Guerre des rites et fin du catholicisme

Chronique

La liturgie, dans un monde déchristianisé mais qui a soif de transcendance, est un instrument précieux pour toucher les gens. Mais la volonté des « tradi » de continuer à célébrer dans leur rite manifeste de la dérive individualiste d’une société où célébrer « ensemble » devient impossible.

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  • Isabelle de Gaulmyn, 
Guerre des rites et fin du catholicisme
 
Isabelle de Gaulmyn.BRUNO LEVY

Après la décision du pape François de restreindre l’usage de la liturgie tridentine, c’est-à-dire préconciliaire, l’Église est devenue un champ de bataille entre chapelles différentes, les « tradis » invectivant les « gauchistes ». Et inversement. Ce n’est pas la première fois, le rite est traditionnellement en France une pierre de division, depuis le schisme intégriste lefebvriste. Mais la violence toujours renouvelée des oppositions est assez ahurissante. Et que doivent y comprendre nos contemporains extérieurs à l’Église ? Sans doute rien. Au mieux, ils considèrent cela comme une tradition exotique, une sorte de petit village gaulois qui s’accroche à des querelles incompréhensibles. Si on voulait mettre définitivement l’Église catholique hors du monde, on ne s’y prendrait pas autrement.

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Dommage, car c’est précisément à cela que devrait servir la liturgie : parler de la foi au monde. Et non à nous étriper. La liturgie, c’est un langage. Une manière de célébrer dans laquelle chacun doit pouvoir entrer, y compris et surtout les non-croyants. Il est vrai qu’on a souvent bâclé la liturgie en France. Trop longtemps on a pensé qu’elle était secondaire pour la religion, car trop loin du quotidien des croyants. On s’est de ce fait accoutumé à des célébrations dominicales moches, sans souffle, et au total terriblement ennuyeuses.

C’est une erreur. La religion sans liturgie réduit l’Église à une ONG humanitaire. Surtout au XXIe siècle. La liturgie, dans un monde déchristianisé mais qui a soif de transcendance, est un instrument précieux pour toucher les gens. Bien plus que tous les discours moraux ou politiques d’une institution ecclésiale totalement décrédibilisée, comme le sont toutes les institutions. La liturgie de la messe offre toutes les composantes pour séduire nos contemporains : on y parle du mystère de la foi à travers la Parole, et pas seulement de valeurs. On y vit quelque chose de beau. Et on le vit ensemble. Une liturgie belle, spirituelle et vécue dans une communion de tous. Le cardinal Lustiger l’avait parfaitement compris, si l’on pense par exemple aux JMJ 1997, à la liturgie baptismale suivie par deux millions de personnes au Parc des Princes. La liturgie devrait être un formidable instrument de transmission de la foi.

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Dans ce cadre, et vu la misère fréquente de nos célébrations dominicales, il n’est guère étonnant que les messes traditionalistes, au rituel soigné, aient pu attirer de nouveaux croyants, comme l’avancent leurs partisans. Sauf qu’ils oublient un élément, essentiel : le « ensemble ». Si l’on a chacun son rite particulier, défini en fonction de ses options politiques ou théologiques, la liturgie devient le moyen de marquer sa différence, et donc d’exclure. Les traditionalistes prétendent que rien ne s’oppose à ce qu’ils célèbrent leur messe dans leur coin, avec leur propre conception, celle du XIXe siècle revisité, puisque eux ne s’opposent pas à la messe « normale ». Certes, mais dans une société où il est déjà si difficile de vivre ensemble, et où chacun reste dans sa bulle, quid de la communion de tous que permet la foi, à travers la liturgie ? De ce point de vue, les « tradis » sont en réalité des postmodernes accomplis : affirmant que chacun peut prier comme il veut, ils appliquent à la liturgie l’individualisme de notre société ; on like ou on dislike telle ou telle messe. À chacun son rite, à chacun son Église… Rien ne s’opposera, après, à ce qu’il y ait un rituel LGBT, un rituel genré, un rituel générationnel, un rituel politique radicalisé… Si les « tradis » nous montrent l’avenir, alors l’Église va devenir un vaste supermarché où l’on choisira de vivre la foi en fonction de son identité propre. Ce n’est pas forcément la mort de la religion. Mais ce sera sans aucun doute la fin du catholicisme.