Sénégal : les risques sanitaires du plus grand rassemblement religieux de l’année
The Conversation
Le Grand Magal de Touba est un événement religieux musulman annuel d’une journée qui se déroule à Touba, capitale religieuse de la confrérie mouride, situé à 200 km au nord-ouest de Dakar, chaque année le 18 du mois de Safar (calendrier islamique). C’est l’un des plus importants rassemblements religieux d’Afrique où convergent des centaines de milliers de fidèles. À l’instar des autres grands rassemblements, le Magal expose à des risques accrus de transmission de maladies infectieuses, en particulier des infections digestives et respiratoires en raison notamment de la promiscuité.
Cheikh Sokhna, Institut de recherche pour le développement (IRD)
L’État saoudien moderne a mis en place une surveillance médicale à l’occasion des Hajj et exige des pèlerins un certain nombre de vaccinations, en fonction des données épidémiologiques, comme le vaccin contre la méningite. Pour protéger ces mêmes pèlerins et leurs compatriotes, les gouvernements étrangers imposent de leur côté des programmes de vaccination, en fonction de la situation épidémiologique, à la charge des intéressés. Le Grand Magal de Touba est aussi source de risques sanitaires qu’il faut savoir détecter et prendre en charge rapidement.
Notre étude effectuée lors du Magal de 2016 montre clairement que des personnes de tous âges (enfants et adultes) participent au Magal. Il y a une forte proportion de jeunes enfants dans nos résultats – ce qui reflète la jeunesse de la population sénégalaise en général.
Le profil clinique des pèlerins
Les registres de consultations générales qui permettent de renseigner sur les activités médicales (consultations, hospitalisations, investigations, urgences et décès) indiquent que 60 % des consultations dans les structures sanitaires – Sur cinq jours (deux jours avant le Magal, le jour du Magal et deux jours après le Magal) à Touba et Mbackè (10km de Touba) – sont dues à des maladies infectieuses, avec une prévalence élevée des infections gastro-intestinales, du paludisme et des infections respiratoires.
Ces recherches épidémiologiques, menées au Sénégal sur l’un des plus importants rassemblements religieux d’Afrique, confirment l’enjeu sanitaire de ce type de rassemblement. Elles visent à améliorer l’offre de santé et, à terme, à prévenir l’éventuelle mondialisation d’infections locales.
Parmi les patients qui sont allés consulter pendant le Magal en 2016, les affections les plus fréquentes étaient des maladies gastro-intestinales et respiratoires. Les symptômes gastro-intestinaux les plus fréquents étaient des douleurs abdominales et gastriques, des nausées, des vomissements et des diarrhées. Ce qui montre que la plupart des patients souffraient de gastro-entérites.
La prédominance de la toux, de la rhinite, du syndrome grippal et des maux de gorge chez les patients présentant des symptômes respiratoires indique que la plupart des patients souffraient d’infections des voies respiratoires supérieures. Selon l’Institute for Health Metrics and Evaluation, la diarrhée et les infections des voies respiratoires étaient les maladies les plus répandues en 2016, représentant respectivement 8,42 % et 7,48 % du nombre total d’années de vie corrigées du facteur invalidité au Sénégal.
En outre, 3 % de cas de paludisme ont été diagnostiqués. Parmi les patients, 29,8 % se sont vu prescrire des antibiotiques et 2,6 % des médicaments antipaludiques, et 1,5 % des patients ont été hospitalisés. Un seul décès a été enregistré.
Nos résultats sont conformes à ceux documentés par notre équipe en 2017 dans une petite cohorte de pèlerins à Touba où les symptômes d’infection gastro-intestinale étaient prédominants. Il est intéressant de noter que les symptômes d’infections gastro-intestinales et la diarrhée représentent également la plupart des raisons de consultation et d’hospitalisation pendant le Hajj et d’autres grands rassemblements religieux.
Cette prédominance de symptômes d’infections gastro-intestinales chez les pèlerins du Magal est probablement due à la transmission interhumaine d’agents pathogènes respiratoires durant les trajets dans des bus surchargés et autour de la mosquée pendant les rituels.
