Jésus, l ’ Homme de la Rencontre
Nous voici partis pour un long parcours, dans l’Évangile de Jean, que j’ai appelé Jésus, l’Homme de la rencontre. Le premier but de la lecture que nous allons entreprendre est de nous rapprocher du “Rabbi”, Jésus, le “Fils de l’homme” comme il se définit lui-même. Ce titre qu’il se donne, je le prends d’abord tel qu’il nous vient, même si son sens est complexe et masque sa véritable identité plutôt qu’elle ne la dévoile. Cette rencontre avec Jésus nous invite à nous arrêter un peu, à l’écart, dans notre
monde agité et bousculé, où il y a tellement à faire ! Cela exige du temps et une certaine gratuité, de la disponibilité qui se moque au besoin de la montre ou de la pendule, même s’il faut parfois les regarder ! Mais nous verrons avec quel souci cet évangile note “l’heure” des grands événements de la vie du Maître, heure dont le sens est plus important que le nombre de ses minutes !
Jésus, l’homme de la rencontre. Dans la rencontre, il importe d’être soi, et de laisser à l’autre la possibilité d’être lui-même. La rencontre est gratuite, elle fait souvent naître d’abord la curiosité, puis l’intérêt, et enfin l’amitié. Ceci est vrai dans notre relation à Dieu. Rencontrer Dieu c’est
d’abord être en vérité avec soi et avec lui, c’est le laisser être Dieu en nous, lui permettre d’entrer, et c’est un risque, car il peut être encombrant. Mais jamais Il ne s’imposera. Jésus se montre un maître de la relation, et avec Dieu son Père et avec les autres. Venu de Dieu, il nous apprend à rencontrer Dieu. Venu se glisser dans notre humanité, il nous apprend à rencontrer les autres.
Pourquoi avoir choisi l’Évangile de Jean et pas un autre ? Précisément, parce que cet écrit est un tissu de rencontres. Ma petite expérience de vie d’homme et de chrétien dans un monde marqué par l’Islam m’a appris le sens des rencontres et de la relation, m’a appris à rencontrer l’autre autrement que par le seul biais de la religion. C’est d’abord à travers la rencontre que nous sommes appelés à révéler Jésus et son message. J’y reviendrai, nous ne trouvons dans le quatrième évangile qu’une seule fois le verbe
“évangéliser”. C’est peut-être aussi pour cela que l’évangile de Jean m’a tellement investi. Cela surprend à une époque où dans l’Église on parle tant d’évangélisation et de “nouvelle évangélisation”. Les communautés auxquelles s’adresse l’auteur du quatrième évangile (je l’appellerai « Jean » puisque la Tradition le lui attribue) étaient dans une radicale incapacité d’évangéliser, de proclamer par leur
bouche la Bonne Nouvelle de Jésus. Ils se trouvaient dans un environnement hostile à cette tentative. Tout se concentrait alors dans la vie et le témoignage des disciples. Pas d’échappatoire ! Impossible pour eux de la proclamer sur les terrasses ou les places publiques. Leur vie était leur évangile, leur existence même trahissait leur identité :« À ceci tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l’amour
que vous aurez les uns pour les autres » (Jn 13,35). Tout un programme, n’est-ce pas ? Et si nous recommencions par là ? Nous sommes par trop soucieux d’efficacité, de rendement chiffré, même dans cette Église que j’aime et que je sers, et je me prends la tête lorsque je dois envoyer à Rome les statistiques sur le nombre de baptêmes, de confirmations, de mariages ! Oui, nous sommes trop soucieux d’efficacité et pas assez de cohérence avec le message que nous voulons porter au monde.
Je n’ai gardé dans ce parcours évangélique que les récits, laissant de côté les discours, qui sont nombreux et ont été sans doute rédigés plus tardivement, dans un autre contexte.
À titre de précision utile, l’évangile de Jean a subi plusieurs phases d’écriture et s’est adapté aux lieux, aux temps et aux circonstances. Sans doute a-t-il connu une première ébauche dans les Églises palestiniennes, puis dans la région d’Éphèse. C’est là que les discours ont été ajoutés. Ils sont plus difficiles, plus ardus que les récits, et c’est souvent à cause de cela que cet évangile est moins fréquenté.
Cela n’enlève rien d’ailleurs à leur valeur. Des exégètes notent que les récits sont à la base de cet écrit
constitué d’abord à partir de la relation d’événements, et ces événements sont surtout des rencontres interpersonnelles. L’auteur les relate et ils serviront de point de départ à des discours, plus longs développements qui souvent débordent largement le point de départ des récits. Ces derniers sont plus faciles, plus vivants, plus parlants ils nous mettent en présence de Jésus dans sa relation avec les hommes et les femmes de son temps. Ils deviennent une sorte de « pédagogie de la rencontre » tant
ils sont pétris d’humanité. Il devient facile de s’identifier avec ces personnages bien typés tels que la Samaritaine, Nicodème, Marthe et Marie, et tel ou tel des disciples. Personne ne sort indemne de ces contacts avec le Galiléen !
