Race et racisme, la recherche en ébullition

Critique 

De nombreux ouvrages, issus de différentes disciplines, se penchent sur la question raciale. Économie psychique, phénomène sociologique, ou encore logique identitaire, elle suscite de vifs débats.

  • Béatrice Bouniol, 

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Race et racisme, la recherche en ébullition
 
À Toulouse (Haute-Garonne), le 10 juin 2020, lors d’une manifestation contre le racisme et les violences policières, à la suite de la mort aux États-Unis de George Floyd.CÉDRIC JANIS/HANS LUCAS

« Le racisme a bien de l’avenir. » Cette phrase, prononcée par Lacan au début des années 1970, les psychanalystes Livio Boni et Sophie Mendelsohn la reprennent en exergue de leur ouvrage. Ces mots accompagnent tout aussi bien l’ensemble des publications qui, ces derniers temps, se succèdent sur la question raciale. Certaines provoquent de vives polémiques, témoignant d’un climat passionnel au sein de la recherche. D’autres s’attachent à décrire les discriminations et leurs effets, établissant la réalité, sociale et intime, du racisme.

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Entre la psychanalyse française et le racisme, la rencontre fut pourtant tardive, notent d’emblée les auteurs, surpris par la manière dont celle-ci « semble avoir esquivé la question raciale, et la question coloniale dont elle était inséparable ». Ils en trouvent néanmoins trace dans l’œuvre méconnue d’Octave Mannoni, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, tentant de sonder le psychisme de l’homme colonial. Puis dans celle de Frantz Fanon, envisageant la colonie comme un espace où « l’on est toujours aux prises avec l’interpellation raciste qui fait de soi non un semblable, un alter, mais un étranger, un alien ».

Malaise contemporain

Surtout, les deux psychanalystes s’efforcent de mesurer cet « empire du démenti », consistant à croire qu’une formule universaliste du type « les races n’existent pas » suffit à gommer cette expérience, celle d’un monde structuré selon des partages raciaux. « Ce qui n’a pas été oublié mais rendu invisible par effacement, démenti donc, ne peut pas être remémoré, mais doit être reconstruit et réhabilité – et cela suppose qu’y soient impliquées les deux parties en présence. » À défaut, préviennent les auteurs, le racisme resurgit de toutes parts, du côté des minorités comme de la majorité « blanche » qui se dit à son tour discriminée. Et demeure au cœur du malaise contemporain.

Ce sont ces manifestations que traquent les sciences sociales, notamment par le travail sur le terrain. Comme cette enquête collective, conduite par une équipe de sociologues entre 2014 et 2018 dans neuf quartiers populaires. Pour ces chercheurs, il s’agit de documenter les effets sur le cours des vies de cette épreuve de discrimination. « L’ensemble de ces expériences, qui vont de la stigmatisation à la discrimination et à la violence, renvoie au fait d’être construit et perçu comme un autre », écrivent-ils. 220 des 245 enquêtés disent spontanément en avoir été directement victimes ou témoins.

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Ce sont les positionnements induits par cette expérience partagée, faite souvent de brimades et de traitements différenciés par les institutions, qu’éclairent les sociologues. Elles amènent par exemple près d’un tiers des victimes à s’identifier à une communauté définie en termes ethno-raciaux. À composer avec les institutions, comme la police, mais aussi à s’y opposer, pour près des deux tiers. Ou encore à fuir. « Ces épreuves laissent des traces indélébiles sur les subjectivités, conduisant certaines personnes à quitter leur pays pour se prémunir du racisme. »

La place prédominante de la race

« Si la classe continue évidemment à structurer les trajectoires, concluent les auteurs, nier l’incidence de la race dans les destins sociaux constitue une forme de mépris social exercé par les chercheurs en sciences sociales. » D’un tel mépris, l’historien Gérard Noiriel et le sociologue Stéphane Beaud ne peuvent être soupçonnés, tous deux auteurs de travaux reconnus sur l’immigration en France. Dans un livre offensif, ils entendent en revanche questionner la place prédominante de la catégorie « race » dans certains travaux, au détriment d’autres. « Ce qui est essentiel pour le chercheur en sciences sociales, c’est de déconstruire les entités toutes faites, y compris quand elles prennent la forme de la race, pour retrouver les individus réels et les multiples facteurs qui composent leur identité tout en déterminant leurs activités sociales. »

D’où leur inquiétude quant aux « affrontements identitaires », qui leur semblent gagner leur discipline après avoir envahi le monde politique et médiatique, et leur volonté de « défendre l’autonomie de la recherche en sciences sociales ». Une thèse vivement critiquée, en plein débat sur l’islamo-gauchisme à l’université, au terme de laquelle les auteurs affirment la classe sociale comme « facteur déterminant autour duquel s’arriment les autres dimensions de l’identité des personnes ». Donnant le sentiment de commettre l’erreur qu’ils veulent éviter aux autres, celle de « croire qu’une seule clé permet d’ouvrir toutes les serrures de la connaissance et que la critique scientifique serait une forme de combat politique ».