Trois fédérations revoient la « charte » de l’islam, après leur refus de la signer
Analyse
Trois fédérations du Conseil français du culte musulman (CFCM), dont deux sont liées à la Turquie et une au mouvement piétiste Tabligh, sont revenues en détail, lundi 1er février, sur leur refus de signer la « charte des principes pour l’islam de France » validée par l’Élysée le 18 janvier.
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Deux semaines après avoir refusé de signer la « charte des principes pour l’islam de France », pourtant saluée comme un « acte fondateur » par l’Élysée le 18 janvier, trois fédérations musulmanes ont exposé dans un communiqué, lundi 1er février, leurs « observations et réserves » sur le contenu de ce texte composé de dix articles, qui affirme notamment la liberté de conscience et l’égalité entre les femmes et les hommes.
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Il s’agit de deux fédérations liées à la Turquie – le Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF) et Milli Görüs (CIMG) – et de Foi et pratique, la branche française du mouvement piétiste Tabligh, né en Inde. En tout, huit fédérations du Conseil français du culte musulman (CFCM) sont concernées par le projet – la neuvième, la Grande mosquée de la Réunion, s’étant déjà mise en retrait en raison de ses spécificités.
« Esprit constructif »
Déplorant la « signature précipitée » de cette charte – comme, du reste, de nombreux imams indépendants déplorant l’absence de consultation de la « base » musulmane –, les trois fédérations récalcitrantes assurent toutefois rester « ouvertes au dialogue dans un esprit constructif ». Leurs remarques ont été adressées au président du CFCM Mohammed Moussaoui dans le but d’« améliorer la charte afin qu’elle puisse être reconnue et adoptée par tous ».
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« Nous restons convaincus que la mise en place du conseil national des imams (CNI), chargé d’agréer les imams de France, est une nécessité et sera bénéfique pour les musulmans », précisent-elles en préambule. La création de cette instance, annoncée mi-novembre et qui devait s’accompagner de la publication rapide d’une « charte républicaine », butte depuis plus de deux mois sur des divisions internes au culte musulman.
Dans un document de dix pages - aussi long que la charte elle-même -, les trois fédérations détaillent point par point leurs désaccords avec les formulations retenues. Le titre même de la charte leur pose problème, puisqu’elles récusent l’expression d’« islam de France » : « Il n’y a qu’une seule croyance islamique acceptée par les musulmans à travers le monde », affirme leur communiqué. Ce débat, vieux d’une trentaine d’années, continue de diviser les Français musulmans.
Liberté de conscience
L’article 3 de la charte, intitulé « La Liberté », est sous doute l’un des plus audacieux, puisqu’il engage les signataires à « ne pas criminaliser un renoncement à l’islam, ni à le qualifier d’apostasie (ridda) » - ce qui n’avait encore jamais été énoncé avec tant de clarté dans les textes antérieurs équivalents (signés en 1994 et en 2000).
Les deux fédérations proches de la Turquie ainsi que Foi et pratique jugent toutefois cette mention inutile, dans la mesure où la liberté de conscience est déjà « garantie par le droit international ». « D’un point de vue institutionnel, l’adhésion ou la résiliation à une association musulmane œuvrant dans le cadre du droit français sont réglementées par le droit des associations et répondent à des choix personnels », ajoutent-elles.
Quant à la condamnation du « prosélytisme abusif oppressant les consciences », mentionnée au même article, cela pourrait limiter « l’expression des musulmans dans ce qu’ils considèrent juste, bon et convenable selon leur croyance », estiment ces fédérations. Issue du mouvement piétiste Tabligh, Foi et pratique est communément considérée comme prosélyte.
Islam politique, une expression « ambiguë »
Il ne fait guère de doute que le refus de ces trois fédérations de signer la charte porte sur deux points particulièrement sensibles, figurant à l’article 6 : le rejet des ingérences étrangères et de ce qui y est qualifié d’« islam politique ». Le Tabligh est en effet explicitement cité dans la charte parmi les courants en faisant partie (avec le salafisme et les Frères musulmans). Quant aux deux fédérations liées à la Turquie, bien plus influentes au sein du CFCM, elles sont soupçonnées de constituer un instrument diplomatique pour Ankara sur le sol européen.
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Dans leur communiqué, ces trois fédérations jugent par trop « vague et ambiguë » la définition de l’islam politique telle que la propose la charte, craignant que cela « restreigne » l’accès des musulmans au débat social ou politique, voire « criminalise » leurs opinions. À la place de cette expression controversée, ces fédérations proposent donc de parler d’« extrémistes abusant de la religion contre l’ordre constitutionnel ».
L’homosexualité, « un péché »
Enfin, la mention de l’homosexualité dans une charte écrite et adoptée par des fédérations islamiques « contredit les principes de la foi musulmane », soutient le communiqué. L’article 5 de la charte rejette en effet « toute discrimination fondée sur la religion, le sexe, l’orientation
sexuelle, l’appartenance ethnique, l’état de santé ou le handicap ».
Or, insistent ces fédérations, l’islam considère l’homosexualité comme un péché. Si cela peut sembler « discriminatoire » aux yeux de certains, le communiqué assure que « cela ne leur donne pas le droit de s’immiscer dans les affaires internes » de cette religion.
Ce débat brûlant n’est pas sans rappeler la polémique provoquée par Gérald Darmanin qui affirmait sur France Inter, ce même 1er février, que « la loi de la République est supérieure à la loi de Dieu ». Le ministre de l’intérieur a du reste prévenu ces trois fédérations qu’il allait « particulièrement regarder ce qu’il va se passer dans les lieux de culte qu’elles gèrent » et qu’il n’aurait « pas la main qui tremble » si des actions contraires aux valeurs de la République y sont détectées.