"La Croix" du 29 décembre 2016
Une solution à deux Etats au Proche-Orient est-elle toujours possible ?
Le secrétaire d’État américain, John Kerry, devait prononcer hier un important discours sur le Proche-Orient développant l’idée d’un État palestinien distinct de l’État israélien. Une telle solution devrait faire l’objet d’un sommet international à Paris le 15 janvier, sommet vivement critiqué par le gouvernement israélien. Donald Trump a de son côté apporté son soutien à l’État hébreu après le vote à l’ONU, vendredi dernier, condamnant les colonies israéliennes.
La solution à deux États est morte depuis les accords d’Oslo
Claire Beaugrand
Chercheuse à l’Institut français du Proche-Orient (Ifpo)
La solution à deux États est morte il y a plusieurs années, au moment des accords d’Oslo, qui ont provoqué un morcellement des Territoires palestiniens et permis de placer une partie d’entre eux sous contrôle israélien. Seules certaines villes de ces territoires sont gérées par une autorité palestinienne, mais elles font partie d’un ensemble administré par l’État hébreu. Ces accords de 1993 ont en réalité permis qu’Israël se développe presque sans entrave. On peut noter que les zones placées sous contrôle israélien sont celles qui ont ensuite été colonisées.
La résolution de l’ONU votée le 23 décembre, peu avant la fin du mandat de Barack Obama, vient jeter le trouble. Mais sur le terrain, cela ne change rien. L’annonce faite par son successeur, Donald Trump, qu’il pourrait transférer l’ambassade américaine à Jérusalem, est en revanche significative. On reconnaîtrait ainsi Jérusalem comme faisant partie du territoire israélien alors que la ville est aussi revendiquée comme capitale de la Palestine.
Quand on vit sur place, on ne voit pas comment cette solution à deux États pourrait voir le jour. 573 000 colons sont installés, de fait, en Cisjordanie. Les routes et les infrastructures qui y sont construites ne sont souvent pas accessibles aux populations arabes. Dans ces zones, les moindres faits de la vie courante sont soumis à des permis israéliens.
Nombre de Palestiniens aspirent à un État mais, dans les faits, ils se rendent compte que cela sera difficile. Beaucoup décident de s’adapter à la réalité de la politique israélienne du fait accompli. À Jérusalem-Est, territoire occupé, les Palestiniens travaillent pour les compagnies israéliennes.
La position du premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, au sein de sa coalition pro-colonisation, ne permet pas non plus de présager un tel accord. Plusieurs de ses ministres, comme Avigdor Liberman, vivent dans des colonies de Cisjordanie. Et sa politique intérieure est en complet décalage avec les autres États, en regard du droit international.
Israël n’a pas intérêt à ce qu’on règle la question des Territoires palestiniens. Avec l’arrêt des négociations, un faux statu quo s’est mis en place et les colonies se développent. Les Israéliens n’ont pas intérêt à déclarer officiellement qu’ils annexent ces territoires, comme ils l’ont fait pour le Golan. Ils savent qu’ils se mettent la communauté internationale à dos. Ce qui s’est vérifié avec la résolution votée à l’ONU : quatorze États étaient contre la politique israélienne, et aucun n’y était favorable.
Le seul acteur qui a une carte à jouer, ce sont les États-Unis, qui peuvent faire pression sur l’État hébreu. Mais ils ne sont pas partis pour. L’élection de Donald Trump a été très applaudie en Israël.
Recueilli par Sarah Bos
----
C’est la seule solution, mais ce n’est pas la solution du jour
Joseph Maïla
Ancien directeur de la prospective au ministère des affaires étrangères
La solution des deux États est aussi vieille que le conflit israélo-arabe. On la retrouve dans le plan de partage adopté par l’ONU en 1947, la résolution 181. Et déjà en 1937, la commission Peel dépêchée par la Grande-Bretagne préconisait ce partage. Une solution une nouvelle fois adoptée par l’ONU en 1973. On la retrouve implicitement dans les accords d’Oslo de 1993 avant d’être contenue dans le plan arabe du roi Abdallah de 2002, défendu ensuite par le quartette dirigé par Tony Blair. Autrement dit, le périmètre juridique de la solution à ce conflit n’a pas changé depuis le début : c’est la seule solution crédible trouvée par tous ceux qui se sont réunis autour d’une table pour se pencher sur la question. On n’a pas inventé mieux.
Pour autant, cette solution est-elle la solution du jour ? Non ! La solution de deux États s’éloigne de plus en plus. Il n’est pas possible qu’elle voie le jour sur cette peau de léopard qu’est devenu le territoire palestinien avec les accords d’Oslo : accord qui a découpé ce territoire en trois zones séparées. Et qui est rongé par la colonisation israélienne. Comment bâtir un État palestinien sur une telle discontinuité territoriale ? C’est dans ce contexte que surgit la condamnation de la colonisation israélienne par l’ONU. C’est une surprise, car elle a été possible grâce à l’abstention des États-Unis au Conseil de sécurité : ce qui va à rebours du traditionnel et inconditionnel soutien américain en faveur d’Israël. À la fin de son mandat, Barack Obama jette l’éponge et reconnaît l’échec des négociations bilatérales avec Tel-Aviv. Pour la première fois, Washington dit clairement qu’il n’a plus confiance dans les négociateurs israéliens.
Si sur le plan diplomatique, il y a un coup de froid entre les deux puissances, sur le plan militaire, il n’en est rien. La coopération n’a jamais été aussi forte. Les États-Unis se sont engagés, en septembre, à fournir une aide militaire de 38 milliards de dollars (34 milliards d’euros) à Israël au cours de la décennie 2019-2028 : le plus grand engagement d’aide militaire bilatérale dans l’histoire des États-Unis, selon le mot du département d’État. L’Europe peut alors prendre le relais de la position américaine sur le volet politique et diplomatique. Elle a toujours soutenu la solution des deux États. Le futur sommet de l’Élysée sur le conflit israélo-palestinien peut profiter de cette nouvelle donne diplomatique pour faire avancer la solution des deux États.
Il est vrai qu’avec l’arrivée de Donald Trump nous allons entrer dans une nouvelle séquence. Deux scénarios sont possibles. Soit le nouveau président américain fait ce qu’il a dit : soutenir inconditionnellement les Israéliens. Soit, par pragmatisme, il pousse discrètement les Israéliens sur la voie des deux États.
Recueilli par Laurent Larcher