EntLe Père Adrien Sawadogore la croix et le croissant
Une expérience stimulante d’humilité

Le Pape Jean-Paul II affirma lors d’une session plénière du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux le 26 avril 1990 à Rome : “Le dialogue n’est pas tant un concept à étudier qu’une manière de vivre la relation à l’autre de façon positive.” Dans cet article, je voudrais exprimer une expérience de cette “manière de vivre la relation à l’autre de façon positive”. Je le ferai à la lumière de ma propre expérience de dialogue. Le titre de cet article révèle la face intérieure du dialogue, une sorte de journal. Musulman convaincu converti, je me trouve quelques fois en porte-à-faux entre les deux communautés, chrétienne et musulmane ; la première m’exhibe parfois comme un grand signe de sa victoire et la deuxième me réprimande durement pour l’avoir trahie. C’est ainsi que je me trouve entre les deux, avec mon cœur incluant les deux.

 

Actuellement, quand je lis les réactions sur les réseaux sociaux et les médias, il apparaît clairement que cette manière de vivre une relation positive avec d’autres est en train de devenir une impasse. Même si je comprends la frustration alimentée par des événements horribles dans le monde, je dois dire que je suis profondément convaincu que c’est le moment favorable pour construire une relation sur des bases solides entre des peuples de croyances différentes. Toutefois, pour cela, toute personne sage, de toute culture ou croyance, a besoin d’une profonde humilité, d’amour, de patience et de courage. Je pense que la clé qui déverrouille le chemin est l’humilité.

 

Cette humilité est exprimée par Jean-Paul II à l’audience générale du 22 octobre 1986, quand il dit que “des religions différentes possèdent aussi des valeurs et qualités religieuses remarquables.” Nous sommes conscients que cette affirmation s’étend à toutes les cultures. Pourtant, nous savons que la différence a souvent été une source de tension et de division, d’horreur et de défection dans notre société.

 

Comment des valeurs et des qualités peuvent-elles apporter leur contraire dans la société ? La réponse se trouve, je le crois, en ce que dit Jean-Paul II dans la session plénière du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux à Rome, le 26 avril 1990 : “Le défi, auquel non seulement les chrétiens, mais toutes les personnes de toutes les religions ont à faire face, est de savoir comment apprendre à comprendre les autres croyances et pratiques.” Différents événements de notre époque rendent ce défi encore plus considérable ; ils nous poussent à nous éloigner les uns des autres dans la peur et la haine, ces deux sentiments étant alimentés par l’horreur et les discriminations. C’est pourquoi, l’appel chrétien est urgent ; dans son message au secrétariat pour les religions non-chrétiennes le 27 avril 1979, Jean-Paul II nous rappelait que “Pour un chrétien, il est du plus haut intérêt d’observer les gens vraiment religieux, de lire et d’écouter les témoignages de leur sagesse et d’avoir des preuves directes de leur foi au point de penser parfois à la parole de Jésus : “Chez personne en Israël, je n’ai trouvé une telle foi.” (Mt 8, 10)

 

Adrien en compagnie de son père

Ces mots touchent une corde sensible en moi ; celle de mon expérience de dialogue comme une expérience stimulante d’humilité : ma conversion au Christ m’a causé d’être rejeté par la communauté musulmane, renié par mon père… pendant environ 15 ans. Quand j’exprime les difficultés par lesquelles je suis passé lors de mes tentatives de visites dans ma famille et dans ma communauté, souvent on me demande : “Comment peux-tu aimer encore de telles personnes ?” Je réponds toujours ainsi à cette question : “Je comprends de n’être pas compris”, “je comprends d’être rejeté”. Après 18 ans de présence silencieuse dans ma famille, quand, finalement, j’ai partagé mon expérience de conversion avec mon père, il me fit cette surprenante réponse : “Ainsi, tu as rencontré le prophète Jésus !” À partir de cette nuit-là, je partage le même repas, dans le même plat, avec mon père, comme j’avais l’habitude de le faire quand j’étais encore un musulman. Ce qui nous avait séparés nous a rassemblés dans l’unité après environ 18 ans. Comment est-ce possible ? Est-ce un miracle ? Ou devons-nous dire, comme l’un de mes professeurs au Caire, que l’islam que j’ai connu en Afrique de l’Ouest n’est pas l’islam ? En ce qui me concerne, toute l’expérience fut un processus d’apprentissage, une découverte de ma mystérieuse et inattendue conversion divinement provoquée. Je fus introduit dans un niveau plus profond de dialogue.

 

 

À l’Assemblée plénière du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux à Rome, en novembre 1992, Jean-Paul II a relevé que le niveau de dialogue interreligieux le plus profond est “toujours un dialogue de salut, parce qu’il cherche à découvrir, à clarifier et à comprendre davantage les signes du dialogue maintenu par Dieu avec l’humanité au long des âges.” Ce message est la Bonne Nouvelle pour notre temps. L’Église est appelée à garder en mémoire que cela est exactement sa mission : Apporter la Bonne Nouvelle au monde en le contactant comme un humble semeur de l’amour de Jésus Christ, le Sauveur. Pendant mon séjour d’un an au Caire, quand je conseillais vivement aux croyants de rester fidèles à l’Évangile, certains exprimèrent leur amertume et leurs ressentiments envers les musulmans et, en particulier, les salafistes. Comme je continuais à insister disant que nous sommes appelés à rester fidèles au Christ qui donna sa vie pour tous, leur colère s’exaspéra : “Comment pouvons-nous les aimer alors qu’ils nous haïssent, nous humilient, nous tuent, nous poussent à quitter le pays ?é” Je n’ai rien dit à ce moment-là, mais je crois fermement que la réponse est ceci : “Ce que tu témoignes par la foi te fortifiera pour une relation plus profonde et davantage spirituelle avec les musulmans, te conduisant à découvrir, à accepter et à partager les bénédictions de Dieu avec eux.” (Jean-Paul II, dans : “Forme des communautés qui manifestent le Christ”). C’est ce qui gît caché entre la croix et le croissant.

 

Sawadogo Mamadou Adrien

 


Tiré du Petit Echo N° 1043 2013/7