Carême chrétien et jeûne musulman



INTRODUCTION :


Les chrétiens de l’Eglise catholique du monde entier commencent le carême ces jours-ci et on entend des musulmans qui eux aussi parlent de leur « carême » lors du Ramadan. Dans le cadre du dialogue islamo-chrétien, nous pourrions nous éclairer mutuellement sur nos pratiques mutuelles.


  1. Qu’est-ce que veut dire « faire carême » pour un chrétien catholique ?

  2. Qu’est-ce que veut dire « faire Ramadan » pour un musulman ?

  3. Avons-nous des choses en commun à nous partager pour nous enrichir les uns les autres ?

  4. Et quelles sont nos différences dans nos démarches de foi, dans nos différentes communautés chrétiennes et musulmanes ?

1- Le carême chrétien : pour un chrétien catholique, qu’est-ce que « faire carême » veut dire ?


Que ce soi pour nos frères Orthodoxes, pour nous chrétiens catholiques et pour les Eglises protestantes traditionnelles, le carême est un temps de préparation à la fête de Pâques. Nous nous préparons à cet évènement de Jésus Christ qui fait sa Pâque, qui passe de sa passion et de sa mort à sa résurrection.


Dans la Bible, dans la première alliance de Dieu avec le peuple d’Israël, les Hébreux, le mot carême rappelle les 40 ans où le peuple Hébreu a été mis à l’épreuve dans le désert après avoir fait le passage : la Pâque de l’Egypte où il était esclave à la liberté offerte par Dieu.


Les Hébreux ont traversé « la mer rouge » pour apprendre à vivre avec Dieu, le Dieu qui leur a donné ses commandements par Moise.


Durant le carême chrétien, le peuple chrétien va vivre 40 jours d’épreuves pour se préparer à la vie nouvelle que le Christ Jésus nous offre à la fête de Pâques.


C’est souvent le temps de préparation plus immédiate de ceux qui demandent le baptême et qui recevront la vie nouvelle du Christ ressuscité la nuit de Pâques, le Christ désormais vivant après avoir connu la passion et sa mort (c’est le sens même de Pâques où nous fêtons Jésus ressuscité).


Ce ne sont pas seulement les catéchumènes, mais aussi tous les chrétiens qui vont renouveler leur promesse de baptême le soir de Pâques. Le temps de carême est d’abord et avant tout cette tension, cette marche vers la fête de Pâques.


Le mot « CAREME » veut dire « quarantaine » ; c’est-à-dire que le temps qui va du mercredi des Cendres au dimanche de Pâques. En enlevant les 6 dimanches, cela fait 40 jours (le dimanche n’est pas compté comme jour de carême parce que chaque dimanche, c’est déjà la résurrection de Jésus que nous vivons.)


Une remarque : Les musulmans qui appellent leur Ramadan « carême musulman » n’ont pas le terme exact puisque le jeûne du Ramadan s’étend lui sur 29 ou 30 jours, selon l’année lumière. Pour nous chrétiens, les 40 jours de carême rappellent les 40 jours de jeûne de Jésus dont parlent les Evangiles synoptiques (Lc 4, 1-2 ; Mt 4, 1-2 ; Mc 1, 12-13).

« Jésus, rempli de l’Esprit Saint, revient du Jourdain, et l’Esprit Saint le conduit au désert. Là, pendant 40 jours, l’esprit du mal tente Jésus. Celui-ci ne mange rien (il jeûne) pendant ces jours là et il a faim »


Pendant les 40 jours du carême chrétien, toute l’Eglise fait un temps fort de prière et de pénitence pour vivre cette montée vers Pâques où tous les chrétiens sont invités à renouveler leur foi de baptisés. C'est comme une grande retraite annuelle de toute l'Eglise et de chaque chrétien en particulier.


Quels sont les accents de cette préparation à Pâques ?


1-Un temps de prière.


On se tourne davantage vers Dieu dans la vie de chaque jour. Les chrétiens se rapprochent de Dieu dans le repentir, la louange, l’action de grâce, la demande, à travers toutes les formes de prière.

Le temps du carême est une invitation la prière personnelle et à la lecture de la Parole de Dieu. Les textes liturgiques du carême sont très beaux : ils appellent chacun à changer son cœur, à se tourner vers Dieu.


Invitation à la prière en famille. Tant que ses membres ne prient pas en famille, il sera difficile à une famille de vivre vraiment selon l’Evangile.


Invitation à nos Communautés chrétiennes à participer aux prières proposées pour le carême : bien sûr la messe du dimanche, mais aussi pour nous catholiques, les chemins de croix communautaires du vendredi, la célébration de la Semaine Sainte.


