Religion Traditionnelle Africaine (RTA),
un des défis pour le christianisme aujourd’hui en Afrique

Le Père Emmanuel NgonaDécrite très longtemps d’une manière négative (fétichisme, animisme, sorcellerie, paganisme, idolâtrie, vitalisme), la religion traditionnelle est encore active dans plusieurs régions d’Afrique. Même là où la RTA semble avoir disparu, les croyances traditionnelles continuent à déterminer l’agir d’un grand nombre d’Africains et d’Africaines convertis aux religions dites révélées. La RTA survit en Afrique par le biais du syncrétisme avec l’islam ou le christianisme, soit dans certaines zones où elle résiste, soit au cœur de l’insécurité ontologique qui développe la duplicité culturelle : il s’agit de tous ces Africains et Africaines qui ont perdu leur sécurité traditionnelle en se tournant vers les deux grandes religions dites révélées. Ainsi, la RTA exerce une grande influence, dans les villes comme dans les campagnes, sur des Africains qui sont considérés à tort ou à raison comme “naturellement religieux”. Ne croyez pas que la religion traditionnelle est seulement l’affaire des analphabètes des villages. Elle attire de plus en plus de professeurs d’université, de médecins, de politiciens, d’avocats, de scientifiques, et même de personnes consacrées…

Heureusement que le Concile Vatican II a contribué à poser un regard neuf (Nostra Aetate no 2) sur la RTA en exhortant “ses fils pour que, avec prudence et charité, par le dialogue et par la collaboration avec les adeptes d’autres religions, et tout en témoignant de la foi et de la vie chrétiennes, ils reconnaissent, préservent et fassent progresser les valeurs spirituelles, morales et socioculturelles qui se trouvent en eux”. C’est ce qui a permis de commencer un dialogue avec les religions en général et la RTA en particulier. Ici, il convient de se redire que les croyances diverses d’une culture donnée font partie du noyau dur de la RTA et assurent sa conservation dans le temps et l’espace. Elle peut assimiler certains éléments extérieurs et les transformer tout en restant elle-même. Ceci explique sa permanence. C’est pourquoi les nouveaux mouvements religieux combinent la tradition africaine et la modernité pour proposer des réponses à l’insécurité, à la violence et ainsi aux pertes de repères de l’homme africain resté incurablement religieux.

Comme l’affirme très fort le Professeur Gérard Buakasa Tulu, dans son livre “Réinventer l’Afrique”, p. 157 : “Aujourd’hui, la religion traditionnelle africaine n’existe nulle part, mais elle est partout dans les consciences, dans les opérations spirituelles ou empiriques, dans les représentations, dans les attitudes, dans les gestes, dans les proverbes, dans les légendes, dans les mythes, etc. Elle est partout, à la campagne comme en ville, dans les procès judiciaires comme dans les conventions politiques.” C’est pourquoi, il n’est pas rare de voir un Africain chrétien prier le matin à la messe, consulter un marabout au milieu du jour et être chez le devin à la fin de sa journée. Un évêque africain résumait bien cela à travers une image forte : “Un chrétien africain est comme un crapaud qui a un pied dans l’eau et un autre sur la terre. Quand cela ne va pas bien dans l’eau, il saute sur la terre et quand cette dernière devient menaçante, il saute dans l’eau”. L’écrivain congolais Valentin Y. Mudimbe décrit bien ce phénomène dans son livre “Entre les eaux”. Cette interrogation se trouve déjà dans ce manifeste théologique de 1956 : “Des prêtres noirs s’interrogent”. Cette œuvre commune des 13 prêtres noirs posait des questions qui continuent à tourmenter l’âme de l’Africain devenu chrétien : comment être Africain et chrétien aujourd’hui ?

Le deuxième Synode africain, au paragraphe 93, a fait une déclaration forte sur la RTA que nous devons prendre au sérieux là où nous travaillons en Afrique : “S’appuyant sur les religions traditionnelles, la sorcellerie connaît actuellement une certaine recrudescence. Des peurs renaissent et créent des liens de sujétion paralysants. Les préoccupations concernant la santé, le bien-être, les enfants, le climat, la protection contre les esprits mauvais, conduisent de temps à autre à recourir à des pratiques des religions traditionnelles africaines qui sont en désaccord avec l’enseignement chrétien. Le problème de la double appartenance au christianisme et aux religions traditionnelles africaines demeure un défi.”

Alors, que devons-nous faire dans le cadre de la nouvelle évangélisation pour prendre en contre-pied ce phénomène de la survie de la RTA ? Certes, il faut rendre hommage à tous ces confrères qui ont essayé de comprendre les valeurs positives de la RTA, comme des pierres d’attentes destinées à s’accomplir dans le christianisme.
Mais aujourd’hui, nous sommes invités à aller plus loin dans notre approche pastorale. Le Chapitre de 2010 (AC p. 31) nous donnait une direction : “La pratique répandue de la Religion Traditionnelle Africaine dans certaines parties de l’Afrique, son influence dans la vie de nombreuses personnes et le regain d’intérêt pour certaines de ses manifestations sont autant d’indices qui nous encouragent à une rencontre empreinte de plus de respect pour ces personnes et pour ce qu’elles vivent”. Aujourd’hui, la période du mépris de la culture africaine est remplacée par la période de sa reconnaissance et de son respect. Ainsi, nous sommes appelés à faire un pas de plus dans le cadre de la “nouvelle évangélisation” en faisant de l’inculturation une nécessité absolue et une priorité des priorités si nous voulons que Jésus Christ soit chez lui en Afrique. L’inculturation étant comme l’enracinement du message évangélique dans la culture d’un peuple, ceci nous demande d’investir, là où nous sommes missionnaires, dans la connaissance de la culture et de l’histoire, des traditions, des croyances, etc.

Ce numéro du Petit Écho nous suggère quelques expériences de rencontre avec la RTA pour nous aider à aller plus loin, à partir de là où nous sommes. Deux questions doivent toujours être présentes dans notre esprit : Qu’est ce qui a changé dans la culture là où je suis, et pourquoi ? Ensuite, qu’est-ce qui n’a pas changé, et pourquoi ? Ces interrogations fondamentales nous permettent d’identifier les mutations et les permanences dans une culture en vue d’un travail d’inculturation profonde. Nous sommes fortement invités aujourd’hui à un dialogue respectueux de la RTA en vue d’un enrichissement spirituel et humain réciproque.

Emmanuel Ngona