Forces, faiblesses et espoirs

du dialogue

entre chrétiens et musulmans au Burkina Faso

Forces

Il y a des acquis dans la Communauté chrétienne dans le sens du dialogue entre chrétiens et musulmans

* Après une assez longue interruption de la Commission pour le Dialogue avec l'islam, sur initiative des évêques dans la personne de Mgr Paul Ouédraogo en 1998, il y a eu reprise de la Commission au niveau national de même que la relance au niveau de la même commission au plan CERAO.

* Il y a la conviction de nos évêques responsables au Burkina qui croient que ce travail de rencontre et de dialogue avec l'islam devient de plus en plus nécessaire, même s'il est difficile.

* Depuis cette reprise, il y a tenue régulière deux fois par an des réunions nationales : en novembre pour un lancement de l'année et en mai pour un bilan.

* Dans chaque diocèse, il y a eu relance de l'organisation d'une commission diocésaine, chargée de ce domaine pastorale et d'une action vers la base.

* Il y a une action menée avec un public cible, les agents pastoraux : prêtres, religieux, religieuses, séminaristes, novices, catéchistes, responsables de Communautés Chrétiennes pour une sensibilisation et formation et information

* Par des sessions de longue durée (en juillet 2001 au niveau de la CERAO, à Ouaga avec une bonne participation burkinabé et répercussion dans les médias : radio Maria, TV nationale ; en juillet août 2005, à Bobo dioulasso, à Koumi pour Burkina-Niger)

* Par des sessions de courtes durées (de 3 ou 4 jours à une semaine) dans les grands séminaires de Saint Jean Baptiste à Ouaga et de Koumi, à Bobo; dans les noviciats de différentes congrégations religieuses ou CFPR de Ouaga.

* Par des émissions sur des radios locales en français et en langues locales (Ouahigouya, Ouagadougou, Fada n Gourma, Dédougou…)

* Par la confection de fiches pédagogiques de formation et information d'une part sur la connaissance objective de la foi de l'autre en islam, et d'autre part sur la pastorale du dialogue selon les directives de l'Eglise d'après Vatican 2.

* Par une organisation des commissions diocésaines pour atteindre les communautés chrétiennes de base (CCB) à travers les mêmes moyens de formation (sessions, fiches, émissions radio…)

* Par les visites, lors des fêtes musulmanes, des responsables de communautés chrétiennes et spécialement à la fin du Ramadan, par la diffusion du message de CPDI (Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux) ou d'évêques comme à Bobo Dioulasso.

* Par des contacts réguliers entre les responsables des commissions diocésaines et nationale avec les leaders musulmans de différentes tendances au Burkina. (Ouahigouya : Ramatoulaye, Tangsalga, Todjem; Bobo dioulasso; Dori; Ouaga…)

* Il y a déjà des expériences de collaboration entre des chrétiens et des musulmans. L'expérience de l'UFC (Union Fraternelle des Croyants) à Dori, en est un exemple concret…

* Il y a eu la rencontre interreligieuse de 3 jours au stade du 4 août des jeunes chrétiens et musulmans organisée conjointement par la JEC et l'AEEMB en juillet 2003.

Il y a aussi des acquis de la part des musulmans avec qui nous vivons :

Le dialogue de vie et de collaboration est possible et réel dans nos milieux de vie…

* par la participation de leaders musulmans lorsque nous leur demandons d'intervenir dans nos sessions de formation ou émissions radio (de la part surtout des "Musulmans intellectuels" (CERFI),

* par leur accueil chaleur lors de nos visites ou entretiens avec eux,

* par des réponses à nos visites lors de nos fêtes chrétiennes,

* par des marques de sympathie lors du décès de Jean Paul II.,

* par la demande d'organisation d'un comité interreligieux entre chrétiens et musulmans de la part du bureau de la Communauté Musulmane du Burkina Faso pour une meilleure entente lors de problèmes qui peuvent se poser dans la société civile au niveau religieux,

* par la confiance qui est faite aux institutions d'Eglise et aux chrétiens dans beaucoup de cas à la base, au niveau des écoles, de l'engagement social, des hôpitaux,

* par le fait de "l'africanité", dans une même famille, il peut y avoir des chrétiens, des musulmans, des gens de la RTA…

Le travail de la Commission, dans la personne de son président, Mgr Paul Ouédraogo, a été reconnu par CIVIPAX, qui a accordé un prix pour sa contribution à la paix sociale dans le domaine interreligieux, au même titre que le Dr Doukoure, cheikh de la confrérie de la Tidjaniya de Hamdalaye à Ouagadougou.

Ce sont autant de semences du Royaume mises en terre dans le champ de notre monde, au nom de notre foi en celui "qui ne fait pas de différence entre les hommes" (AA 10), lui qui nous a devancé dans son amour pour nous… Il n'a pas attendu notre réponse !

