Le dialogue islamo-chrétien, à contre-courant
Reportage
Une rencontre « Ensemble avec Marie » a rassemblé environ 800 chrétiens et musulmans à l’église Saint-Sulpice, à Paris, dimanche 6 février. Alors que nombre de discours politiques actuels prônent plutôt la méfiance et le repli, ces participants ont confié à La Croix pourquoi ils continuent de croire au dialogue.
Quand on demande à des promoteurs du dialogue interreligieux pourquoi ils le pratiquent, les réponses semblent infinies. Pour les uns, c’est « une question de vocation ». Pour les autres, la valorisation de l’altérité découle directement des textes sacrés. Pour d’autres encore, elle est inscrite dans la théologie. « Dieu est dialogue en lui-même : entre Père, Fils et Esprit », résume ainsi le père Xavier de Verchère, aumônier général des Scouts et guides de France.
Croisé devant le stand « Jeunes, vivre nos différences au quotidien », l’un des huit installés dans les chapelles latérales de Saint-Sulpice, ce salésien s’entretient joyeusement avec Hamady Mbodj, commissaire international des Scouts musulmans de France. Chemise bleue, chemise verte, un foulard chacun. Ce binôme islamo-chrétien est loin d’être le seul à s’être constitué sous les voûtes de la plus grande église de Paris, ce dimanche 6 février. Cette journée « Ensemble avec Marie » aura attiré environ 800 personnes en tout, chrétiens comme musulmans.
Fraternité, « la mal-aimée de la devise républicaine »
Entre les deux scouts, la conversation se poursuit. « Si seulement on mettait autant d’énergie à chercher ce qui nous unit que ce qui nous sépare… », soupire Hamady Mbodj. Xavier de Verchère acquiesce : « C’est sûr que tant qu’on reste en surface, on ne voit que nos différences. Le dialogue, c’est une action volontaire ! Mais elle est nécessaire pour aller chercher nos points communs. »
Refusant toute confiance « aveugle » ou « béate », les participants à cette journée semblent conscients que rechercher la rencontre avec l’autre différent de soi n’a aujourd’hui rien d’évident. La fraternité n’est-elle pas « la mal-aimée de la devise républicaine », comme le disait tout à l’heure l’écrivaine Karima Berger, l’une des intervenantes de l’après-midi ?
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Les discours de méfiance, voire de haine, qui alimente le débat public en cette campagne présidentielle, les croyants croisés à Saint-Sulpice en ont connaissance. « Il m’arrive de dire qu’on fait beaucoup d’efforts pour peu de résultat », reconnaît Abdelkader Oukrid, l’un des organisateurs de la journée. Mais savoir qu’une part non négligeable des croyants des deux religions refuse tout dialogue ne « décourage pas » cet enseignant au Centre Sèvres.Il n’est pas le seul à se dire « stimulé » par le climat ambiant, qui rend le dialogue « d’autant plus urgent et nécessaire ».
Entre croyants, une fraternité « plus facile »
De son côté, Henri Foucard admet qu’il n’est pas toujours aisé d’attirer des jeunes vers le Groupe interreligieux pour la paix des Yvelines, dont il est secrétaire. « Des jeunes musulmans, on en a, mais on a du mal à faire venir des jeunes chrétiens », précise-t-il, supposant que ces derniers préfèrent des engagements « plus concrets » ou à plus fortes retombées sociales. Certains choisissent aussi l’évangélisation, y compris à destination de musulmans.
Parmi les jeunes musulmans présents à Saint-Sulpice samedi, Amina Lrhoula participe régulièrement à des ateliers de lecture du Coran et de la Bible. Si la fraternité avec des chrétiens lui semble si « naturelle », c’est avant tout parce qu’ils sont, comme elle, des croyants. « Je ne peux pas parler de Dieu avec n’importe qui… Mais avec les gens qui croient, qui ont une vie spirituelle, il y a quelque chose. C’est plus simple d’entrer en relation. »
Constat similaire chez Azhar Abbas, un chiite d’origine indienne qui se dit « conforté dans ses convictions » par l’ambiance chaleureuse de cette journée. « De toute façon, la méfiance, l’animosité, ce n’est pas durable. De la même manière que la gravité fait tout retomber vers le sol, notre nature est de vouloir la paix », affirme-t-il avant de préciser que son fils s’appelle Issa (le nom de Jésus dans le Coran) et son épouse Mariam (Marie).
Une confiance difficile à communiquer
« Autour de Marie, nous sommes des frères priants », déclare pour sa part Jean-Marie Drouard, engagé dans le mouvement chrétien des Focolari, qui figure parmi la quarantaine d’associations partenaires de l’événement. S’il n’a aucun doute sur ses propres convictions, il reconnaît que « communiquer cette confiance » est moins évident de nos jours. « Qui veut bien l’entendre ? »
Au lendemain de l’événement, le diocèse de Paris a dû se justifier sur Twitter de « l’espace de silence disponible pour la prière musulmane » qui avait été installé la veille à Saint-Sulpice. « Cet espace, temporaire, s’inscrivait dans le cadre d’une rencontre entre chrétiens et musulmans », précise le diocèse dans son tweet. Une photo du panneau annonçant cet espace de prière avait en effet créé du remous sur les réseaux sociaux, certains internautes voyant là une « profanation ».