Zemmour, l’islam et la laïcité : la vérité n’est pas son projet
Le polémiste et probable candidat à la présidentielle française est parvenu à recouvrir d’un vernis intellectuel son discours sur l’islam et les musulmans. Quitte à faire fi de la rigueur la plus élémentaire… Démonstration.
La « vérité alternative » constitue l’un des ressorts du succès d’Éric Zemmour. Parmi les sujets que le probable candidat à la présidentielle française de 2022 manipule ad nauseam : l’islam. Depuis une dizaine d’années, le polémiste, plusieurs fois condamné pour ses dérapages verbaux, construit un discours extrême à l’égard des musulmans français, accusés dans leur ensemble de déloyauté potentielle vis-à-vis de la France et/ou de la République – Éric Zemmour joue habilement de la confusion. Mû par une approche obsessionnelle du sujet en surfant sur les peurs du grand public, il a fait de la « fausse vérité » l’ADN de son projet politique naissant. JA a passé cinq de ses déclarations au tamis des textes et de l’histoire.
« Tuer les juifs et les chrétiens »
« C’est écrit dans le Coran qu’il faut tuer les juifs et les chrétiens. Mahomet en a égorgé beaucoup. » La citation date du 7 septembre 2016, date de parution de Un quinquennat pour rien. Alors invité d’Yves Calvi sur RTL, Éric Zemmour vient en faire la promotion. La discussion dévie rapidement sur l’objet habituel du scandale, l’islam et la violence dont le texte coranique est porteur, selon lui.
CE QUI EST CONTEXTUEL NE PRÉVAUT PAS SUR CE QUI A UNE PORTÉE GÉNÉRALE », PRÉCISE DAOUD RIFFI
La veille, le 6 septembre, son passage dans C à vous le fera condamner en 2019 pour provocation à la haine raciale. Même si infondée et décontextualisée, l’affirmation d’Éric Zemmour selon laquelle le Coran appellerait à « égorger » juifs et chrétiens frappent l’imaginaire collectif. Mais les faits sont têtus. Il n’y a pas de verset appelant à l’égorgement de ces populations.
Comme le montre l’historien israélien Meir Bar-Asher, dans Les Juifs dans le Coran (éditions Albin Michel), s’il y a bien des versets belliqueux, ils doivent être lus à l’aune de la tradition islamique. Ce qu’Éric Zemmour ignore, semble-t-il, délibérément. Les passages coraniques relatifs à la guerre sont contextuels.
Ils s’appliquent dans un « contexte du temps prophétique, époque où les musulmans sont l’objet de persécutions naissantes de la part de coalitions non musulmanes ou de polythéistes », précise Daoud Riffi, historien et éditeur, spécialiste du salafisme et du soufisme.
Enfin – et c’est fondamental –, les versets doivent être interprétés dans une approche générale « offrant des vérités intemporelles ou des principes, qui ordonnent les bonnes relations intercommunautaires, la diversité religieuse, culturelle et ethnique étant le fruit de la volonté divine », ajoute Daoud Riffi. Enfin, les sciences de l’interprétation des sources scripturaires sont formelles. « Ce qui est contextuel ne prévaut pas sur ce qui a une portée générale », conclut-il.
Source coranique (Sourate 5, verset 48) : « […] Si Dieu l’avait voulu Il aurait fait de vous une seule communauté. Mais afin de vous éprouver par ce qu’Il vous a donné, Il vous a faits ce que vous êtes. Cherchez à vous surpasser les uns les autres dans les bonnes actions. À Dieu vous retournerez tous. Et Il vous éclairera, alors, au sujet de vos différends. »
L’islam et les libertés
« L’islam n’est pas compatible avec la France. » C’est ce que déclare Éric Zemmour face à Jean-Luc Mélenchon, lors d’un débat sur BFM TV, le 23 septembre. En France, l’absence de religion d’État permet, grâce à la laïcité, à tous les citoyens de vivre leur foi et leur culte, librement. L’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 est limpide sur la séparation de l’Église et de l’État, ainsi que sur la liberté de conscience.
Essayons tout de même d’aller dans le sens d’Éric Zemmour. Comme l’établit Daoud Riffi, « si l’on prend le mot France dans le sens d’une culture culture judéo-chrétienne – même si l’expression est gênante pour un historien –, l’islam est compatible avec elle. Les fondements théologiques et éthiques des trois grands monothéismes sont similaires. » Dans la sourate 5, verset 48, il est d’ailleurs écrit : « Nous t’avons révélé le Coran, expression de la pure Vérité, qui est venu confirmer les Écritures antérieures. »
ÉRIC ZEMMOUR SE LIVRE À UNE SURINTERPRÉTATION ÉTROITE DU TEXTE CORANIQUE
Prise au sens de « pays non-musulman sécularisé », la France décrite par Éric Zemmour reste, également, compatible avec l’islam. Selon Daoud Riffi, les oulémas sont clairs sur le sujet. « La charia [loi canonique de l’islam] a cinq finalités, cinq principes au-dessus de tout : la préservation de la religion, de la vie, de la raison, de la progéniture et des biens matériels. » Les fondements du texte coranique reposent, pour l’historien, sur « un État de droit, garantissant les libertés individuelles, croyances comprises ».
Quant aux relations avec les autres religions, essentiellement polythéistes, la question s’est très tôt posée dans l’histoire de l’islam. En 711 en particulier, lorsque le général Muhammad Qassim reçoit des demandes d’hindouistes et de bouddhistes lors de la conquête islamique de l’Asie afin que leurs temples soient restaurés et leurs droits religieux maintenus.
