Relations islamo-chrétiennes: un lourd passé missionnaire à assumer
L’islamophobie au Québec : une idéologie impérialiste qui survit depuis le début du XXᵉ siècle
Frederick Burrill, Concordia University
« Comme délicatesse de sentiments, il y a mieux que les Arabes ; l’égoïsme est leur fort : eux d’abord, la femme ensuite, puis les enfants ; et ces derniers courent souvent le risque d’être oubliés tout à fait ».
Cet énoncé ne provient pas d’un communiqué du groupuscule d’extrême-droite québécois La Meute ni d’un porte-parole du « féminisme de souche » telle que la journaliste Janette Bertrand.
Il s’agit d’une observation d’un jeune missionnaire catholique canadien-français en Tunisie en 1905, reproduit dans un journal missionnaire et distribué à des dizaines de milliers de Québécois et Québécoises à travers leurs paroisses, écoles, et réseaux familiaux.
Religio-amnésie québécoise
Au Québec on souffre de ce que la savante Catherine Foisy décrivit comme la « religio-amnésie ». La mytho-histoire de la Révolution tranquille québecoise (années 60) perdure. On évoque toujours avec passion l’histoire d’une société qui a d’un bloc, rejeté le pouvoir de l’Église en optant collectivement pour la laïcité et pour l’État-providence notamment sous l’impulsion des gouvernements progressistes de Jean Lesage (élu en 1960).
Or, ce mythe structure nos discussions sur la foi et de sa place dans le Québec actuel.
Pourtant, on néglige souvent le rôle important joué par des courants au sein de cette même Église qui mena à la transformation du Québec après 1960.
L’un des multiples phénomènes cachés par cette amnésie est reflété la présence de milliers de missionnaires canadiens-français un peu partout dans les pays du Sud pendant la première moitié du XXe siècle. À la fin des années 1950, plus que 3300 missionnaires québécois ouvraient dans 68 pays autour du monde, y compris en Asie.
Les premiers missionnaires provenant du Québec comptent par exemple les membres de la Société des Missionaires d’Afrique (les Pères blancs). Cette société fut fondée en France en 1868 suite à la conquête de l’Algérie afin d’annoncer l’Évangile à « ces pauvres victimes de l’imposture » [Mohammed], comme disait le jeune religieux québécois Joseph Fillion en 1905.
La mission étrangère : « le chef-d’œuvre d’un petit pays »
Avant que le Canada et le Québec ne développent une politique étrangère autonome, le missionnaire canadien-français fut en quelque sorte le visage de notre société outre-mer. Lionel Groulx, père intellectuel du néo-nationalisme québécois de nos jours, était en mesure de qualifier la mission étrangère dans son œuvre de 1962, Le Canada français missionnaire : une autre grande aventure, comme « le chef-d’œuvre d’un petit pays. »
Par conséquent, l’histoire du Québec avant la Révolution tranquille fut une histoire non pas d’isolation, mais de connexions transnationales, ancrée dans les structures de pouvoir globales et inséparable des projets impérialistes anglais et français.
Les jeunes catholiques du Québec, citoyens britanniques qui parlaient français, figuraient largement dans des projets de colonisation des deux empires en Afrique, Asie, et en Moyen-Orient, où les missionnaires menaient un combat constant contre l’Islam. Cette lutte continuait même après la modernisation au Québec : dans les années 1970s, les missionnaires québécois en Indonésie décrivirent leur « tentative concertée de contrer la montée d’Islam.“
Propagande
Au Québec, la propagande missionnaire fut l’une des plus importantes sources d’informations sur le monde pour une société québécoise formée et guidée par les autorités religieuses.
À travers des sessions d’informations et de recrutement dans les collèges, des sermons à la messe, des journaux, où à des expositions attirant des milliers de participants, des discours réductionnistes sur l’Islam et d’autres religions non chrétiennes s’ancrèrent profondément dans la culture québécoise.
« Si, un jour ou l’autre, [cette lettre] est publiée dans les Annales des Pères Blancs, à Québec, cela pourra peut-être suggérer à quelques vaillant Canadiens l’idée de venir seconder l’apostolat d’un de leurs compatriotes perdu dans la brosse soudanaise, en train de pêcher des âmes dans la fange du paganisme pour les offrir à Notre-Seigneur Jésus-Christ ».
Les musulmans, nous apprenait-on, sont caractérisés par une certaine irrationalité, sont captifs d’une fausse idéologie, sont attachés à des mœurs patriarcales.
Effectuer un vrai exercice de conscience
Si le contenu du discours est différent aujourd’hui, la forme ne change guère. Avant 1960 on proposait de régler la supposée irrationalité des musulmans à l’étranger par la conversion à la foi catholique. De nos jours on parle de l’inculcation des valeurs de la laïcité et de la neutralité de l’État. Pourtant, on se garde la position d’autorité, de dire à l’Autre comment il (ou plutôt elle, avec la loi 62) peut obtenir le statut de pleine citoyenneté.
Souvent lorsqu’on parle d’islamophobie au Québec, on se réfère à la montée de tels sentiments à travers le monde occidental suite aux évènements du 11 septembre 2001, ou aux débats sur la laïcité en France.
Mais la version fervente de cette idéologie haineuse à laquelle on assiste au Québec en ce moment est propre à notre société.
C’est seulement par un effort de réflexivité sur notre histoire, celle de notre participation à l’impérialisme occidental, et un véritable exercice de conscience quant à la nature franchement chrétienne de notre société – malgré notre insistance sur la laïcité – qu’on saura se composer avec la réalité d’une société diverse et qu’on commencera à bâtir une version du Québec qui va au-delà des paternes racistes du XXe siècle.
Frederick Burrill, PhD student, Department of History, Concordia University, Concordia University
This article was originally published on The Conversation. Read the original article.