De Londres à Paris, regards sur l’islamophobie
Kawtar Najib, Newcastle University and Peter Hopkins, Newcastle University
La montée de l’islamophobie en France et au Royaume-Uni s’est intensifiée ces dernières années, notamment après les différents attentats terroristes qu’ont subi les deux pays, telles que l’attaque contre Charlie Hebdo 2015 dans la capitale française et l’attaque du pont de Londres en 2017. Ces attaques ont conduit la première ministre britannique, Theresa May ainsi que le Président de la République Française Emmanuel Macron à se rencontrer en janvier 2018 afin de réfléchir sur une action conjointe de contre-terrorisme notamment à l’encontre des sites Internet de réseaux de radicalisation.
Sur plusieurs plans, la France et le Royaume-Uni font face à des défis similaires. Situés en Europe de l’Ouest, les deux pays comportent une proportion non négligeable de personnes de confession musulmane.
Le Pew Research Center estime cette population à 5,7 millions de personnes en France, malgré le fait que les statistiques ethniques et religieuses ne soient pas disponibles dans ce pays. Au Royaume-Uni, le Muslim Council of Britain, organisation chapeautant les associations et institutions musulmanes compte 2,7 millions de personnes.
Cependant notre recherche montre que le phénomène d’islamophobie diffère entre les deux pays.
Les lieux de l’islamophobie
Pour tenter de comprendre la complexité de l’islamophobie, notre recherche portant sur les actes antimusulmans se concentrent avant tout sur les deux importantes capitales européennes de Paris et Londres.
Des données recueillies en 2015 grâce au travail des associations Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) et Tell MAMA au Royaume-Uni nous éclairent ainsi davantage sur ce phénomène et sa diversité.
À Paris, les actes répertoriés se déroulent en majorité à Paris intra-muros et s’amenuisent à mesure qu’on s’en éloigne. Ce qui créé un contraste entre le centre et sa banlieue, une banlieue qui présente moins d’actes islamophobes.
Cette distribution est différente à Londres, où autant d’incidents sont enregistrés aussi bien dans le centre londonien que dans dans la périphérie.
Beaucoup d’actes se déroulent dans les bus, les trains, les transports en commun de façon plus générale, dans des espaces du quotidien.
Latifa, qui a participé à notre recherche en tant qu’enquêtée à Londres nous relate ce qui lui est arrivé :
« Un homme dans le bus s’est penché vers moi, et a commencé à me faire des commentaires désobligeants allant jusqu’à m’appeler une “terroriste de Daech” ; en fait il me touchait. »
En France, la majorité des incidents se déroule au sein d’institutions publiques par exemple une mairie, une école ou un hôpital. À Paris en particulier, la plupart des actes antimusulmans correspond à des discriminations individuelles. L’une des personnes que nous avons rencontrée, Kenza, raconte :
« Alors qu’une de mes amies arrivait au lycée, le directeur lui a arraché son voile devant tout le monde. J’aurai toujours cette image dans la tête, la voir monter les escaliers morte de honte. »
Ce type d’agissements est directement lié à la loi de 2004 qui interdit le port du voile, et autres signes religieux dans les écoles publiques, au nom de la laïcité française.
Certains fonctionnaires – au courant ou non des détails de la loi – pensent qu’ils ont le droit d’étendre le champ d’application de la loi à tous les usagers des institutions publiques, et non seulement aux élèves des collèges et lycées.
En France, le niqab (ou voile intégral) a été interdit en 2010 dans tous les espaces publics, ce qui n’est pas le cas du foulard. Ainsi, l’islamophobie en France semble relever d’un fait plus institutionnel qu’uniquement individuel.
Des victimes et des auteurs très différents
Dans les deux pays, les principales victimes sont les femmes voilées. En France, elles sont majoritairement étudiantes.
L’originaire sud-asiatique ou nord-africaine des victimes (respectivement britanniques et françaises) est aussi corrélée à l’histoire coloniale et migratoire de chaque pays.
Les hommes blancs sont les principaux auteurs d’agressions islamophobes au Royaume-Uni et sont perçus comme entretenant un rapport de domination sur les minorités ethniques et religieuses. Mais en France, il semble y avoir parité en la matière, car nous avons constaté qu’il y a autant d’hommes que de femmes parmi les agresseurs.
Certaines Françaises – se revendiquant d’un certain féminisme – dénoncent le port du voile, considérant qu’une femme voilée ne peut pas être féministe.
Le rôle de l’État
Nos recherches se sont également penchées sur la façon dont l’État, dans certains espaces, favorise certains agissements islamophobes.
Le modèle républicain français ne distingue pas les citoyens français sur des critères d’origine, de race ou de religion, et l’absence de statistiques dites ethniques empêchent selon certains de mettre en place des outils efficaces pour lutter contre de telles discriminations ce qui peut expliquer pourquoi il y a moins d’actes signalés en France.
Le Royaume-Uni, quant à lui, promeut plutôt le multiculturalisme et l’inclusion de la diversité ethnique et religieuse dans la société. Malheureusement, certains s’opposent à cette approche multiculturelle et adoptent des comportements racistes à l’encontre de celles et ceux qui « n’appartiendraient pas » au Royaume-Uni. Ces différents facteurs influencent aujourd’hui les communautés musulmanes à participer dans les débats politiques et à s’engager dans la société.
Les approches française et anglaise décrivent le rôle que joue l’État dans la détermination des actes antimusulmans et des personnes impliquées, à tel point que l’État a été reconnu comme l’un des cinq piliers de l’islamophobie. Les gouvernements des deux pays devraient donc être plus critiques et conscients du rôle que jouent leurs politiques dans les expériences quotidiennes de l’islamophobie.
Kawtar Najib, Marie Sklodowska-Curie Fellow in the School of Geography, Politics and Sociology, Newcastle University and Peter Hopkins, Professor of Social Geography, Newcastle University
This article was originally published on The Conversation. Read the original article.