Quand l’étude des textes juifs se conjugue au féminin 

Analyse 

Des représentantes de divers courants du judaïsme sont rassemblées jusqu’au lundi 23 mai à Rouen, à l’occasion de la 2e édition du congrès Les Filles de Rachi. Avec l’idée de montrer que « les femmes, comme les hommes, peuvent étudier » et enseigner les textes juifs.

  • Benoît Fauchet, 

Lecture en 3 min.

Quand l’étude des textes juifs se conjugue au féminin
 
« L’évolution est lente, mais j’ai l’impression que cela peut s’accélérer dans les années qui viennent », veut croire la rabbine Iris FerreiraCÉDRIC JOUBERT/DNA/MAXPPP

En juin 2019, un premier congrès s’était tenu à Troyes, la ville de Rachi, rabbin, exégète et poète de la seconde moitié du XIe siècle, commentateur de la Torah et du Talmud alors célèbre dans toute l’Europe ashkénaze. Trois ans et une parenthèse due à la crise sanitaire plus tard, c’est à Rouen que la 2e édition de cette assemblée est organisée sur deux jours, dimanche 22 et lundi 23 mai. Non loin de la Maison sublime, considérée comme le plus ancien monument juif de France, qui a peut-être été une yeshiva (école talmudique) vers l’an 1100, quand Rachi rendait son dernier souffle.

« Élevées comme des sages »

C’est évidemment en pensant au maître de Troyes que Manon Brissaud-Frenk a lancé son événement, baptisé Les Filles de Rachi. Ou plutôt à ses filles, justement, Myriam, Rachel et Yokheved, dont « on dit qu’elles étaient élevées comme des sages, rappelle l’organisatrice. Dans son siddour, son livre de prières, Rachi disait des femmes souhaitant étudier : “Si elles le désirent, rien ne saurait les en empêcher” ». Un moderne avant l’heure, en somme.

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Près d’un millénaire plus tard, le rôle actif des femmes dans l’étude et la transmission des Écritures n’est pourtant pas pleinement acquis. Dans les courants les plus orthodoxes du judaïsme, confier le rabbinat à des femmes, ou même les autoriser à « monter à la Torah » pour lire la Bible hébraïque à la synagogue, a fortiori en présence d’hommes, n’est pas considéré comme conforme à la halakha, la loi juive. La simple étude féminine des textes sacrés n’est pas admise par tous.

« Sphère de l’intime »

« Dans les traditions religieuses, et ce n’est pas propre au judaïsme, la place de la femme est souvent cantonnée à la sphère de l’intime, au foyer. Quand elles s’emparent du savoir, immédiatement c’est subversif », analyse Delphine Horvilleur, rabbin depuis 2008 et figure du mouvement libéral.

Face aux résistances conservatrices, les quelques dizaines de participantes aux Filles de Rachi n’affichent pas de revendication particulière mais une conviction commune, objet d’un échange de vues entre représentantes de différentes sensibilités, des libéraux aux « orthodoxes modernes » en passant par les massorti, courant du judaïsme réformé soucieux de préserver une partie de la traditionCette conviction, c’est que « les femmes, comme les hommes, peuvent étudier », résume Iris Ferreira, première femme à avoir reçu la semikha (transmission d’autorité d’un rabbin à un autre) en France, en 2021, et qui exerce son ministère rabbinique depuis septembre dernier auprès d’une communauté libérale de Strasbourg.

« Ce qui nous rassemble, c’est l’amour des textes », abonde Manon Brissaud-Frenk, elle-même élève rabbin, une des premières à pouvoir se former en France, au sein d’une école rabbinique libérale qui n’a ouvert ses portes qu’en 2019 – auparavant, il fallait faire l’intégralité de son cursus aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Israël…

« Cela peut s’accélérer »

« L’évolution est lente, mais j’ai l’impression que cela peut s’accélérer dans les années qui viennent », veut croire Iris Ferreira. Depuis l’ordination de la pionnière Pauline Bebe en 1990, quatre autres femmes rabbins guident des communautés libérales en France. D’autres Françaises se préparent au rabbinat dans le courant massorti mais aussi, en la personne de Myriam Ackermann-Sommer, chez les orthodoxes modernes.

« Dans mon bureau de rabbin, beaucoup de jeunes filles disent qu’elles envisagent cette voie. Cela devient une possibilité que moi je n’avais pas pu verbaliser », reconnaît Delphine Horvilleur. Toutefois la rabbin parisienne n’oublie pas qu’en matière de droits des femmes, la prudence s’impose. « Je crois qu’à la 250e réunion des Filles de Rachi, on constatera encore que rien n’est acquis… Ce qui ne va pas nous empêcher de rester actives ! »