Les faiblesses

Quant aux faiblesses du dialogue avec nos frères de l'islam, ce sont souvent elles que nous sommes tentés de remarquer en premier, surtout chez les autres !

Du côté des musulmans :

= Il y a l'ignorance des masses musulmanes, venues à l'islam sociologiquement mais qui, parce qu'ignorantes, sont agressives devant ce qui n'est pas musulman…

= L'islam se considère comme la meilleure des communautés et n'a pas à recevoir d'autres religions qu'il est venu abroger… Dans cette mentalité, "L'islam n'a pas besoin de dialogue…" Eux aussi ont un complexe de supériorité.

= La vision de l'islam wahhabite et réformiste progresse au Burkina au détriment de l'islam traditionnel, beaucoup plus tolérant. D'où une certaine détérioration globale des relations entre chrétiens et musulmans… la "concurrence" augmente !

= Les réactions violentes à des événements devenus mondiaux n'aident pas au dialogue (l'histoire des caricatures, les propos du pape Benoît XVI...), même si au Burkina, les réactions ont été modérées.

= Le prosélytisme musulman est réel à la base avec une grande intolérance quand ils se sentent en majorité…

= En islam, il n'y a pas de tête, d'où difficultés pour le dialogue… Nous dialoguons avec des personnes mais pas avec des institutions.

= La dimension critique de l'islam et spécialement du Coran n'est pas encore acceptée… on ne peut toucher les points de la doctrine…

= Il y a pression sociale sur les jeunes ou autres personnes qui voudraient chercher Dieu…

Du côté des chrétiens :

= Le plus souvent, la réflexion faite à ceux qui travaillent et promeuvent une telle pastorale de dialogue, c'est de dire qu'il n'y a pas de dialogue, mais un monologue car nous, les chrétiens, sommes les seuls à rechercher ce dialogue. Il y a un manque de réciprocité de la part des musulmans…

= En même temps, beaucoup d'agents pastoraux dans la personne des prêtres ne croient pas à cet aspect de la pastorale de dialogue, souvent par la méconnaissance de ce que veut dire le dialogue selon Vatican II (Nostra Aetate n°2-3). Dialogue n'est pas d'abord discussion entre chrétiens et musulmans, mais convivialité, dialogue de vie et collaboration entre eux…

= Dans le même sens, une vision ecclésio-centrique de la mission ne leur permet pas d'embrasser les musulmans dans leurs préoccupations : "nous avons déjà assez à faire avec la formation des chrétiens et catéchumènes sans avoir en plus à nous occuper des musulmans !" « Le dialogue, c'est important, mais pas essentiel… »

= Toutes les commissions diocésaines pour le dialogue avec l'islam ne sont pas actives au Burkina. Il y a des diocèses qui ont beaucoup de difficultés à trouver des responsables diocésains.

= Il y a l'ignorance de beaucoup de chrétiens dans leur propre foi… C'est un manque d'enracinement dans la personne de Jésus Christ.

= Il y a des préjugés de part et d'autre par manque de connaissance de la foi de l'autre.

= Il y a le complexe de supériorité de la part de beaucoup de chrétiens, spécialement des pasteurs, face à l'islam "ignare"…

= Les propos de Benoît XVI dans le discours de Ratisbonne ont été mal interprétés par des leaders musulmans influents (Cheick Doukoure…) et ont eu une influence négative sur les relations entre chrétiens et musulmans. Il y a comme une déception de leur part à cause de tels propos tenus par la plus haute autorité de l'Eglise en qui ils avaient confiance, spécialement depuis Jean Paul II…

Ce ne sont que quelques éléments qui me sont venus à l'esprit… Dans le document "Dialogue et Annonce", il y a les n°51-53 qui parlent des obstacles au dialogue ; le n°54 termine de façon positive en disant que "les obstacles, bien que réels, ne doivent pas nous conduire à sous-estimer les possibilités de dialogue ou à négliger les résultats déjà obtenus…"

Les espoirs pour un dialogue entre chrétiens et musulmans

- L'espoir vient que ce dialogue de vie et de collaboration est déjà présent et qu'il peut être encouragé à travers les instances mises en place dans l'Eglise.

- Nous pouvons travailler ensemble pour affronter les différents défis de notre société : Développement, SIDA, Justice et Paix, lutte contre la corruption…

- Le dialogue déjà en route a permis un chemin de confiance avec des leaders musulmans, même si cela demande beaucoup de patience et de persévérance dans l'humilité…

- La méfiance a diminué au niveau des autorités musulmanes à l'égard de l'Eglise catholique qui est reconnue pour sa collaboration… Vatican II fait son travail d'ouverture !

Père Joseph Clochard,
au nom de la Commission Rencontre des Missionnaires d’Afrique.