2- Un temps de pénitence


Durant le carême chrétien, il nous est proposé une démarche de repentance de nos refus, de nos péchés envers Dieu et notre prochain. Chacun est invité à se détourner du péché, à réparer ses fautes. C’est un temps de retournement intérieur, de conversion. Et il y a des signes extérieurs qui sont demandés, qui entraînent les chrétiens à la pénitence et la traduisent dans des gestes :


  • abstinence du vendredi de carême ; ici au Burkina, pas de viande ni de dolo ou tout autre alcool.

  • deux jeûnes obligatoires : Mercredi des Cendres et Vendredi Saint.


A ce propos, nous n’avons pas à copier les musulmans dans le jeûne ; il s’agit davantage pour le chrétien de diminuer sa nourriture, de faire sauter un repas dans la journée, le matin, à midi, le soir, peu importe, mais surtout de penser à faire quelque chose et de savoir que ce qu’il n’a pas dépensé, il doit le donner aux plus pauvres.


Soyons inventifs dans l’esprit de pénitence en posant des gestes plus personnels ; cela peut être par rapport à la cigarette, à la télévision, au Cinéma, etc.


Les musulmans avertis ont l’habitude de dire que ce n’est pas seulement ton corps, la bouche, qui doit jeûner, mais aussi ton esprit, ta langue, ton cœur. Ils ont raison et ils nous rejoignent en cela !


3- Un temps de partage


Parmi les gestes de partage, l'aumône tient une place spéciale au cours du carême ; elle ouvre à l’amour des autres dans un partage fraternel.


C’est aussi ce sens de l’aumône que nous donne l’OCADES le dimanche de l’OCADES pour un partage : des pauvres qui partagent avec des plus pauvres dans la dignité. Le carême est aussi un temps fort d’engagement pour la suppression de la pauvreté à travers des gestes concrets communs en faveur de plus de justice sociale, de plus d’honnêteté et de recherche de Dieu. En un mot, notre lutte contre la magouille, la corruption se fait plus pressante à tous les niveaux :

  • des fonctionnaires

  • des policiers

  • des politiques

  • Mais aussi de ceux qui demandent à ceux-là des privilèges…


Le carême est aussi le temps où Eglise essaie d’une façon spéciale d’éduquer et d’élargir le regard des chrétiens. Elle propose que notre partage déborde la dimension personnelle pour entrer dans une dimension collective. L’aide de certains organismes européens vient des campagnes de carême, mais souvent aussi de gens simples qui prennent sur leur nécessaire pour en aider d’autres.


En résumé, pour les chrétiens que nous sommes, le carême est ce temps de montée vers Pâques à la suite du Christ qui nous fait marcher sur ses pas. L’insistance porte sur la conversion intérieure, un retour à Dieu, et le partage.



2- Qu’est-ce que « faire Ramadan » veut dire pour un musulman ?


Pour un musulman, le jeûne du Ramadan est une pratique commandée par le Coran (Sourate 2, 183, 187).

« O vous qui croyez, le jeûne vous a été prescrit comme il a été prescrit à ceux qui furent avant vous. Peut-être ferez-vous œuvre de piété. »


Quelques précisions :


  • L’Islam connaît différentes formes de jeûnes, volontaires ou prescrits occasionnellement, dont la plus importante et la seule prescription pour tous est le Ramadan.

  • Ramadan est le nom donné au neuvième mois de l’année lumière musulmane ; le jeûne de ce mois en porte donc le nom. Cette période dure de 29 à 30 jours ; elle commence à la vue de la nouvelle lune de Ramadan et finit à la vue de la nouvelle lune du mois suivant, le mois de Chawwal.

  • « Jeûne » se dit en arabe "Siyyam ou Sawm", mot qui a comme racine « s’abstenir ».

  • Le Coran a été révélé durant le mois du Ramadan (S. 2, 185) : c’est l’évènement essentiel de ce mois.

V. 185 : « Le mois du jeûne est le mois du Ramadan dans lequel on a fait descendre la Révélation comme Direction pour les hommes et preuves de la direction et la salvation… Magnifiez Allah par gratitude qu’il vous a dirigés ! Peut-être serez-vous reconnaissants. »
La nuit de la révélation s’appelle aussi la nuit du destin (Laylat al qadr) : les musulmans la vivent dans les derniers jours du Ramadan ; souvent, au Burkina Faso, elle a lieu le 27e jour.


Faire Ramadan (ne disons pas faire Carême), cela veut dire : un jeûne pendant tout un mois, le mois lunaire du Ramadan. On s’abstient de manger, de boire, de fumer ainsi que de tout plaisir sexuel. Le premier repas ne se prend qu’après le coucher du soleil. Pendant la nuit, on peut manger, boire etc., jusqu’à l’aube. Ce jeûne dure jusqu’à la nouvelle lune, soit 29 ou 30 jours.


