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Les nouveaux acteurs de l’islam (compte-rendu)
Anne-Bénédicte Hoffner : Les nouveaux acteurs de l’islam. Préface de Rachid Benzine. Bayard, 2017, 188 p., ISBN 978-2-227-49122-9, 16,90 €.
A.B. Hoffner nous présente dans ce livre les témoignages de six personnes (4 hommes et 2 femmes) dont la manière de vivre et de penser leur religion pourrait, au moyen comme au long terme, diminuer la prédominance des discours sur le permis/défendu dans l’islam et influencer les musulmans afin d’interpréter leurs sources et les rendre à la fois plus adéquates au monde contemporain et fidèles à la révélation originelle.
Ces témoignages sont répartis en trois volets, chacun d’eux étant introduit par une présentation générale du thème par l’auteure :
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l’enseignement direct et la lutte contre la sclérose de la pensée : Hicham Abdel Gawad et Iqbal Gharbi,
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l’interprétation du Coran aujourd’hui, avec plus ou moins d’importance donnée à la tradition : respectivement Mohamed Bajrafil et Michael Privot,
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la spiritualité et la praxis : Farid Abdelkrim et Nayyla Tabbara.
Que ce soit en Belgique (Mr. H. Abdel Gawad) ou en Tunisie (Mme. I. Gharbi), les deux enseignants sont confrontés à des jeunes soumis à l’influence salafiste. «Outre les moyens financiers investis dans sa promotion, la simplicité du salafisme, sa ’modernité’ dans les questions abordées comme la manière d’y répondre contribuent indéniablement à son succès, notamment auprès des jeunes » (p.33) Abdel Gawad enseigne l’islam à des élèves ayant « un rapport moins sacralisé avec le Coran (37) ; il est aussi confronté à la situation politique belge de l’enseignement de la religion (s’agit-il du fait religieux ou de catéchèse?») ; il se sent tiraillé entre les attentes du ministère et des autorités politiquement représentatives des musulmans en Belgique (l’E.M.B.). La seconde, Mme Gharbi, à la Zitouna, là où « la mosquée comme l’université sont désormais des têtes de pont du discours wahhabite en Tunisie»(55), regrette que la coopération entre « islamologues, intellectuels et théologiens ne se [fasse] pas encore »(69) ; elle insiste sur le fait que le « féminisme musulman […] ne remet pas en cause l’ ‘authenticité’ du Coran. Les féministes musulmanes ne voient nulle incompatibilité entre l’adhésion à une foi et la revendication des droits de la femme » (61). Nos deux enseignants, dans leurs situations particulières respectives, peuvent se sentir seul(e), mais les fruits de leur pédagogie sur leurs élèves ou étudiants ne pourront se mesurer réellement que dans quelques années.
Dans la section « Lire et interpréter le Coran aujourd’hui » ( 71-87), A.-B. Hoffner donne la parole à deux intellectuels qui ont des approches différentes. Michael Privot, devenu musulman par choix, voudrait « ôter les lunettes de la tradition » et redécouvrir le Coran qui ne parle pas de foi mais d’alliance ; un Coran source d’inspiration plus que d’obligation. Dans la ligne de R. Benzine, il cherche à promouvoir « les principes de l’anthropologie historique pour les appliquer à la théologie musulmane» (107).
Quant à Mohamed Bajrafil, membre du nouveau Conseil théologique des musulmans de France, il préconise d’ « interroger les textes en termes de finalité et de rationalité » (123) sans négliger la dimension spirituelle du Coran (129).
Le troisième volet nous offre deux témoignages où la spiritualité prédomine. Farid Abdelkrim a eu sa période « Frère Musulman » comme M. Privot. Il en est sorti, mais s’y était beaucoup plus investi et a fait l’expérience du «vide spirituel abyssal de l’UOIF » (145). F. Abdelkrim « reconnaît ses erreurs passées » (151) et s’efforce maintenant de « contribuer à libérer la parole au sein des communautés musulmanes »(154).
Le témoignage de Nayla Tabbara, cofondatrice de Adyan,la plus grande ONG interreligieuse au Liban termine cette série de témoignages. Ayant ressenti « la nécessité de partager le chemin spirituel » (162), elle reconnaît que l’enjeu est d’ « articuler la spiritualité et l’esprit critique » : « Je n’en pouvais plus d’entendre que l’islam est la religion de la tolérance et de la paix » (168)). selon elle, le Coran envisage, finalement, « la diversité comme un chemin vers une humanité réconciliée » (171).
En refermant ce livre, faut-il être comme le dit M. Privot : « inquiet à court terme, optimiste au-delà » (111) ? Pour quelqu’un d’extérieur à l’islam, je dirais plutôt patient qu’inquiet et ce, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ces témoignages viennent de personnes qui ont bien voulu se livrer : il y en a donc probablement beaucoup d’autres qui ne préfèrent pas être médiatisés. Ensuite on réalise que ces acteurs viennent de différents domaines d’activités (enseignement, recherche, animation artistique, associations) mais ils vont tous dans une même direction, opposée à la polarisation et au « cercle vicieux des deux discours d’exclusion » (119). En moindre mesure, puisque ceci n’est pas valable pour tous ceux et celles qui ont témoigné dans ce livre, certains peuvent travailler en toute sérénité, en paix d’âme et d’esprit. Et, finalement, on pourrait ajouter qu’ils sont tous à peu près de la même génération, et plusieurs d’entre eux se connaissent et s’apprécient mutuellement !
Cet ouvrage devrait être lu non seulement par tous ceux et celles qui rencontrent des musulmans mais aussi par tous les musulmans découragés par les régressions dans la manière de vivre l’islam dans certains pays souvent dues à l’omniprésence des propagandes wahhabites et salafistes sur internet : l’espoir est possible, les personnes qui ont accepté de témoigner ici le prouvent suffisamment, même si, en filigrane, on perçoit aussi parfois de leur part le souhait d’être plus encouragées.
Et pourquoi ne pas l’offrir à ceux qui pensent qu’il n’y a qu’une pensée unique existe parmi les musulmans ?
« On ne peut donc qu’espérer que beaucoup liront ce livre, et inciter ceux qui l’auront lu et aimé à le faire largement connaître ! » (Fin de la préface par R. Benzine , p.11).
Marc Léonard.