Il y a 7 ans j’ai rencontré, moi, tunisienne et musulmane, l’esprit du Concile Vatican II à travers Yvon, le curé de Sfax de l’époque et tout son monde. Et depuis, une longue histoire d’amitié et de connaissance a commencé et continue, et pour la personne et pour le monde qui l’entoure.
Ce qui m’avait impressionné dès le début et continue à entretenir mon attachement à la personne d’Yvon et son monde, c’est cette façon d’être portée vers l’échange et le partage, et d’être préoccupé par l’ « homme ». Tout cela avec une bienveillance et une ouverture palpables dans un mi- lieu diversifié, comme une mosaïque de religions et d’identités où la différence de l’autre est respectée. N’est-ce pas l’esprit du Concile Vatican II ?
Il faut dire qu’à l’époque je ne savais rien du Concile Vatican II, ni grand-chose d’ailleurs des chrétiens et des non-musulmans en général, à part quelques clichés que la tradition ou la télévision m’ont toujours présentés. Cela peut paraître naïf, mais un de ces clichés par exemple c’est d’imaginer les Pères et les hommes de religion en général, comme des personnes parfaites. Une sorte d’anges auxquels il ne manque que des ailes pour s’envoler au ciel.
Eh bien, j’ai découvert qu’un Père peut être triste ou frustré. Il peut se mettre en colère, comme il peut être ému jusqu’aux larmes ou éclater de rire… J’ai fini par admettre que c’est un être humain à part entière comme le commun des mortels, avec ses qualités et défauts, ses forces et faiblesses. Cela m’a permis de comprendre qu’un « homme » de religion est avant tout un « homme » puis la religion vient après. Com- bien cela m’a aidé à relativiser, à modérer mes attentes par rapport à mes idéaux et aux autres, et à être plus indulgente ! On dit que l’homme a peur de ce qu’il ne connaît pas. Et c’est en faisant l’effort d’aller vers la connaissance de l’autre que beaucoup de peurs, de préjugés et de murs tombent.
Ma fréquentation amicale, durant des années, du monde chrétien de Sfax ne m’a pas rendue chrétienne (comme en avaient peur quelques uns de mon entourage tunisien). Elle a mis ma façon de voir la vie, la foi et la différence sur la voie de la réflexion continue. Au sein de ce monde qui est celui d’Yvon, mon horizon s’est élargi et mon esprit a suivi. Tout au long de ces années, j’ai rencontré et croisé des gens extraordinaires de tout bord (européens , tunisiens, asiatiques, afri- cains… catholiques, protestants, musulmans, juifs ou athées … croyants, peu croyants ou même non croyants… religieux et laïcs… de tout âge et niveau intellectuel….). Et de ce bouillon de cultures des liens d’amitié et d’affection se sont tissés. Et quelque part c’est à travers l’amitié et l’af- fection dans la pratique de tous les jours que la tolérance et l’acceptation de la différence ont plus de chance de se travailler et de s’aiguiser.
L’un des mérites à mes yeux de ce monde mosaïque, c’est qu’il a fait re vivre la mémoire de la Tunisie diversifiée et harmonieuse que mes parents me racontaient à travers leurs souvenirs d’enfance et de jeunesse et que je ne trouvais pas dans mon entourage uniforme. Ensuite, par le contact et les échanges avec des cultures et des gens aussi différents, j’ai découvert que nous avons plus de choses à partager que des choses qui nous divisent. J’ai pris conscience aussi que ce frotte- ment culturel a fait jaillir dans mon esprit de nouvelles questions qui ne se posaient pas quand on est trop semblable et entre nous. Ces questions me poussaient à aller chercher chaque fois plus profondément dans ma religion, son histoire et ses interprétations, à réviser mes informations, mes préjugés et mes idées, et à me ressourcer à la sagesse là où elle se présente, quelle que soit son origine.
A travers cette expérience, je peux dire qu’aller vers l’autre et faire l’effort de le connaître c’est aussi s’ouvrir en parallèle un chemin vers soi pour se connaître mieux et évoluer. C’est aussi mettre en exercice et sur le terrain nos valeurs, nos capacités de patience, nos idées de tolérance et de respect de la diversité qui font notre monde. N’est-ce pas une façon de faire évoluer la foi quelles que soient ses origines? On m’a posé la question : « qu’est ce que j’attends, moi, musulmane, de vous, Chrétiens qui vivez en Tunisie ?» Sachez déjà que par votre vie en Tunisie, vous qui venez de partout dans le monde, vous participez à donner de l’élan à une partie en danger de l’identité de la Tunisie, qui est la diversité et l’ouverture. Et par conséquent j’attends que vous restiez, que vous ne cédiez pas à la peur et que vous ne partiez pas. Que nous continuions à apprendre à vivre ensemble dans le respect de nos différences respectives, à se connaître, à échanger et à partager tout ce qui peut nous enrichir et nous réunir dans la paix.
Je suis certaine que notre champ de rencontre dans la paix est plus large que tout ce qui était envisagé jusque là. Mais pour découvrir sa profondeur et son étendu, nous devons le mériter par l’effort sur soi et vers l’autre. Pour conclure, l’histoire du Concile Vatican II me donne espoir à moi musulmane. Je me dis que s’il a fallu 19 siècles au Christianisme pour faire son évolution et aboutir à cette révolution qui est le Concile Vatican II, cela implique qu’il y a espoir que l’Islam, qui a 14 siècles d’existence, évoluera à son tour vers l’ouverture pour « nouer le dialogue avec le monde et se mettre au service de l'"homme"» et fera ainsi un jour son propre ‘‘Concile Vatican II’’. J’espère que les technologies modernes de communication accéléreront le processus d’évolution et feront en sorte que ce qui se faisait autrefois en siècles se fera, à cette époque de vitesse, en décennies. C’est ainsi que j’aurais peut-être la chance de vivre l’aube d’une révolution culturelle et religieuse, comme celle de la démocratie.
Fatma MNIF