Mali : l’État islamique au Grand Sahara à la conquête du nord-est du pays 

Analyse 

Depuis le début du mois de mars, l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) combat les Touaregs du Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA) dans la région de Ménaka et de Gao. Une lutte sans merci pour le contrôle d’un territoire clé d’où se retire la force française Barkhane.

  • Laurent Larcher, 
Mali : l’État islamique au Grand Sahara à la conquête du nord-est du pays
 
Un combattant du Mouvement pour le salut de l'Azawad (MSA), lors d’une patrouille dans le désert malien, le 14 mars 2020.SOULEYMANE AG ANARA/AFP

C’est la guerre dans la guerre au Mali. Le 27 mars, l’État islamique au grand Sahara (EIGS) a encore affronté le Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA), une milice touarègue daoussak signataire de l’accord de paix d’Alger. Ils se sont combattus à Ménaka et aux environs de Gao, dans le nord-est du pays, sans que l’on sache de manière indépendante le nombre de personnes tuées, combattants et civils.

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Le territoire le plus dangereux du Mali

Depuis le début du mois de mars, l’EIGS et le MSA se font la guerre dans cette région malienne proche du Niger, selon des sources onusiennes, françaises et locales. Une zone considérée comme la plus dangereuse du Mali, abandonnée par l’État et revendiquée par les indépendantistes touaregs. C’est par cette région que passent aussi les routes de la drogue et des migrants venus des pays côtiers subsahariens pour rejoindre le Maghreb et le Machrek : en premier lieu, la route libyenne empruntée par l’essentiel des trafics à destination de l’Europe.

Une région où se sont enracinées, depuis la fin des années 1980, les différentes branches salafistes parrainées par des pays du Golfe et où prospérèrent les groupes djihadistes, tous partisans de l’islam salafiste. C’est dans ce kaléidoscope incontrôlable que l’EIGS affronte le MSA et leurs alliés du Cadre stratégique permanent (CSP, la plateforme des groupes signataires de l’accord d’Alger, majoritairement touaregs) pour en avoir le contrôle.

Un conflit qui se joue aussi sur fond de rivalités communautaires entre les Touaregs daouassak du MSA et les Peuls, majoritaires au sein de l’EIGS. Vivant tous de l’élevage, ils se disputent l’accès aux pâturages et aux points d’eau. À plusieurs reprises, les deux camps ont été accusés par les grandes ONG de défense des droits de l’homme de commettre des exactions sur les civils. Le bureau des droits de l’homme de la Mission des Nations unies au Mali (Minusma) a ainsi accusé les Touaregs du MSA de graves exactions contre les Peuls en avril 2018.

Des affrontements dans les principales villes de la région

Depuis trois semaines, l’EIGS et le MSA se sont violemment opposés dans les communes et les environs de Tamalat, Inchinanane, Andéramboukane, Talatai. À chaque fois, l’État islamique a pris le dessus avant que le MSA, appuyé par le Gatia (1), puisse reprendre pied dans les villes où ils venaient d’être attaqués. Mais tout indique que l’EIGS semble de plus en plus fort dans cette région comme au Burkina et au Niger voisins.

Une montée en puissance qui contredit la série de propos victorieux tenus ces dernières années par la ministre française des armées, Florence Parly, sur les coups décisifs portés contre ce groupe et ses leaders. La mort de leur chef emblématique, Abou Walid Al Sahraoui, tué à la fin du mois d’août 2021 par Barkhane n’a pas été le succès majeur comme l’avait aussi proclamé Emmanuel Macron dans un tweet imprudemment triomphal.

L’État islamique vise aussi l’armée malienne et la Minusma

Preuve de sa vitalité, l’EIGS s’attaque aussi à la Minusma et à l’armée malienne (Fama). Jeudi 24 mars, il s’en est pris à un convoi de la Minusma vers Tessit, au sud d’Ansongo, dans la région de Gao. Et 16 soldats maliens ont été tués lundi 21 mars à Tessit et à Boni (centre) dans deux attaques distinctes, dont la première a été revendiquée par l’organisation État islamique. Comme l’écrit le journal burkinabé Le Pays dans son édition du 28 mars, « ce regain d’activisme de l’EIGS a d’autant plus de quoi inquiéter que l’on croyait la bête immonde mortellement touchée, cela après l’élimination, l’an dernier, par l’armée française, de plusieurs de ses cadres dont l’emblématique Abou Walid Al Sahraoui ».

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Cette intensification des combats n’est pas sans lien avec le départ annoncé et commencé de la force Barkhane du Mali. Présente dans cette région troublée, la force française achève son retrait de Gossi, a commencé celui de Ménaka et prépare celui de sa dernière base malienne, Gao. « Nous aussi, nous avons noté une recrudescence des attaques de l’EIGS. Il a retrouvé une liberté d’action dans cette zone du Mali, mais il ne s’en prend pas à Barkhane », souligne une source militaire à Paris. « À présent, écrit Le Pays, tout se passe comme si les terroristes voulaient profiter du vide laissé par la force française pour occuper des espaces où ils comptent continuer à exercer leur influence. »

(1) Autre groupe armé touareg, issu de la communauté imghad, signataire de l’accord de paix et pro-Bamako.