Le mois du Ramadan se termine par une joyeuse fête, la plus marquante de l’année musulmane avec celle du Mouton : on l’appelle la « Petite fête » Aïd el Fit. Les femmes préparent de la bonne nourriture, on se rend visite, on échange des cadeaux. Ce jour-là, les enfants sont spécialement gâtés, on s’habille avec des habits neufs, et c’est souvent aussi un jour de réconciliation entre personnes ou entre familles.


Le Ramadan n’est pas la préparation d’une fête en souvenir des évènements, c’est une obéissance à s’exercer au jeûne selon ce que demande le Coran (2, 183-187).

Il est bien suivi partout pour monter son attachement à la communauté musulmane.

Jeûner n’est certes pas facile : c’est se priver, et beaucoup y ajoute un sens spirituel ; ce n’est pas seulement le corps qui jeûne, mais aussi l’esprit, le cœur : on laisse les critiques.

C’est une occasion de grande ferveur communautaire et personnelle. C’est un temps où le musulman est assidu à la mosquée, aux enseignements des imams. C’est le temps de la lecture et de la méditation du Coran.


En résumé, quelle est la signification du jeûne musulman ?


Le jeûne est un acte d’obéissance, car il fait partie des cinq obligations du culte musulman.

C’est aussi un acte de reconnaissance : c’est le rappel du bienfait qu’Allah a accordé aux musulmans en faisant descendre le Coran, la nuit de Destin. C’est une preuve de fidélité et d’attachement à la révélation et à la loi.

Le jeûne de Ramadan est un acte de renforcement communautaire : c’est la joie de se retrouver unis par une même observance et une même épreuve.

Il est encore un acte social de solidarité avec les pauvres : quand on a faim, on comprend la faim du pauvre.

C’est un acte de maîtrise de soi face aux excès.

Le jeûne est une purification de l’âme : en jeûnant, on se désinfecte afin de s’épurer des « instincts vifs de convoitise du corps comme du penchant vers des actes répréhensibles ».

C’est enfin un jeûne selon le cœur : Il ne sert à rien de s’abstenir de nourriture et de boisson si on rompt le jeûne par les yeux, les oreilles, la langue. « Dieu ne veut pas du jeûne de celui qui dit des mensonges et déblatère sur les autres » (Hadith).


Le Ramadan est aussi une période de festivités nocturnes. Il y a tout un ensemble de plats, de gâteaux, que l’on partage et que l’on échange. C’est l’occasion de nombreuses visites.


Y a-t-il des convergences entre le jeûne musulman du Ramadan et le carême chrétien ?


Oui certes, la démarche et les efforts pour se convertir à Dieu et au prochain se retrouve aussi bien chez les musulmans que chez les chrétiens.

Dans les deux cas aussi, le carême est un temps fort de conversion où, chacun et ensemble, on s’efforce à la prière, au partage, au sacrifice – privation, même si on le fait de façon différente.


Mais reconnaissons aussi nos différences


Nous l’avons vu, les chrétiens se préparent, pendant les 40 jours du Carême, à la fête de Pâques en essayant de suivre Jésus sur son chemin de souffrance et de résurrection. Ils font cette démarche pour vivre leur vie chrétienne en vérité en se laissant renouveler à travers les efforts qu’ils font. Ce n’est pas le jeûne qui est primordial, c’est l’insistance à la conversion intérieure et le partage.


Pour les musulmans, le Ramadan est d’abord la pratique de ce qui est commandé par le Coran (2, 183-187) : c’est un acte difficile, mais il n’est pas pénitentiel.


Ne nous jugeons pas entre nous, chrétiens et musulmans, en disant : « Parce que tu ne fais pas comme moi, tes façons de faire ne sont pas bonnes ! »


Rappelons-nous le verset du Coran à la Sourate 5. 48 : « Si Dieu l'avait voulu, il aurait fait de vous une seule communauté. Il a voulu vous éprouver par le don qu'il vous a fait… Cherchez à vous surpasser les uns les autres dans les bonnes actions. Votre retour, à tous, se fera vers Dieu : il vous éclairera alors au sujet de vos différences. »


Le chemin vers Dieu, pour les musulmans comme pour les chrétiens, nécessite de régulières reprises en main pour aller plus loin. Les uns et les autres peuvent s'encourager à écouter Dieu pour lui être de plus en plus fidèles.


Entraidons-nous dans nos efforts de conversion pour mieux vivre dans l’amour de Dieu et dans l'amour les uns des autres.


Père Joseph Clochard, Missionnaire d'Afrique,
de l'équipe de formation de la Commission
épiscopale pour le dialogue avec l'islam,
Burkina Faso