Cette étude de 2017 a aussi montré que 46,4 % des pèlerins ont déclaré qu’ils se lavaient les mains plus souvent que d’habitude pendant le Magal et 63,6 % ont utilisé fréquemment du gel pour les mains. Seulement 32,3 % et 2,8 % des pèlerins ont déclaré avoir utilisé respectivement des mouchoirs jetables et un masque facial pendant le pèlerinage. Un seul pèlerin a été vacciné contre la grippe.
Les conditions d’hébergement
Les pèlerins viennent généralement quelques jours à l’événement et restent pendant plusieurs jours après le Magal. Pendant cette période, ils sont logés dans des structures d’hébergement privées car il n’y a pas d’hôtels à Touba. Ces possibilités d’hébergement peuvent être les résidences des habitants, où les membres de la famille vivant dans différentes régions du Sénégal ou qui ont émigré à l’étranger se rencontrent pendant la période du Magal, ou bien les maisons de marabouts avec une capacité allant jusqu’à des centaines d’individus.
De nombreux pèlerins dorment sur les tapis, à même le sol, dans les maisons ou sur les terrasses extérieures. La nourriture est préparée collectivement par les membres de la famille ou par les adeptes du marabout.
L’abattage des animaux est principalement réalisé dans les rues, devant les structures d’habitation. Les associations communautaires de disciples mourides (dahiras) sont responsables de l’alimentation des pèlerins, qu’ils nourrissent gratuitement.
Le contexte mondial, sous-régional et national est marqué par l’existence de nombreuses maladies transmissibles (méningites, choléra, fièvres hémorragiques dont Ebola, grippes, paludisme, dengue, salmonellose, etc.) qui peuvent profiter du brassage de populations occasionné par l’événement pour se propager. Du fait de la dimension internationale du Magal, ces maladies peuvent même se propager en dehors des frontières du Sénégal. Le Sénégal fait partie des pays membres de l’OMS qui ont adopté le Règlement sanitaire international. Cet instrument régit la surveillance des grands rassemblements et stipule que les maladies infectieuses doivent être déclarées en temps réel (obligation d’un système de surveillance et de déclaration).
Comment améliorer la lutte contre les risques sanitaires
Les causes les plus fréquentes de consultation demeurent, on l’a dit, les gastro-entérites, les infections des voies respiratoires supérieures, les fièvres et les douleurs. En termes de mesures préventives, il est recommandé d’améliorer l’hygiène des mains. Les antalgiques, les antipyrétiques (ibuprofène et paracétamol), les sels de réhydratation orale et les médicaments antidiarrhéiques et antiémétiques, notamment les préparations pédiatriques, devraient être disponibles pendant le Magal.
Le contexte du Grand Magal de Touba est unique, du fait de son emplacement dans un pays en développement tropical et de sa composante internationale qui peut favoriser la mondialisation des maladies endémiques localement. En tant que tel, il justifie un investissement dans des méthodes modernes de surveillance de la santé publique et de planification de la manifestation.
La préparation de l’infrastructure médicale doit cibler ces caractéristiques syndromiques, en termes d’outils de diagnostic et de traitements spécifiques, y compris les formulations pédiatriques.
La documentation microbiologique des infections doit être effectuée pour identifier les agents pathogènes qui circulent dans le périmètre du Magal. À cet effet, des laboratoires doivent être mis en place pour effectuer un diagnostic rapide et la prescription en temps opportun des médicaments appropriés.
Les caractéristiques démographiques spécifiques de la population du Magal suggèrent que les pédiatres ou les travailleurs de la santé ayant une formation en pédiatrie devraient faire partie du personnel médical déployé pendant le Magal pour s’occuper des patients.
La mise en œuvre de ces mesures préventives permettrait de limiter les maladies contagieuses et de réduire la prise en charge financière des infections liées au Grand Magal.
Cheikh Sokhna, Directeur de recherche à l’IRD, Institut de recherche pour le développement (IRD)
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