Constitution ces principes, il est - fût-ce imparfaitement - laïque, comme la France et la Belgique. Sur le principe, il n’y a donc aucun problème dans l’inscription du mot « laïcité » dans la Constitution. Je dis simplement que ce n’est pas une condition sine qua non. D’ailleurs, le mot démocratie ne figure pas dans la Constitution belge, ce qui ne l’empêche pas d’être une démocratie - certes très imparfaite, comme toutes les démocraties.
S’il n’y a pas de problème de principe dans l’inscription de la laïcité dans la Constitution, il est en revanche interpellant de constater que, pour certains, cette inscription rime avec interdiction du port de signes convictionnels et ingérence dans le fonctionnement des institutions religieuses. S’il n’est pas bien compris, ce principe peut par ailleurs faire l’objet d’applications totalement incohérentes. Ainsi, dernièrement, le Conseil d’Etat français a conseillé d’admettre l’établissement de crèches de Noël dans les bâtiments publics et ce, dans un pays où l’obsession pour les signes convictionnels va jusqu’à faire entraver le quotidien des nounous. Le risque, c’est donc de dénaturer le principe de laïcité et de l’instrumentaliser dans l’optique de politiques discriminatoires et attentatoires aux droits et libertés fondamentaux. Il revient à tous les laïques, croyants ou athées, de s’y opposer.
S’il n’y a pas de problème de principe dans l’inscription de la laïcité dans la Constitution, il est en revanche interpellant de constater que, pour certains, cette inscription rime avec interdiction du port de signes convictionnels et ingérence dans le fonctionnement des institutions religieuses. S’il n’est pas bien compris, ce principe peut par ailleurs faire l’objet d’applications totalement incohérentes. Ainsi, dernièrement, le Conseil d’Etat français a conseillé d’admettre l’établissement de crèches de Noël dans les bâtiments publics et ce, dans un pays où l’obsession pour les signes convictionnels va jusqu’à faire entraver le quotidien des nounous. Le risque, c’est donc de dénaturer le principe de laïcité et de l’instrumentaliser dans l’optique de politiques discriminatoires et attentatoires aux droits et libertés fondamentaux. Il revient à tous les laïques, croyants ou athées, de s’y opposer.
Mehmet Alparslan Saygin, La laïcité dans l’ordre constitutionnel belge, Editions Academia, avril 2015, 120 p., 13,50 €.
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