« L’atmosphère est totalement différente » : comment le pape François redéfinit le rôle de la Curie
Dans une nouvelle constitution, publiée samedi 19 mars, le pape François fait de son appareil de gouvernement un outil plus tourné vers le monde, et chargé de faire remonter du terrain les meilleures initiatives prises par les catholiques. Un changement de culture radical.
François est-il en train de mettre fin à la toute-puissance de la Curie ? En publiant, samedi 19 mars, la nouvelle constitution de la Curie romaine, Praedicate evangelium, dont les 250 articles entreront en vigueur le 5 juin, le pape François redéfinit très largement le périmètre et le rôle de l’appareil de gouvernement de l’Église.
À tel point que certains pronostiquent un affaiblissement général pour une administration qu’ils percevaient autant comme déconnectée du terrain que toute-puissante.
Un changement de culture déjà engagé
En réalité, en affirmant que la Curie romaine n’est plus seulement une administration au service du pape mais une forme de mission au service des évêques, François rappelle que ceux qui travaillent dans les divers dicastères ont d’abord une mission d’assistance de l’Église, et plus seulement de contrôle. Le texte publié samedi vient en fait expliciter un changement de culture déjà progressivement mis en œuvre depuis le début de son pontificat.
« Il y a plusieurs années, lorsque nous venions, nous avions l’impression d’être devant des inspecteurs », témoignait ainsi un évêque français à l’automne dernier, lors de la visite ad limina des responsables catholiques français, au cours de laquelle tous les évêques du monde doivent venir à Rome pour rendre compte de leur mission. « Désormais, on a l’impression d’être davantage écoutés, poursuivait la même source. Nos interlocuteurs nous posent des questions, nous écoutent. L’atmosphère est totalement différente. »
Un outil pour être en prise avec le monde
Ce rôle de la Curie comme outil permettant au Vatican d’être en prise avec le monde – par exemple à travers des consultations des conférences épiscopales avant la rédaction d’un texte important – est clairement exprimé dans la constitution.
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« Parce qu’elle est un instrument au service de la communion, la Curie romaine, en vertu de la connaissance qu’elle tire de son service à l’Église universelle, est en mesure de recueillir et d’élaborer la richesse des meilleures initiatives et des propositions créatives en matière d’évangélisation avancées par les différentes Églises particulières », a ainsi affirmé lundi 21 mars Mgr Marco Mellino, le secrétaire du Conseil des cardinaux, au cours d’une conférence de presse.
Le rôle du Synode des évêques
Autre nouveauté exprimée par celui qui fut l’une des chevilles ouvrières du document : il est désormais clair que la Curie n’est plus le seul instrument à la disposition du pape pour diriger l’Église universelle. Là encore, la pratique est déjà mise en œuvre, puisque François a pour habitude de confier des travaux de réflexion à des proches ou des experts n’appartenant à aucun dicastère.
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Cette fois, a souligné Mgr Marco Mellino, il s’agit d’aller encore plus loin. « Il est important de souligner que la Curie romaine et le Synode des évêques (…) sont les institutions que le Saint-Père utilise ordinairement dans l’exercice de sa fonction pastorale suprême et de sa mission universelle dans le monde », a déclaré le prélat italien, qui a, pour ainsi dire, mis la Curie et le Synode sur un pied d’égalité : « Ce sont les deux institutions sur lesquelles le pape s’appuie », a-t-il insisté.
À côté d’elles une troisième va perdurer, car le pape a bien l’intention de continuer à réunir régulièrement son Conseil de cardinaux, initialement créé pour penser la réforme de la Curie. François compte s’appuyer sur lui pour prendre ses décisions. Leur prochaine réunion est d’ailleurs prévue le 25 avril.
Renforcement du pouvoir personnel du pape
Mais à côté de ce que François appelle dans le texte une « saine décentralisation », Praedicate evangelium renforce aussi considérablement le pouvoir personnel du pape. Plusieurs articles énoncent ainsi clairement qu’outre les nominations, qu’il opère personnellement, le pape est désormais incontournable pour prendre toute une série de décisions.
C’est le cas, par exemple, pour la constitution d’une commission de travail entre deux dicastères, ou encore de toutes les « décisions et les résolutions concernant des questions d’importance majeure ». Le texte établit également que « dans les affaires importantes ou extraordinaires, rien ne doit être fait avant que le chef d’une institution curiale ne l’ait communiqué au Pontife romain ».
Une fermeté emblématique du mode de travail déjà mis en œuvre par François, qui a pour habitude, après de larges consultations, tous azimuts, de prendre seul ses décisions. « Personne ne peut dire quand finira le pontificat, analysait l’un de ses collaborateurs il y a quelques semaines. Mais une chose est sûre : le pouvoir personnel du pape en sortira indéniablement renforcé. »
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Forme extraordinaire, la « faute d’inattention » des rédacteurs
Dès sa parution, la nouvelle constitution de la Curie a surpris les observateurs les plus attentifs qui n’ont pas manqué d’y relever, dans son article 93, la mention de la « forme extraordinaire du rite romain ».
Or, cette expression a été abolie par le motu proprio Traditionis custodes, qui a très fortement restreint en juillet dernier la possibilité de célébrer la messe tridentine. Interrogé sur ce point, lundi 21 mars, Mgr Marco Mellino, le secrétaire du Conseil des cardinaux, a admis une « faute d’inattention ». « Ce sera corrigé », a affirmé ce juriste italien. Qui a plaidé une « erreur humaine ».