C’est un cas complexe dans la mesure où le Coran ne parle pas de ces communautés absentes d’Arabie, sans compter que leur religiosité portent tous les traits du polythéisme. Jugement des juristes et du gouverneur Al-Hajjaj Ibn Yusuf (661-714) : leur requête « est juste et raisonnable […]. Puisqu’ils sont devenus dhimmis, nous n’avons aucun droit que ce soit de nous immiscer dans leurs vies et leurs possessions. Autorisez-les à suivre leur religion. Personne ne devrait les en empêcher ». Qassim précise : « Nous traiterons les temples […] comme s’ils étaient les églises des chrétiens, les synagogues des juifs, les temples du feu des mages [les zoroastriens, NDLR]. »
« Le jihad partout, pour tous et par tous »
« Il y a une continuité entre les vols, viols, trafics, jusqu’aux attentats de 2015, en passant par les innombrables attaques au couteau. Ce sont les mêmes qui les commettent passant sans difficulté de l’un à l’autre pour punir les kouffar [les infidèles, NDLR]. C’est le jihad partout, pour tous et par tous. » Cette phrase est extraite du discours d’Éric Zemmour durant la convention de la droite, organisée autour de Marion Maréchal, le 28 septembre 2019.
Diffusé en direct sur LCI, cette féroce diatribe du polémiste a engendré plus de 400 saisines auprès du CSA. En septembre 2020, Éric Zemmour sera condamné à verser 10 000 euros d’amende pour injure et provocation à la haine raciale. Outre ses attaques contre les immigrés et sa comparaison de l’islam avec le nazisme, le polémiste enfile alors les perles sous les applaudissements d’une salle conquise.
Pour Kahina Bahloul, imame française, qui défend un islam réformateur, les propos d’Éric Zemmour relèvent d’une vision fantasmée des musulmans. « Prétendre que seuls les musulmans commettent des actes de délinquance » soulève une autre question : « Si l’on impute la délinquance à l’islam, alors à quoi est-elle due quand il s’agit d’autres profils ? » Plus factuellement, « il n’y a aucun verset ni tradition islamique qui indique qu’il faudrait voler, violer ou tuer… les kouffar », insiste Kahina Bahloul.
« S’il n’a pas contrevenu à la loi d’Allah »
« Qui sauve un homme sauve tous les hommes, s’il n’a pas contrevenu à la loi d’Allah, s’il n’a pas offensé Allah. » Prononcée lors d’un débat au palais des Congrès avec Michel Onfray, le 4 octobre, la phrase d’Éric Zemmour tente de contrer l’argument fondé sur le verset 5 de la sourate 32, La Table servie : « C’est pour cette raison que nous avons prescrit aux enfants d’Israël : “Celui qui aura tué un homme sans que celui-ci ait commis un meurtre ou ait semé la corruption sur la terre, sera regardé comme s’il avait tué l’humanité tout entière. Et celui qui aura sauvé la vie d’un homme sera regardé comme ayant sauvé tous les hommes. »
Éric Zemmour se livre donc en l’espèce à une surinterprétation étroite du texte coranique, en considérant que la prescription divine est valable sous la seule condition de l’appartenance à la communauté musulmane, ce que rien ne permet d’affirmer. Comme le rappelle Daoud Riffi, « ce verset est en phase avec l’un des grands principes de la Torah et s’inscrit dans les lois antérieures au Coran ».
Zemmour n’a pas lu Buisson
Sur le voile, Éric Zemmour est toujours très prolixe. Dans l’émission Face à la rue (Cnews), le probable futur candidat échange avec Rachida Boukris, une femme portant le voile, sous un porche d’immeuble à Drancy (Seine-Saint-Denis). « La laïcité, ça veut dire le devoir de discrétion. Le vêtement est éminemment politique. […] L’islam ne repose pas uniquement sur la foi. Il y a des injonctions très précises qui avant tout relèvent du contrôle social », explique le polémiste, alors que la dame ôte son voile et Éric Zemmour, sa cravate.
LE POLÉMISTE, POURTANT PEU AVARE DE RÉFÉRENCES INTELLECTUELLES, N’A MANIFESTEMENT PAS LU FERDINAND BUISSON
Le dialogue donne alors lieu à une leçon mêlant laïcité et identité vestimentaire. Kahina Bahloul, si elle appelle à étudier les textes de l’islam « de façon objective et scientifique pour montrer que le voile n’est pas obligatoire », dénonce « ce sempiternel amalgame entre l’islam et son instrumentalisation politique ». Loin de considérer la diversité des positions sur cette question – l’obligation du voilement des femmes –, Éric Zemmour adopte une approche monolithique et univoque des textes qui n’a rien à envier à celle des courants les plus rigoristes.
De son côté, et sur la question du sens de la laïcité, Daoud Riffi s’en réfère à « Ferdinand Buisson, père de la laïcité française, et à son Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, destiné aux hussards noirs de la République ». Loin de vider l’espace public du fait religieux, l’ouvrage – majeur – de Ferdinand Buisson rétablit quelques principes noyés dans la tempête médiatique autour de la laïcité. Cet outil visait à former les instituteurs afin qu’ils fassent de chaque Français un républicain. Plusieurs articles reviennent sur la nécessité du respect de la confession de chacun. Le polémiste, pourtant peu avare de références intellectuelles, ne les a manifestement pas lus…