Le mois le plus long. Ramadan à Istanbul. (compte-rendu)
François Georgeon: Le mois le plus long. Ramadan à Istanbul. CNRS 2017 – 344 p. – 25€ – ISBN 978-2-271-09428-5271-09428-5
Dans ce livre plutôt volumineux, François Georgeon nous invite à le suivre dans sa découverte de la coutume musulmane du ramadan, au sein de la ville d’Istanbul, capitale traditionnelle de la Turquie. Ainsi, nous découvrons l’impact culturel de cette coutume sur des peuples de cultures variées et qui ont formé petit à petit la nation Turque après avoir été sous la tutelle de l’Empire Ottoman.
On peut discerner derrière l’obligation religieuse du ramadan un mois dédié à la tradition, à l’identité, à la mémoire. C’est un moment privilégié de ressourcement identitaire ou de resserrement du lien social. L’obligation s’est traduite parfois en règles rigides que beaucoup ont toujours su contourner. Tout cela est orchestré par « les hommes de religion » (Clergé ?) qui utilisant la langue turque pouvait délivrer de temps en temps des sermons de qualité ; ce qui n’excluait pas un certain verbiage. (Chapitres 1 & 2)
Le ramadan est aussi un mois de nombreuses activités nocturnes avec tous les risques que cela implique. On pouvait parler de « carnaval musulman » (p.104) et de réjouissances variées dans les bars et cafés. S’il y a de temps en temps de bons divertissements culturels et sociaux comme conférences, théâtre ou cinéma, on fait aussi mention de vulgarité (p.173) ou même permissivité (p.115).
À la fin de l’Empire Ottoman, le ramadan garde une dimension socio-politique. C’est un moment privilégié pour l’octroi de dons de la part des autorités ; manière déguisée de raffermir leur autorité. C’est aussi un moment pour le musulman ordinaire de s’adonner à la charité et à l’humanitaire. Durant cette période, l’État s’assure du bon approvisionnement de la ville pour les repas de l’iftar ; il contrôle les horaires de travail pendant les journées. Mais petit-à-petit, le ramadan va devoir composer avec la laïcité républicaine. Les grands « rituels politiques » vont disparaître ; la langue turque devient prépondérante sur l’arabe et la Diyanet, organisme d’état, prend le contrôle de toutes les activités religieuses. Finalement, la « nationalisation » de l’Islam se révélera un échec. « Ce qui reste des traditions du ramadan relève d’une instrumentalisation de l’Islam au service de l’État républicain. » (p.275) mais, précise l’auteur, le ramadan devrait continuer à vivre dans les périphéries et dans le cœur des gens (p.276)
Aujourd’hui, la société turque n’est plus nostalgique d’un retour de la tradition. Mais elle se projette dans l’avenir (p.287). Dans l’épilogue du livre, Jean François Pérouse évoque les municipalités turques qui, aujourd’hui s’évertuent à recréer la communauté de valeurs et de croyance en offrant un certain encadrement en faveur des familles et des personnes âgées.
Un livre un peu volumineux mais intéressant à lire pour qui veut se familiariser avec la Turquie d’aujourd’hui, laïque dans ses institutions mais restant toujours musulmane dans les cœurs.
Gilles Mathorel.