Chiites et sunnites. La grande discorde (en 100 questions)
(Compte-rendu)


Pierre-Jean LUIZARD :
Chiites et sunnites. La grande discorde (en 100 questions)
Édit. Tallandier, Paris 2017, 284 p.

L’auteur est historien, spécialiste des islams au Moyen-Orient, directeur de recherches au CNRS à Paris et l’auteur de plusieurs ouvrages.

Nous savons tous que depuis 2011 le Moyen-Orient arabe connaît une tourmente généralisée. Les Printemps arabes, qui ont défié les régimes autoritaires en place depuis des décennies, semblent être l’événement déclencheur, mais, selon l’auteur, nous sommes en présence d’un processus bien plus ancien : la faillite d’États arabes (créés après la fin de l’Empire ottoman en 1920), émancipation des communautés chiites arabes et l’éclatement de l’autorité religieuse en islam, mais aussi la globalisation d’une nouvelle grande « discorde » entre chiites et sunnites. Le mot « discorde » fait allusion au mot arabe « fitna« , mot employé par les théologiens musulmans pour décrire les premières divisions au sein de l’islam après la mort du prophète Mohammed en 632.

L’auteur analyse dans ce livre cette discorde. Il remonte aux origines de la séparation entre sunnites et chiites et il suit, au fil des siècles, les relations entre ces deux principales branches de l’islam. Il s’agit essentiellement d’une lutte entre deux concepts de base, à savoir le califat sunnite et l’imamat chiite, lutte aussi pour savoir à qui doit revenir le pouvoir en islam, aujourd’hui comme hier.

Le désaccord est resté irrésolu, malgré plusieurs tentatives de rapprochement durant l’histoire de l’islam. Aux temps modernes de nouvelles causes contemporaines sont apparues dans le monde sunnite et chiite, souvent à cause de la dimension confessionnelle des conflits, mais aussi à cause de l’échec des États en place à résoudre la question communautaire et les luttes d’influence entre acteurs régionaux et internationaux.

L’auteur expose ce sujet, qui occupe encore l’actualité quotidienne, à travers une centaine de questions/réponses. Celles-ci englobent des réalités très nombreuses et très diverses : tous les conflits entre les pays du Moyen-Orient à travers leur histoire; les dogmes, les cultes et les rites propres des sunnites et des chiites; leurs rapports différents à l’État; leur géographie et les échecs du panarabisme; les fondamentalismes, les réformismes, le salafisme et le djihadisme; l’irruption de Daesh; les enjeux géopolitiques ; le rôle des grandes puissances dans les conflits etc.

L’auteur démontre à travers tous ces développements que le conflit entre sunnites et chiites à toujours marqué l’islam. Dans les pays à majorité sunnite, être chiite peut vraiment sembler un défi et est parfois synonime de « traître » ou de « terroriste » (Egypte, Algérie…). Les chiites vont alors cacher leur adhésion au rite ja’fari imamite.

Les islamismes ont contribué à séparer encore davantage les deux branches de l’islam. Quant à la montée du salafisme et du djihadisme, elle est une menace directe pour les chiites et l’Iran. Ainsi Téhéran a fait de la lutte contre l’Etat Islamique ( I.S.) et contre Al-Qaïda une priorité.

La rivalité qui existe en islam entre Arabes et Persans est toujours un fait. Aux yeux des Arabes, les Iraniens tentent de voler aux Arabes ce qu’ils ont produit de mieux, l’islam !

La Palestine occupée et le sort de Jérusalem, troisième ville sainte de l’islam, devrait en principe être un thème qui devait unir sunnites et chiites. Pourtant même la Palestine n’a pas été l’occasion d’un rapprochement entre eux.

Les développements et la réalité des conflits confessionnels millénaires exposés dans ce livre sont impressionants et inédits dans leur ampleur globale.

Le livre de Jean-Pierre Luizard, qui se veut « un éclairage le plus didactique possible » sur ce sujet complexe, est, malgré un certain nombre de répétitions inhérentes au genre de l’ouvrage, très instructif et captivant.

Hugo Mertens