L’évangile de Jean : un appel à l’intériorité
Il y a plusieurs façons d’aborder l’évangile, comme d’ailleurs tout texte sacré. C’est d’abord un écrit, un texte. Il peut tout simplement être traité comme tel, sans plus. Il mérite sa place dans la littérature ancienne. Les récits peuvent être lus comme de belles histoires édifiantes ou même merveilleuses, dont on peut d’ailleurs contester la vérité historique au sens moderne jusque dans les détails. Ils sont surtout chargés de symboles, et s’engager dans ce parcours devient une aventure intérieure, et c’est cela qui nous intéresse ici. Sans négliger le support historique, ils mènent plus loin que l’événement tel qu’il a pu se dérouler, ils conduisent à la recherche du sens et à ce que cela peut entraîner dans notre vie de foi, dans notre relation à Dieu et aux autres. L’auteur le dit dans l’une de ses conclusions : Jésus a accompli en présence des disciples encore bien d’autres signes qui ne sont pas relatés dans ce livre. Ceux-là l’ont été pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et qu’en croyant vous ayez la vie en son nom (Jn 20,30).
Et si c’était vrai ? Il ne s’agit donc pas d’une simple curiosité littéraire, mais d’une véritable démarche intérieure, une marche à la suite de Jésus qui peut à la fois changer notre vie, faire de nous des témoins, peut-être silencieux mais vivants, de Celui qui nous précède. Prendre Jésus comme Maître de vie est un
risque : celui de nous laisser transformer pour devenir un peu comme Lui. Sommes-nous prêts à prendre ce risque ?
Origène (Commentaire sur Saint Jean, Sources chrétiennes 120, p. 71) écrivait à propos de cet évangile : « Il faut donc oser dire que, de toutes les Écritures, les évangiles sont les prémices et que, parmi les évangiles, ces prémices sont celui de Jean, dont nul ne peut saisir le sens s’il ne s’est renversé sur la poitrine de Jésus et n’a reçu de Jésus Marie pour mère. Et, pour être un autre Jean, il faut devenir tel que, tout comme Jean, on s’entende désigner par Jésus comme étant Jésus lui-même. Car selon ceux qui ont d’elle une opinion saine, Marie n’a pas d’autre fils que Jésus ; quand donc Jésus dit à sa
mère : « Voici ton Fils », et non : « Voici, cet homme est aussi ton Fils », c’est comme s’il lui disait : « Voici Jésus que tu as enfanté ».
Origène (né en Égypte vers 185) fait partie des premiers “Pères de l’Église”, ces chrétiens qui ont pris le relais des apôtres et des évangélistes dans la transmission et l’interprétation du message de Jésus. Leur témoignage est important parce qu’il est de première main. Ce que je retiendrai de ce passage, c’est l’insistance sur la dimension intérieure de l’évangile de Jean. Pour entendre battre le coeur du Fils de l’homme, il faut se pencher sur sa poitrine, comme l’apôtre l’a fait au moment de la Dernière Cène.
L’allusion à Marie est aussi très signifiante. Il nous faut nous mettre à l’écoute du coeur de Jésus comme une mère enceinte laisse ses enfants poser leur oreille sur son ventre pour leur faire entendre le petit coeur qui bat en elle. Il en est ainsi de Dieu. Il n’est pas visible, mais il est perceptible dans l’humanité même de Jésus. Il faut se pencher sur sa poitrine pour y entendre battre le coeur de Dieu.
Nous mettre à la suite du Maître
Mettons-nous en route ! Non pour une marche touristique — même si certains récits sont d’une réelle beauté — mais pour un long parcours, jamais fini. Si Jésus se définit aussi comme « le chemin », cela nous promet une “sacrée ballade” ! Nous ne partons pas pour une course de vitesse, mais pour une longue, longue randonnée. On ne part pas pour un marathon comme on part pour piquer un cent mètres. Alors ici le facteur temps est important. Mais avant le départ, laissons-nous interroger. La première parole de Jésus dans l’Évangile de Jean est une question « Que cherchez-vous ? » (Jn 1,38) C’est ainsi qu’il s’adresse aux deux premiers disciples qui lui ont emboîté le pas. Cette première petite phrase tout à fait anodine est une question et non une réponse à leur curiosité. L’Évangile n’est ni un livre de cuisine et de recettes ni une encyclopédie où nous pourrions trouver réponse à toutes nos questions. L’Évangile pose finalement plus de questions qu’il n’en résout !...
Edit ABBAYE N-D-du-LAC - Collection Voix Monastiques -
31/10/ 2012, 178 p, 18,00 €
Article du "Lien", bulletin du Secteur France des Missionnaires d'Afrique, avril 2013.