Ramadan : « Soukeurou koor », une tradition devenue fardeau pour les Sénégalaises
Reportage
Au Sénégal, la tradition du « soukeurou koor » (ou « sucre de Ramadan ») fait peser une pression psychologique et financière sur les femmes mariées qui l’offrent à leur belle-famille à l’occasion du mois du Ramadan. D’acte de partage, cette coutume se transforme de plus en plus en charge.
Lecture en 3 min.
Pendant le mois de Ramadan, les bonnes actions sont encouragées. Au Sénégal, il est de coutume d’offrir le « Soukeurou Koor » (ou « sucre de Ramadan ») pour aider ses proches. Cette habitude, qui relève de la tradition plus que de la religion, est particulièrement l’affaire des femmes mariées, supposées offrir un panier à leur belle-mère, mais aussi aux belles-sœurs et au beau-père.
Un budget conséquent
À l’origine, le panier était composé d’aliments pour rompre le jeûne : sucre, lait, café, dattes, d’où son nom. Mais il est devenu ces dernières années beaucoup plus onéreux. Riches tissus, vaisselle, bijoux en or, parfum ou même enveloppes d’argent, le prix des paniers varie désormais entre 10 000 et 1 millions de FCFA (entre 15 et 1 525 €) pour les ménages les plus riches. « La nouvelle génération est très matérialiste, on est dans la surenchère », déplore Fatou Diop, mère de famille.
→ CONTEXTE. Un nouveau Ramadan confiné s’ouvre pour les musulmans
Basée dans le quartier dakarois des Maristes, Rokhaya Kamara confectionne depuis trois ans des paniers soukeurou koor pour une clientèle haut-de-gamme. « J’ai fait venir des coffrets de Turquie et des produits de Dubaï pour proposer des produits originaux. Le business autour du soukeurou koor se développe car il y a une tendance aux cadeaux plus modernes et chics », détaille-t-elle en montrant les chapelets, parfum et djellabas qu’elle vend en ligne.
Pression et moqueries
Pour certaines, pouvoir offrir ces cadeaux est une fierté. Mais pour d’autres, ces sommes conséquentes sont surtout sources de stress. « Je fais des économies toute l’année et ma famille m’aide aussi », raconte Dieynaba, sage-femme de 32 ans à Malika (banlieue de Dakar). « Mais une fois, j’ai pris dans l’argent que mon mari m’avait donné pour ma formation d’infirmière. La pression est trop importante sur les femmes mariées : on préfère se priver pour avoir la paix. Certaines font même des prêts bancaires. » Sa décision a irrité son mari qui, comme beaucoup d’hommes, juge cette pratique superficielle et n’y participe pas. « Le panier c’est aussi un moyen de gagner l’affection de mes belles-sœurs qui ne voulaient pas que j’épouse leur frère », reconnait-elle. La coutume est, dans certains cas, devenue une affaire sociale, un moyen de gagner l’estime de sa belle-famille.
Les belles-mères n’hésitent pas à réclamer leur panier, sous peine de critiquer, voire rejeter, leur belle-fille, voire d’encourager leur fils à prendre une deuxième épouse ou à divorcer. Pour alléger la pression pesant sur sa fille, Fatou Diop, bénévole dans un centre de santé et commerçante à Malika, avait pris l’habitude de « mettre de l’argent de côté via des tontines », ces systèmes d’épargne communautaire.
« Mais l’année dernière, avec le Covid-19 et l’absence de rentrées d’agent, je n’ai rien pu lui donner, se désole-t-elle. Ma fille a été critiquée, on lui a dit que j’étais avare. Ses belles-sœurs se moquent d’elle : elles ne savent pas tous les efforts que je fais. » Fatou craint qu’à terme son gendre ne prenne une deuxième femme. Dans un pays où la polygamie est courante, la concurrence entre coépouses mais aussi belles-filles est rude.
Le poids des coutumes
Les difficultés économiques dues à la pandémie accroissent encore le fardeau de nombreuses Sénégalaises. Parmi les plus modestes, certaines ne donneront pas cette année, ou seulement un peu d’argent.
→ REPORTAGE. À Villeurbanne, un Ramadan solidaire contre l’isolement et la précarité
Si la pratique est très ancrée, une partie des femmes refuse désormais de s’en acquitter, avec le souci de ne pas accentuer les différences entre elles. Dans la tradition musulmane, « tu ne dois pas imposer à celui qui ne peut pas », rappellent-elles. « Je préfère donner aux pauvres de la nourriture que le donner à ma belle-famille qui n’en a pas besoin », tranche ainsi Aïcha. « Cette pratique n’est pas inscrite dans la religion, mais malheureusement ici on est dominé par les traditions et les coutumes. »