Comment réagir face à une personne radicalisée
(Compte-rendu)
Laura Passoni et Hicham Abdel Gawad, Comment réagir face à une personne radicalisée, Edit. La Boîte à Pandore, Paris 2017, p.207.
Le thème central du livre est la radicalisation et comment dialoguer avec une personne tombée dans l’extrémisme des prêcheurs salafistes ou autres recruteurs de Daësh.
Laura Passoni est une Belge, qui a été radicalisée et qui est partie avec son jeune fils en Syrie en 2014. Elle a pu s’enfuir et est revenue en Belgique neuf mois plus tard. Elle parle de son vécu dans l’enfer de Daësh et son endoctrinement, le piège dans lequel elle était tombée suite aux discours djihadistes. Elle entre ici en dialogue avec Hicham Abdel Gawad, spécialiste du fait religieux, qui va déconstruire les discours des extrémistes et qui montre comment sortir de cette idéologie.
À partir de l’expérience et des questionnements de Laura, chaque chapitre développe un des grands thèmes, qui avait sens pour elle et dont le recruteur s’était servi pour la faire basculer dans le radicalisme. Les thème suivants sont abordés : les combats de Daësh et la fascination de la mort, le processus de manipulation et l’identité perdue, la peur de l’Enfer et la promesse du Paradis, l’interdiction de la mixité et le statut des femmes et des enfants, la fin des temps et la venue du Mahdi, le califat, mourir en martyr, les esclaves, les interdits qui enferment la personne, des pistes pour sortir de la pensée salafiste, et enfin les signes de radicalisation.
La démarche de déconstruction des discours djihadistes par Hicham comporte trois parties dans chaque chapitre : une partie de clarification (décryptage des logiques qui se jouent derrière le discours salafiste et leurs liens avec certaines interprétations islamiques classiques), une partie d’analyse (la déconstruction de ces discours en montrant que leurs logiques ne résistent pas aux analyses scientifiques d’ordre anthropologique et historique), et la proposition d’activités concrètes (ce qu’on peut faire face aux réactions des personnes en processus d’engagement dans l’idéologie salafiste et comment prévenir de tels engagements).
Concrètement, par ces analyses l’auteur déconstruit les traditions islamiques tardives comme sont certains hadiths du 9e siècle et des ouvrages historiographes du 10e siècle. Les textes du Coran sont lus à partir de l’imaginaire, du vocabulaire et des usages du 7e siècle, l’époque de Muhammad à la Mecque et à Médine. Il met aussi au profit les travaux d’autres chercheurs, surtout des historiens, des sociologues, des psychologues et des spécialistes des religions. Il reconnaît lui-même avec gratitude qu’il doit beaucoup aux travaux de Rachid Benzine, l’islamologue bien connu. Et atteste : “Qu’il s’agisse du Coran, de Muhammad ou de la charia, la part d’humanité caractérisable scientifiquement ne cesse de s’élargir, même dans les trois domaines que l’on croyait jadis réservés aux fameux “oulémas” (p. 200).
Des solutions existent donc pour répondre aux interprétations et aux discours extrémistes. Il résume : “Ainsi, face au Coran comme Parole incréé de Dieu, on peut proposer le Coran comme un texte-discours arabe du 7e siècle. Face à Muhammad le sceau des prophètes, on peut proposer Muhammad l’homme de tribu mecquois. À la charia comme loi divine, on peut proposer la charia comme systématisation des normes juridiques du 9e siècle sous les Abbassides” (p.200).
En terminant la lecture de ce livre, on voudrait remercier Laura Passoni pour la sincérité avec laquelle elle a livré son vécu et ses faiblesses du passé, mais aussi Hicham Abdel Gawad pour toute sa science et sa réelle contribution à la lutte contre la pensée salafiste et l’idéologie de l’extrémisme islamiste.
Leur livre est un témoignage enrichissant et très utile, que chaque professeur de religion musulmane dans l’enseignement secondaire devrait avoir lu et étudié, comme d’ailleurs tous ceux qui s’intéressent à la recherche de la pensée islamique.
Hugo Mertens.