Les réseaux chrétiens, « bras » de la France au Moyen-Orient
Analyse
Emmanuel Macron doit remettre la Légion d’honneur, mardi 1er février, à Mgr Pascal Gollnisch, directeur de l’Œuvre d’Orient. Ces dernières années, l’État s’est souvent appuyé sur l’expertise de cette association, ainsi que d’autres proches de l’Église, pour déployer sa politique au Moyen-Orient.
Quand il recevra la Légion d’honneur des mains du président Macron, ce mardi 1er février, le directeur de l’Œuvre d’Orient, Mgr Pascal Gollnisch, ne le rencontrera pas pour la première fois. Loin de là. Fin août 2021, il faisait partie de la délégation officielle du voyage présidentiel en Irak. Un an plus tôt, il avait accompagné le chef de l’État à Beyrouth, endeuillée par l’explosion sur son port. Et en janvier 2020, il était à ses côtés à Jérusalem.
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C’est lors de ce voyage que l’exécutif avait annoncé le lancement d’un fonds pour les écoles chrétiennes d’Orient, coadministré par le ministère des affaires étrangères… et l’Œuvre d’Orient. Chacun des deux partenaires a alimenté ce fonds à hauteur d’un million d’euros. La « rencontre » organisée par l’Élysée en amont de la remise de décoration et « consacrée aux actions de la France en faveur des chrétiens d’Orient » devrait être l’occasion de faire le point sur ses réalisations.
Une histoire ancienne
« La collaboration avec l’État remonte aux origines de l’Œuvre d’Orient (association fondée en 1856, NDLR), rappelle Mgr Gollnisch. C’est une histoire ancienne, qui s’est approfondie. » Pourquoi ? Outre la relation de confiance entre ce religieux et Emmanuel Macron, qui n’est un secret pour personne et qui a été facilitée par Charles Personnaz, camarade de promotion de l’ENA du chef de l’État et bénévole à l’Œuvre d’Orient, d’autres facteurs entrent en compte.
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2015 a constitué un tournant dans les relations entre l’État et les réseaux chrétiens au Moyen-Orient. Face aux exactions commises par Daech, Paris a mis sur pied une conférence internationale sur les minorités ethniques et religieuses de cette région du monde. Les observateurs y ont vu un « changement majeur d’état d’esprit », infléchissant la traditionnelle prudence de la France concernant le soutien aux minorités religieuses, notamment chrétiennes, par peur de procès en communautarisme.
Relais précieux pour l’État sur le terrain
Dès lors, plusieurs associations appartenant à la « planète catholique » se sont mises à constituer des relais précieux pour l’État sur le terrain. L’Œuvre d’Orient, donc, mais aussi des structures plus modestes comme Fraternité en Irak (fondée en 2011) ou encore la Fondation Saint-Irénée, membre du comité de suivi de la conférence de Paris de 2015. Leurs actions concernent aussi bien les écoles chrétiennes – et, par extension, la francophonie – que le patrimoine religieux.
« Sur place, on est vus comme un “bras” de la France, et c’est positif, estime Étienne Piquet-Gauthier, directeur de la Fondation Saint-Irénée, liée au diocèse de Lyon. L’État a besoin de structures comme les nôtres pour entrer en contact avec les responsables religieux : car dans ces pays, ils sont incontournables. »
« C’est gagnant-gagnant, renchérit Loÿs de Pampelonne, ancien directeur de l’Œuvre d’Orient en Irak. D’un côté, notre expertise offre à l’État un gain de temps et d’énergie ; de l’autre, quand je guidais des politiques français sur le terrain, j’en profitais pour montrer en priorité les projets portés par notre association. »
Risques de mise en danger
Au point que la France délègue une partie de sa politique au Moyen-Orient à ces associations ? « C’est un peu l’idée », confirment plusieurs de leurs membres. En particulier dans des pays avec lesquels la France n’a plus de relations diplomatiques, comme la Syrie depuis la crise de 2011. « Dans cet État où la France n’a pas d’ambassade, notre action a permis de maintenir des contacts entre nos deux pays», revendique Mgr Pascal Gollnisch. Un observateur fait remarquer que si le nom de l’ONG est le plus souvent cité, certains projets se voient parfois attribués à « la France » en général, bénéficiant ainsi à son rayonnement.
« Le problème, c’est qu’être vus comme trop proches du gouvernement peut faire de nous des cibles et nous mettre en danger », souligne un directeur associatif, évoquant les risques d’enlèvement. Certains partenariats ont par ailleurs concerné des structures controversées, comme SOS Chrétiens d’Orient, qui a bénéficié de 2015 à 2020 d’une convention avec le ministère de la défense alors que l’ONG était liée aux milices pro-Bachar en Syrie.
Charles Personnaz, directeur de l’Institut national du patrimoine (INP), tient à préciser que les liens entre l’État et les associations chrétiennes n’ont rien d’« exclusif ». Depuis le passage de Bernard Kouchner au ministère des affaires étrangères (2007-2010), les milieux diplomatiques et humanitaires ont eux aussi considérablement renforcé leurs liens.
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Biographie express
1952. Naissance à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine)
1976-1989. Directeur des pèlerinages français en Pologne
1982. Ordination sacerdotale pour le diocèse de Paris
1982-1995. Cofondateur de la Maison Saint-Augustin et du Séminaire de Paris
2010. Directeur général de l’Œuvre d’Orient
2012. Chapelain de Sa Sainteté, ce qui lui vaut le titre de « monseigneur »
2014. Vicaire général de l’ordinariat des catholiques orientaux en France
2016. Publication de Chrétiens d’Orient. Résister sur notre terre (Éd. du Cherche Midi)
1er février 2022. Chevalier de la Légion d’honneur