Lamfalussy et Martin: « Molenbeek sur Djihad » (recension)

Molenbeek sur DjihadChristophe Lamfalussy et Jean-Pierre Martin: « Molenbeek sur Djihad », Grasset 2017, 300 pages – 19€ – ISBN 978-2-246-86276-5

De nos jours, bien des éditeurs peuvent se réjouir de publier un livre sur l’Islam ou sur le terrorisme ambiant car cela se vend. Mais vous ne gaspillerez pas vos euros en achetant ce dernier livre écrit à partir des péripéties de Molenbeek. Sans passion ni esprit partisan, nos deux journalistes expérimentés remettent bien des choses au point.

Les premiers chapitres essayent de nous peindre la complexité de cette commune problématique de Bruxelles et qui ne se laisse pas « apprivoiser au premier regard » (p.18) La situation est loin d’y être facile avec tous les Marocains majoritaires, toujours sous l’influence du monarque chérifien qui n’hésite pas à « imposer son autorité par les ambassades » (p.28). Bien des marocains sont d’ailleurs originaires du Rif, cette région du nord du Maroc, laissée pendant longtemps à l’abandon par Rabat (p.87). Il y a donc chez ces Belgo-marocains une insatisfaction bien enracinée qui fera naître au sein de Molenbeek beaucoup de tensions interculturelles, du chômage et une ouverture aux gangs en tous genres avec trafic de drogue (p.91). Il est aussi intéressant de noter que ces djihadistes ne sont pas tous masculins. On nous présente alors deux femmes Fatima Aberkan et Malika el Aroud qui ont inspiré deux générations de kamikazes (p.101)

Nos auteurs se penchent ensuite sur l’origine et le pourquoi de la naissance de ce djihadisme à Molenbeek et en Belgique plus généralement. Selon eux, il nous faut affiner notre jugement sur les mosquées qui ne sont pas des agences de recrutement. « Le recrutement se fait dans les rues … mais le terrain idéologique a été préparé dans les mosquées. » (p153) Ainsi les dirigeants de la fameuse Mosquée du Cinquantenaire ont pu atténuer le discours fondamentaliste ; mais en disséminant le salafisme, ils ont poussé bien des fidèles en marge de la société (p.166). On pourrait donc parler des mosquées comme des « déclencheurs du radicalisme » (p.167)

Que faire alors face à tout ce bouillonnement souterrain qui devient terrorisme ? Que font les autorités belges à tous les niveaux de gouvernements aussi nombreux soient-ils ? Le chapitre 7 nous parle de l’action très problématique de Philippe Moureaux. Avec le chapitre 8, nous apprenons qu’il y eut 144 condamnations pour terrorisme de 2006 à 2016 (p.200). Police et Justice ont donc travaillé mais ils n’avaient pas la tâche facile. Un juge a pu même mentionner que le rôle des médias a été parfois catastrophique en publiant trop vite certaines informations confidentielles (p.211). L’état belge a-t-il donc été défaillant ? « D’importante failles sont apparues. Mais ces critiques ne tiennent pas la route si elles n’accablent qu’un seul pays et ne tiennent pas compte des succès. » (p.254). Avec tous les services concernés, nous devons reconnaître que « la prévention du radicalisme est une science nouvelle » (p.257) et que nous pouvons espérer que Molenbeek puisse devenir un « labo postdjihadiste » (p.258)

Un énorme et important travail reste à faire par tous et toutes, qui que nous soyons. Les services compétents ont bien des tâches à accomplir mais nous ne devons pas les laisser seuls dans ce travail. C’est ensemble que nous devons nous engager. Ce livre peut éclairer beaucoup d’entre nous et nous aider à faire face à la réalité pour que nous puissions faire face sereinement au futur.

Gilles Mathorel