“Pour suivre les Pères, on peut tout garder !”
“Suivre Jésus, c’est difficile : il faut tout laisser. Suivre les Pères, ce n’est pas difficile : on peut tout garder !” Traduction : “C’est difficile de devenir chrétien baptiste, parce qu’il faut rompre avec toute la tradition. C’est facile de devenir catholique, parce qu’il n’y a pas de rupture à faire !” Propos entendus de catholiques au début de notre ministère chez les Sénoufo de Korhogo en Côte d’Ivoire en 1980-1981 : nous étions en présence d’un sérieux problème de syncrétisme.
À la Commission de pastorale en milieu traditionnel, nous examinions le problème. Je m’y fis un ami : un laïc, Daniel. Né dans une famille musulmane, converti au Christ dans sa jeunesse, formé à l’animation et aux techniques d’autopromotion humaine, il avait une bonne connaissance du milieu, de la culture et de la religion de ses frères Sénoufo.
Écoutons-les et on verra
Un jour, je dis à Daniel : “On a beau dire aux chrétiens qu’il y a des ruptures à faire pour suivre le Christ, ça ne marche pas : quelque chose les bloque. Tant qu’on ne retirera pas la cale, ils ne bougeront pas. Je propose ceci : rassemblons quelques personnes, faisons-les parler, écoutons-les, et on verra.” C’est ainsi que Daniel et moi-même sommes partis avec une douzaine d’hommes sénoufo pour cinq jours d’aventure spirituelle. Au terme de ces cinq jours, la plupart des participants ont manifesté qu’ils voyaient mieux en quoi Jésus-Christ les sauvait de leurs peurs provenant de la religion traditionnelle, et comment ils pouvaient marcher avec lui sur un chemin de libération.
On se mit à appeler la démarche “Jésus nous libère”. À ce jour, elle a certainement été suivie plusieurs centaines de fois, d’abord dans notre paroisse de Korhogo, puis dans d’autres paroisses du diocèse, jusqu’à faire partie intégrante de la préparation au baptême. Peu à peu, elle a été proposée un peu dans tous les milieux et dans différents pays d’Afrique de l’Ouest : Burkina Faso, Mali, Sénégal, Togo, Bénin. Les congrégations religieuses de Côte d’Ivoire l’ont intégrée au cycle de formation de leurs novices. Elle est également proposée aux formateurs à la vie consacrée dans le Centre Mater Christi à Bobo-Dioulasso.
Un chemin de discernement et de libération
Il s’agit d’aider chacun à accomplir un discernement et à parvenir à une libération dans le domaine des croyances et pratiques reçues de la religion traditionnelle : que faut-il garder ? Que faut-il laisser ? Comment sortir des chemins qui conduisent à une aliénation, à une déshumanisation ?
On part du vécu des participants. Ils sont invités à exprimer leurs difficultés et leurs interrogations. Certains disent les souffrances que leur font subir génies, fétiches, etc., et leur désir de s’en sortir.
Ensuite, on analyse les situations évoquées. Habituellement, il en ressort deux éléments importants : la plupart des pratiques traditionnelles visent des valeurs positives (santé, fécondité, solidarité, cohésion sociale, etc.) ; la plupart de ces pratiques reposent sur la croyance que des êtres invisibles disposant des biens de ce monde, et que les hommes doivent se soumettre à eux pour satisfaire leurs besoins. D’où la question : comment satisfaire ces besoins et vivre les valeurs héritées de la tradition tout en échappant aux contraintes des génies ?
La Parole qui éclaire et libère
La Parole de Dieu rejoint les gens dans leur vécu. Quelques thèmes se montrent particulièrement éclairants et libérateurs. Tout est créé par Dieu – la religion traditionnelle le dit aussi. Dieu fait l’homme à son image et lui donne autorité sur ses créatures qu’il lui confie – c’est ici la grande nouveauté ! Mais cette réalité n’est pas vécue tant qu’on se soumet à des puissances qui seraient détentrices des éléments du monde. Quelque chose est inachevé, comme déréglé : c’est le péché.
Pour conduire son œuvre à son terme, Dieu donne son Fils. Jésus guérit les malades, ressuscite des morts, chasse les démons, marche sur les eaux, calme le vent et la mer, etc. Jésus-Christ se montre maître de tout ce qui se voit et de ce qui ne se voit pas ; il est la vraie image de Dieu, l’homme parfait. En lui s’accomplit pleinement ce que Dieu veut faire de tout homme.
Par son attachement à Jésus-Christ Seigneur, chacun peut accéder à sa dignité d’être humain, libéré de toute peur et de tout esclavage, responsable de ce monde qui lui est confié.
Le culte rendu par Jésus à son Père montre par quoi remplacer les anciens cultes : faire la volonté du Père, dans l’amour et le service des frères, jusqu’au bout.
Pour moi vivre, c’est le Christ
Au fur et à mesure qu’alternent analyse du vécu, présentation de la Parole de Dieu, prière sur cette Parole et partage des lumières reçues, chacun découvre peu à peu comment le Christ Seigneur peut le libérer de ses peurs.
En fin de parcours, il arrive que de vieux fétichistes disent : “Si je laisse mon fétiche, le service du génie, je risque d’être tué. Mais je vais tout laisser ; il vaut mieux être avec Jésus !”
Bernard Delay
Tiré du Petit Echo N° 1028 2012/2