Monothéismes à l’épreuve de la violence
(Par M.S.Janjar GRIC Maroc)
« Tu ne tueras point » (Exode, 20, 13)
« Celui qui sauve un seul homme est considéré comme s’il avait sauvé l’humanité entière » (Coran, v32)
Le monde de l’après- guerre froide est souvent présenté comme l’immense théâtre d’une guerre de « religions » et/ou de « civilisations ». La science politique serait devenue, notamment depuis les évènements dramatiques du 11 septembre 2001, la géopolitique d’une sorte de conflit planétaire des valeurs et des absolus. C’est là le résumé d’une thèse avancée de manière récurrente pour comprendre le siècle qui commence. Et de manière tout aussi répétitive et rituelle, elle est réfutée pour son simplisme et son ignorance des inépuisables ressources d’humanisme et de civilisation que recèlent les traditions religieuses monothéistes. On peut se demander cependant si ce n’est pas dans le simplisme de la thèse de la « guerre des religions » que réside sa force explicative, voire sa valeur de prédication auto-réalisatrice.
Au discours qui veut faire des religions monothéistes des blocs identitaires monolithiques fermés et lancés en guerre les unes contre les autres, doit-on continuer à se contenter d’évoquer les vertus de ce « dialogue interreligieux » plus nécessaire que jamais ? Et à la description des violences inouïes commises hier, comme aujourd’hui, au nom des religions, suffira-il de brandir, tel un drapeau, des versets glanés dans les Ecritures et qui prônent la paix, incitent à la fraternité et appellent à la solidarité de la grande famille humaine ?
Certes, c’est la religion musulmane qui fait aujourd’hui l’objet d’un questionnement et d’un débat mondial : l’islam est-il une religion foncièrement violente ? La réponse à une telle question semble prendre deux voies antagonistes : la première s’appuie sur les données historiques et considère que l’islam n’est ni plus, ni moins violent que les autres religions (monothéistes ou pas). Elle considère que l’évolution historique des sociétés musulmanes, en comparaison avec d’autres sociétés humaines, montre que les phases de violence et celles paisibles de tolérance, dépendent moins des préceptes de leur religion que de leurs conditions politiques et sociohistoriques. La seconde approche est de nature essentialiste ou culturaliste. Elle affirme, par contre, que l’islam, de par le contenu de son texte fondateur (le Coran), constitue une religion à part dont la violence fut à la base de sa constitution en tant qu’umma (communauté musulmane) et continue à lui servir de moyen nécessaire pour la diffusion de son message.
C’est un fait, le message coranique et les faits historiques fondateurs de l’islam, à l’instar des deux autres traditions monothéistes, se prêtent à des lectures contradictoires. Autrement dit, l’islam ne constitue nullement une exception. Il est très aisé pour l’historien des religions de montrer que la violence était au cœur des faits qui ont jalonné le devenir des trois monothéismes.
On peut également multiplier les références aux grandes sources des traditions de chacune des trois religions monothéistes ; sources dans lesquelles fut justifiée la « guerre sainte » (jihad), la « guerre licite » ou la « guerre juste » ; justifications théologiques qui ont légitimé d’innombrables formes de persécutions, de guerres et d’atrocités à travers l’histoire des trois religions. Et en cela, se révèle l’historicité des religions monothéistes et leurs compositions avec ce que la condition humaine a de plus tragique.
Si la violence n’est ni étrangère, ni spécifique aux monothéismes, la question qui se pose aujourd’hui et sur laquelle le GRIC devrait apporter sa contribution serait : Tout en composant avec une violence inhérente à la condition humaine, les monothéismes ont –ils cherché à la domestiquer, à la maitriser et à la ritualiser ? Si oui, comment cela s’est-il opéré dans chacune des trois traditions ? Et sur un mode plus général encore, on peut se demander si la violence qui a accompagné le monothéisme dans son histoire, lui est–elle consubstantielle ou serait–elle une des contingences du déploiement de son message dans l’histoire ? Et plus précisément à présent, suite aux drames inédits qu’a connus l’humanité dans les temps modernes, notamment sur les deux rives de la Méditerranée, on peut s’interroger : la violence est-elle toujours indispensable au monothéisme ou serait-elle foncièrement étrangère à son projet pour l’humanité ? Et que peut le dialogue islamo-chrétien face au défi de la violence qui se réclame des messages monothéistes ?